Berton en Milanais
"Berton" est un nom de famille d'origine germanique, typique de
Lombardie et de Vénétie (variantes : Bertone, Bertoni).
Fief du Saint-Empire fondé par les Visconti
en 1395, passé aux Sforza en
1450, le duché de Milan a
fait l'objet de nombreuses guerres au XVIe siècle entre François Ier
et Charles V, qui l'a transmis à son fils aîné Philippe II d'Espagne
en 1540. Depuis lors, les Habsbourg d'Espagne règnent sur
le Milanais.
Ci-contre : les lacs Majeur, de
Lugano et de Côme ; Côme et Milan en rouge ; Varese en bleu, près
du lac de Varese.
Naissance de la
frontière austro-sarde
En 1714, à l'issue de la Guerre de Succession d'Espagne,
les Espagnols sont chassés du nord de l'Italie : le Duché de Milan
appartient désormais aux Habsbourg d'Autriche, et la
totalité du Montferrat aux Savoie. La Sesia constitue alors la
frontière entre les Piémontais et les Autrichiens.
À cette époque, les États de Savoie se dissocient du Saint-Empire.
Un nouveau conflit dynastique éclate en Europe en 1733 lors de la mort d'Auguste
II de Saxe : la Guerre de
Succession de Pologne. Savoie et Bourbon sont alliés contre
les Habsbourg.
En 1738, le traité de paix
final valide quelques changements territoriaux en Milanais : le
Novarais est détaché et passe en possession des Savoie (maintenant
rois de Sardaigne) : désormais, la frontière entre Piémontais
et Autrichiens suit grosso modo le Tessin (lac Majeur).
Le dernier Habsbourg d'Espagne :
Charles II, roi d'Espagne et duc de Milan (1665-1700), sans
descendance ;
l'empereur Charles VI du
Saint-Empire, archiduc d'Autriche et duc de Milan (1711-1740)
;
Marie-Thérèse, archiduchesse
d'Autriche et duchesse de Milan (1740-1780), impératrice du
Saint-Empire en 1745-1765.
Castibeno
En ce milieu de XVIIIe siècle, Francesco
Berton a au moins deux fils : Antonio, et un petit Giuseppe né vers 1751 (plus
probablement dans les années 1740) dans la paroisse de Castibeno (diocèse de
Milan), faubourg sud-ouest de Varese situé autour d'une petite église
Saint-Victor.
(Ce toponyme d'origine celtique
apparaît sous la forme Castubinno en 899, puis Castoplinno en 959,
Kastoblenno en 1043, Castibeno/Castobenni au XIIe siècle,
Castobeno en 1346...)
Un inventaire dressé chez un notaire en septembre 1715
mentionnait justement un Francesco
Berton qui habitait (et cultivait ?) la Bosta, une ferme d'une
superficie d'une pertica (655
m2) appartenant aux Recalcati, famille
noble de Varese. Son voisin Carlo Alfieri dit il Stramazo louait aux mêmes
propriétaires un petit terrain avec deux rangées de
vignes.
Au début du siècle, le
marquis Gabrio Recalcati (1655-1731) a fait reconstruire une villa
sur les terres de sa famille (acquises vers le milieu du XVIIe
siècle), dont le blason est reproduit ci-contre.
Par ailleurs, il a agrandi la propriété, en acquérant notamment la
ferme dite La Bosta, qui se trouvait à proximité des écuries
(au-delà de l'actuelle Via Ugo Bassi : elle s'y trouve encore
aujourd'hui, mais largement modifiée), et la quasi-totalité des
vignes de Casbeno.
Dans les années 1730, les travaux d'agrandissement de la Villa
Recalcati sont poursuivis par les neveux Carlo Maria et Paolo.
Le bâtiment prendra sa forme actuelle dans les années 1770, à
l'initiative de l'héritier Antonio Luigi Recalcati (1731-1787).
Apparemment, nos Berton sont donc fermiers sur les terres du
marquis.
L'église paroissiale
Saint-Victor, construite au XIe siècle, modifiée au milieu du
XVIe, à peu près totalement reconstruite à la fin du XIXe
(il reste l'abside d'origine).
À côté de l'église Saint-Victor, la villa Recalcati, résidence bâtie au XVIIe siècle,
agrandie au XVIIIe (peu après le départ de nos Berton vers la
Vésubie), devenue "Grand Hotel Excelsior" au début du XXe, puis
siège de la préfecture de Varese depuis 1931.
Sur cette vue actuelle, on
distingue l'église paroissiale, la grande façade de la Villa et
les anciennes terres des Recalcati, bordées par la voie ferrée
Saronno-Laveno (avec la gare de Varese Casbeno) :
la ferme devait être dans
l'angle au premier plan, entre la route et le chemin de fer.
Guerre de
Succession d'Autriche
Le prochain conflit européen est la Guerre de Succession d'Autriche, dès 1740, lorsque Marie-Thérèse
revendique l'héritage du Saint-Empire et veut faire monter son mari
sur le trône. Cette fois, Habsbourg et Savoie sont alliés contre
Bourbon et Prussiens.
Les forces autrichiennes sont d'abord dirigées par Otto Ferdinand von Traun,
feld-maréchal du Saint-Empire. Une armée espagnole et napolitaine
avance vers Modène en 1741 dans l'intention de prendre le Milanais.
Dans les environs de Varese, la population subit forcément ces
événements d'une manière ou d'une autre : occupations, levée de
troupes, voire migration vers des fronts lointains...
Difficile de dire si les Berton sont concernés par les opérations
militaires qui vont suivre.
Uniformes de l'armée
autrichienne en cette époque : dragon et grenadier, cuirassiers,
hussard.
En 1743, Johann Georg Christian von
Lobkowitz succède à Traun : il devient gouverneur du duché
de Milan et commandant de l'armée impériale en Italie. Il repousse
d'abord les Espagnols de Rimini mais il est battu par les
hispano-napolitains à Velletri en août 1744.
En 1744, les Espagnols
s'allient aux Français pour envahir le Comté de Nice (Royaume
savoisien de Sardaigne). Les troupes autrichiennes partent alors en
renfort en Piémont.
Un nouveau général prend la relève en 1745 : un certain comte de Schulenburg. Les Autrichiens reprennent
Milan en 1746... En
novembre, l'alliance franco-espagnole est repoussée outre-Var. Le
roi de Sardaigne envoie en renfort le comte Maximilian Ulysses Browne, général
d'artillerie : celui-ci est nommé général en chef de l'armée
austro-sarde pour mener une offensive en Provence. Sous ses ordres,
les Austro-Sardes remontent le Var en direction d'Entrevaux. (Le
maréchal prince Joseph-Wenceslas de Liechtenstein se joindra à eux
pour les opérations en Italie en 1846.)
Les Français lancent une nouvelle offensive sur le Var en juin 1747. À l'initiative du roi
Charles-Emmanuel de Savoie, les alliés réunissent alors leurs
troupes à Borgo San Dalmazzo dans l'intention d'expulser l'ennemi du
comté de Nice. Un passage des soldats autrichiens en haute Vésubie
est également attesté à cette occasion, en août-septembre : par Entracque
et le col de Fenestre, les troupes descendent sur Saint-Martin. Mais ils seront
repoussés vers la Roya pour l'hiver.
Les Habsbourg et leurs alliés auront finalement le dernier mot, et
les troupes franco-espagnoles quittent en 1748 les territoires qu'elles occupaient. Au
passage, dans le cadre du traité
d'Aix-la-Chapelle, la frontière austro-sarde est un peu
réorganisée pour suivre strictement le lit du Tessin. Cette frontière entre
Piémont et Lombardie adopte alors la forme qu'elle gardera jusqu'à
1859.
L'archevêque de Milan rend régulièrement visite à la paroisse
Saint-Victor de Castibeno au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. En 1755, lors du passage de
monseigneur Giuseppe Pozzobonelli, quelques données statistiques
sont relevées : un seul prêtre s'occupe de la paroisse, où il a la
charge de 733 âmes au total,
dont 518 communient.
Dès son enfance, donc vraisemblablement pendant ou juste après la
guerre, Giuseppe émigre vers le Comté de Nice, avec son grand frère
(donc vraisemblablement avec les parents ?).
Comment expliquer cette migration familiale ? Leur père Francesco
aura-t-il été envoyé dans la Vésubie en 1746-1747 au sein des
troupes impériales ?
Toujours est-il qu'Antonio a un enfant
à Lantosque dès 1754.
Giuseppe va y travailler comme maçon et se marier en 1766 (ce qui laisse penser
qu'il était né avant 1751).
La descendance sarde de
Francesco Bertone (en pays niçois)
et les cousins autrichiens (Varese).
Les deux frères Antonio &
Giuseppe, mariés à Lantosque, respectivement en 1753 et 1766.
1765-1780 : vin de Casbeno à la résidence
seigneuriale de François d'Este
François III d'Este, duc de Modène et de Reggio, est nommé "seigneur
de Varese" par l'impératrice Marie-Thérèse en 1765, titre non
transmissible qu'il gardera jusqu'à sa mort en 1780.
Entre 1766 et 1777, il se fait donc construire une résidence en son
nouveau fief, entre Varese et Casbeno, agrémenté d'un jardin inspiré
de celui de Schönbrunn. Grand amateur de vin, il a une vaste
collection dans ses caves, sans négliger la production locale : le
vin de Casbeno, issu des terres du marquis de Recalcati, est
mentionné sur la table ducale en 1777.
Le Palais d'Este en 2024.
Par la suite (notamment avec l'intégration du Milanais au Royaume
d'Italie de Victor-Emmanuel en 1859), le nom de famille Berton prendra
la forme italienne Bertone ou, plus couramment, au pluriel,
Bertoni. Aujourd'hui, de nombreuses familles Bertoni sont
inhumées au petit cimetière de Casbeno (et bien d'autres figurent
dans toutes les guerres sur les monuments aux morts de Varèse).
Une dernière anecdote : au début
du XXe siècle, les cloches de Casbeno inspireront une pièce pour piano au
compositeur français Raoul Bardac.
Sources :
Archives départementales des Alpes-Maritimes
Paola Bassani, Villa Recalcati
a Varese, 2001.
Luciano Golzi Saporiti, I
toponimi del Seprio, Associazione Studi Storici
Tradatesi, 2012.
Sergio Redaelli, Varese terra
da vino, Varese, 2017.