Criminogénéalogie : Andrée à Marseille



Andrée Marie Carpentier-Foignet est née à Bourges le 1er mars 1893.
Sa mère Marguerite a alors 34 ans, et elle réside au 2 place de la Gare avec son mari de 61 ans et sa belle-mère de 78 ans.
Originaire du Bourbonnais, la jeune femme a suivi son époux au gré des mutations de celui-ci dans l'administration.
Marguerite accouche d'un second enfant en 1895, mais il meurt trois mois plus tard. Andrée restera fille unique.
La belle-mère meurt le 4 février 1896, âgée de 81 ans, puis Charles peu après, dans les années 1900.
La petite Andrée reste donc seule avec sa mère.

Marseille

On retrouve Marguerite et sa fille quelques années plus tard à Marseille : le 20 septembre 1910, âgée d'à peine 17 ans, Andrée épouse un artiste peintre de 23 ans prénommé Paul.
Alors qu'elle est issue de la bourgeoisie de province, lui est fils d'ouvriers journaliers du quartier parisien de Daumesnil et réside à Marseille depuis plusieurs années.
Pendant qu'il effectue son service militaire, Andrée accouche d'un fils le 20 juin 1911, neuf mois jour pour jour après la nuit de noces, puis le couple se sépare rapidement.
Le 25 septembre 1912, Le Petit Marseillais publie un avis selon lequel Paul, "peintre, étant séparé de sa femme, ne répond plus des dettes qu'elle pourrait contracter".
 
 

Après guerre

En 1920, Andrée réside au 191 boulevard de la Madeleine : c'est le petit point bleu sur la carte ci-contre. Le boulevard de la Madeleine (aujourd'hui de la Libération) descend sur la Canebière et le Vieux-Port ; la gare Saint-Charles est indiquée à titre de repère.

Crémière, Andrée escroque la clientèle en faisant passer du lait écrémé pour du lait entier.
Le 11 mars, le tribunal correctionnel de Marseille la condamne pour délit de vente de lait falsifié à une peine de 3 mois de prison + 2 000 francs d'amende + insertion du jugement dans Le Petit Provençal et Le Petit Marseillais (une sorte de pilori moderne).
Son fils a 8 ans.

     
Extrait du jugement dans
Le Petit Provençal du 4 août 1920.

Elle purge peut-être sa peine dans la petite prison des Présentines, construite dans les années 1820 et réservée aux femmes (les autres établissement pénitentiaires étant les prisons Chave et Saint-Pierre ; la prison des Baumettes ne verra le jour qu'en 1933). [Le complexe des Présentines a été remplacé par l'hôtel de région.]
 
Lorsqu'elle sort de prison vers l'âge de 28 ans, Andrée n'a plus aucune perspective de vie honnête à Marseille. Pour subvenir à ses besoins et élever son fils écolier, elle va plonger dans les bas-fonds.

Paul réside ensuite rue Consolat, ; il est mobilisé aux Armées en 1914-1917, à l'Intérieur en 1917-1918, puis en Orient en 1918. Il se remarie en 1924 dans le Gard. Géomètre rue de Rome, veuf en 1940, il mourra à Marseille en 1969.

En juin 1923, le fils est reçu au certificat d'études.

La mère d'Andrée, Marguerite
[photo à droite en 1921], se remarie en 1926 à Marseille (de nouveau veuve, elle mourra à Marseille en 1936).


Les grosses marques bleues indiquent la prison des Présentines (près de la porte d'Aix), la poste Colbert et la place Daviel (entre l'Hôtel-Dieu et l'hôtel de ville).
Les autres marques sont les lieux dont il va être question ensuite.

Andrée se remarie à son tour : le 28 avril 1927, elle épouse Dominique Rossi (né vers 1899, apparemment fils d'immigrés italiens).
Ce Rossi est connu des services de police (et des lecteurs du Petit Marseillais). Sans revenus réguliers, il a déjà été arrêté en février 1923, pour avoir une nuit "dépouillé, rue Coutellerie, l'Arabe Ben Arbi Djillali d'une somme de 300 francs" ; et en mars 1924, pris en flagrant délit en train de franchir "le mur de clôture de la propriété Saint-Victor pour y dévaliser un poulailler" (il a alors été écroué mais son complice a réussi à s'enfuir).
Peu après le mariage, le 31 juillet 1927, Dominique et Andrée sont de nouveau arrêtés. Hôteliers dans la rue du Baignoir, "ils sont accusés d'avoir recelé dans une de leurs chambres la majeure partie des 120.000 francs de soieries volées par des perceurs de murailles dans un dépôt de la rue de Rome" (peut-être Bouchara, qui annonçait ses arrivages de marchandises dans le journal).
     



L'affaire la plus complexe est celle dans laquelle Andrée se trouve entraînée au début de l'année 1928.
Le 9 février, "une jeune femme élégamment mise se présentait à la caisse de la banque Franco-Chinoise, 24 rue Grignan, et tentait de se faire payer un chèque de 11.655 francs établi au nom de Mme Carlini. Mais, intrigué par l'attitude bizarre de la cliente, l'employé de la caisse refusa de payer le montant des chèques, exigeant plusieurs pièces d'identité.
   La jeune et élégante cliente revint donc quelques jours plus tard à la Banque, le 14 février exactement, dans le courant de l'après-midi, où elle présenta cette fois-ci, avec le même chèque, un faux livret de mariage au nom de Mme Carlini.
   Arrêtée aussitôt par l'inspecteur principal Ferrier et l'inspecteur chef Martini que la direction de la Banque avait mis au courant des faits, la pseudo Mme Carlini fut conduite à la Sûreté et interrogée par M. Larçon, sous-chef de ce service.
   La jeune femme entra rapidement dans la voie des aveux et déclara se nommer en réalité Marie Carpentier-Foignet, âgée de 34 ans, demeurant 49, rue Sylvabelle.
   Marie Carpentier-Foignet, au cours de l'interrogatoire, dit comme elle avait accepté de présenter le chèque à l’encaissement, sur la proposition d'un nommé Maurice Piétri, âgé de 35 ans, sans profession, logeant dans un hôtel de la rue des Récolettes.
   Maurice Piétri, arrêté, révéla le nom de plusieurs complices qui avaient eu, tour à tour, le fameux chèque en leur possession.
   Il s'agit des nommés J. O[rsini], âgé de 25 ans ; Jean Paolini, âgé de 26 ans, rue de la Clovisse no 1 (à côté de la prison des Présentines) ; et Charles Lavacchi, journalier, 4, rue Coutellerie (aujourd'hui un appartement-hôtel).
   L'enquête a pu établir que Lavacchi, en allant à la poste restante de la rue Colbert avec son épouse née Dina Cardini, avait retiré une lettre destinée à Mme Carlini, lettre qui lui avait été remise par erreur grâce à une similitude de noms et contenant le chèque de 11.655 francs.
   On devine la suite : Lavacchi et ses amis essayèrent, mais en vain, de bénéficier de cette circonstance qui, loin de leur être heureuse, leur vaut aujourd'hui d'être en prison."
(Le Petit Provençal, 18 février 1928 ; à droite, Le Petit Marseillais rapporte les mêmes faits.)
Vraisemblablement originaire d'Afrique du Nord, Maurice Piétri s'est déjà fait connaître l'année précédente, arrêté en décembre 1926 dans le cadre d'un double cambriolage en bande organisée.

Pendant ce temps, Rossi continue de dépouiller les passants. Dans le journal du 7 novembre 1928, on apprend que "les gardiens de la paix Castel et Galy ont appréhendé, avant-hier soir, le journalier Dominique Rossi, 29 ans, demeurant rue Juge-du-Palais, 5. Les agents avaient surpris Rossi au moment où il se livrait à des violences sur le nommé Georges-Romulu Pastor et où il tentait de le dévaliser. M. Thoumieux, commissaire de police, a écroué Dominique Rossi à la disposition du parquet, sous la double inculpation de coups et blessures et tentative de vol." Le 5 rue Juge-du-Palais est adjacent au 4 rue Coutellerie, au bout d'une minuscule ruelle qui donne sur le Vieux-Port.


Andrée meurt le 22 janvier 1933, place Daviel (i.e. vraisemblablement à l'Hôtel-Dieu), âgée de 39 ans. Son fils a 21 ans.


L'Hôtel-Dieu, place Daviel


Épilogue

Après la Deuxième Guerre mondiale, Dina Cardini sera visée par les purges de la IVe République :
"Par ordonnance en date du 10 mars 1947, le président du tribunal civil de première instance de Marseille a ordonné la mise sous séquestre des biens, droits et intérêts des appartenant directement, indirectement ou par personne interposée aux personnes ci-après qui doivent être réputées ennemies : (...) Cardini (Dina), femme Carlo Lavacchi, 10, rue Parmentier (...)" (Journal officiel de la RF, 4 juin 1947)