Heinrich Heine

Nouveaux poèmes

1844


(Extraits)


Romances


X. Le chevalier Olaf

I

Devant le dôme sont deux hommes,
Revêtus de tuniques rouges,
Et l’un n’est autre que le roi,
Et le bourreau est le second.
 
Et au bourreau parle le roi :
« J’entends au chant de la prêtraille
Que déjà prend fin le mariage –
Prépare donc ta bonne hache. »
 
Carillon et tumulte d’orgue,
Et le peuple afflue de l’église ;
Parmi la foule colorée,
Les mariés parés d’ornements.
 
Soucieuse et pâle comme un mort,
Telle est du roi la jolie fille ;
Sire Olaf est brave et joyeux ;
De sa bouche rouge il sourit.

Et souriant de sa bouche rouge
Il parle au sinistre monarque :
« Bien le bonjour, mon chère beau-père,
Aujourd’hui ma tête t’échoit.
 
Je dois mourir – Ô, laisse-moi
Vivre jusqu’à minuit encore,
Pour que je célèbre ma noce
Qu’on boive et qu’on danse aux flambeaux.
 
Laisse-moi vivre, laisse-moi,
Jusqu’au fond de l’ultime coupe,
Jusqu’au bout de l’ultime danse –
Que je vive jusqu’à minuit ! »
 
Et au bourreau parle le roi :
« Que de notre gendre la vie
Soit prorogée jusqu’à minuit –
Prépare donc ta bonne hache. »
 
II
 
Au banquet de noce, assis dans le groupe,
Olaf a vidé son ultime coupe.
Son épouse en détresse
À lui se presse –
Le bourreau se tient à la porte.
 
La ronde commence, et Olaf prend vite
Sa jeune épouse, et d’une ardeur subite
Dans les flambeaux ils dansent
L’ultime danse –
Le bourreau se tient à la porte.
 
Joyeux sont les sons du gai violon,
La flûte lugubre a des soupirs longs !
À voir leur danse amère,
Le cœur se serre –
Le bourreau se tient à la porte.
 
Et comme ils dansent, dans le hall qui tinte,
Olaf murmure à sa triste conjointe :
« Je t’aime plus que tout au monde –
Froide est la tombe – »
Le bourreau se tient à la porte.
 
III
 
Sire Olaf, minuit a sonné,
Ta vie prend un tournant fatal !
Car tu connus selon ton gré
Une vierge de sang royal.
 
Un requiem se fait entendre,
L’homme arborant sa rouge veste
Se tient déjà, la hache nue,
À côté du billot funeste.
 
Sire Olaf descend dans la cour,
Où sabres et lanternes brillent,
Et sourit de sa bouche rouge,
Disant de lèvres qui pétillent :
 
« Lune et soleil, je vous bénis,
Et dans le ciel les astres clairs.
Je bénis aussi les oiseaux
Dont le babil emplit les airs.
 
Je bénis la mer et la terre,
Et les fleurs des prés harmonieux.
Car douces sont les violettes
Comme de ma femme les yeux.
 
Douces prunelles de ma femme,
La vie par vous m’est enlevée !
Je bénis enfin le sureau
Au pied duquel tu t’es livrée. »


Heinrich Heine, Neue Gedichte (1844).
Poème traduit de l'allemand par Sébastien Cagnoli (2004).

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