Da Sori à Gênes


Sori (Söi

On n'a aucune certitude quant aux origines d'Angelo Dassori, qui vécut à Gênes au XVIIIe siècle.
Dassori est un nom de famille typiquement génois, orthographe moderne de la forme composée "da Sori".
Sori est une localité du littoral ligure, située au bord du torrent homonyme, entre Gênes et la péninsule de Portofino (plus précisément, il s'agit aujourd'hui d'une commune entre Pieve et Recco).

En langue ligure, le r disparaît presque complètement entre les deux voyelles, et le o, très ouvert, se rallonge : ainsi, la forme génoise de "Sori" est Söi (ce qui explique les transcriptions qui apparaîtront à Nice : Dassoi, Dassai, Dessai, Dasoi...).


                   



Gênes (Zena


Claude Gelée dit Le Lorrain, Le port de Gênes, XVIIe siècle.

Le port de Gênes au XVIIe siècle (tableau de Nicolaes Berchem).
 

Gênes en 1625. À droite, le torrent Bisagno, avec la Foce et le lazaret sur la rive opposée.
 

1662-1690 : la maison de Christophe Colomb et le bombardement de Gênes

Il n'est pas exclu que notre Angelo soit un descendant de l'Angelo da Sori qui, en 1662, entre en possession de la fameuse "maison de Christophe Colomb" située dans le faubourg Saint-Étienne, près de la Porta Soprana.
L'acte de vente, signé le 22 juin devant le notaire G.B. Badaracco, concerne 3 immeubles contigus, alors en possession de Gerolamo Lavarello, qui les avait achetés en janvier 1653 : les deux premiers composent la maison Pallavania, et le troisième est la maison Colombo. Tels sont les noms des familles qui en étaient propriétaires au XVe siècle - Domenico Colombo étant le père du navigateur.

La veuve d'Angelo da Sori, Maddalena (fille de feu Domenico Dagnino), est l'héritière de ce patrimoine. En août 1683, elle revend la partie gauche de la maison Pallavania à un certain Stefano Sciaccarame.

En 1683-1684, la France de Louis XIV mène une guerre contre les Pays-Bas espagnols et leurs alliés.
Dans ce contexte, en mai 1684, pendant le mandat du doge Francesco Maria Imperiale Lercari, la flotte française bombarde Gênes (qui soutient alors l'Espagne avec sa marine) : du 17 au 29, les édifices civils et militaires sont pris pour cible par 14 vaisseaux (768 canons et 4655 membres d'équipage), 20 galères et 10 galiotes.

 
Bombardement de Gênes par la flotte de Louis XIV en mai 1684 (Gênes, Musée de la Mer).
 

 
De même, le 10 juillet 1684, le vaisseau français Le Bon (sous le commandement du capitaine suédois Ferdinand de Relingue) affronte au large du cap Corse 35 galères espagnoles, napolitaines, génoises et siciliennes placées sous les ordres du marquis de Centurione. Après cinq heures de combat, deux galères alliées sont coulées, trois sont hors de combat ; Relingue regagne Livourne avec 90 membres d'équipage tués :


Ex-voto français commémorant le combat naval du cap Corse (Roquebrune-sur-Argens, Maison du Patrimoine).
 



Louis XIV oblige le doge à monter à Versailles en mai 1685 pour présenter des excuses.
Le Roi Soleil est tout fier de lui montrer son nouveau palais royal. À la fin de la visite, il lui demande ce qui l'a le plus étonné. Le doge répond : « Moi ici ».

Louis XIV va s'allier ensuite avec l'Empire ottoman dans une guerre qui l'opposera à quasiment toute l'Europe (guerre de la Ligue d'Augsburg, 1688-1697).
 
 
Les maisons Pallavania et Colombo ont été gravement endommagées par le bombardement. Maddalena n'ayant pas les moyens de les réparer, elle décide de les revendre. À cet effet, elle donne procuration à son descendant Paolino da Sori (le 22 août 1689), lequel revend la ruine de la Pallavania à un certain Silvestro Grimaldi en mars 1690 (pour 2200 lires). Ce dernier rachète également la partie gauche à Sciaccarame : il rase le tout et fait construire une maison unique à la place. La ruine de la maison Colomb trouve également un repreneur en mars 1690.
 
 
Les maisons Pallavania (double, fusionnée par Grimaldi) et Colombo au XIXe siècle (après reconstruction à la fin du XVIIe siècle), indiquées par des points respectivement bleu et orange. Ce sont alors les numéros 39 et 37 du Carrogio Diritto.
À leur tour, ces immeubles seront en grande partie démolis à la fin du XIXe siècle dans le cadre de la restructuration du quartier (à l'exception de la base de celle de Christophe Colomb,
relique indispensable !).

 
Aujourd'hui, la "maison de Christophe Colomb" (beaucoup plus basse que sous sa forme du XIXe s.) devant la Porta Soprana. À côté, la ruine est une pièce rapportée : il s'agit d'un vestige du couvent de Saint-André, supprimé sous Napoléon en 1797 puis utilisé comme prison de 1810 à 1902 ; au moment de démolir le bâtiment, le cloître a été sauvegardé et reconstruit ici en 1922. Ci-dessous, le point bleu indique l'emplacement de la maison des Dassori sur une vue 3D de Google Earth.

  

Notre Angelo da Sori naît une cinquantaine d'années après le grand bombardement.

La Guerre de Succession d'Autriche (1740-1748)

Pendant la Guerre de Succession d'Autriche, la République de Gênes est alliée aux Bourbon contre les Habsbourg.
Le 4 septembre 1746, les Austro-Sardes entrent à Saint-Pierre d'Arène. L'armée impériale est commandée par le général Antoniotto Botta Adorno [ci-contre].
Le 5 décembre, après trois mois d'occupation, la population se soulève. L'insurrection aurait été déclenchée dans le faubourg de Portoria par une pierre jetée sur les Autrichiens par le petit Balilla (Giovan Battista Perasso, 1735-1781). Cinq jours plus tard, Gênes est libérée.

   
Balilla, mythe révolutionnaire et anti-autrichien, exalté ici dans les années 1840, sous le règne du roi de Sardaigne Charles-Albert (Emilio Busi & Luigi Asioli).
À droite, le monument à Balilla offert à Gênes par l'Académie des beaux-arts de Turin en 1862.

La chantier naval de la Foce

Angelo da Sori a une fille, Anna Maria, née à Gênes dans les années 1760 ou 1770.

La Foce (embouchure du torrent Bisagno) est alors une commune autonome, un petit village de pêcheurs dans la banlieue orientale de Gênes. (Avec l'urbanisation du début du XXe siècle et la couverture du Bisagno en 1928-1931, elle deviendra un quartier de la ville, bordé au sud-ouest par l'ancienne muraille des Capucins et, au nord-est, par la rue Francesco Dassori.)

     
Gênes et ses murailles. À l'ouest : Saint-Pierre d'Arène. À l'est : le Bisagno et sa "Foce".


19 : Ponto Pila. 20 : Ponto Sant'Agata. Point vert : maisons Pallavania et Colombo. En rose : la Foce.

Les maisons de la Foce sont situées en bord de mer, autour d'une chapelle dédiée à Saint-Pierre, patron des pêcheurs. (La chapelle du XVIIe siècle, elle-même bâtie sur les fondations d'une chapelle très ancienne, sera détruite par la mer la nuit de Noël 1821, et remplacée par l'actuelle église Saints-Pierre-et-Bernard dans les années 1950.) Le premier pont permettant de franchir le torrent est le Ponte Pila (qui sera également détruit par les inondations en 1822)
À la Foce se trouvent un lazaret (depuis le XVe s.) et l'un des principaux chantiers navals d'où sortent les grands navires génois. L'autre est à Saint-Pierre d'Arène, de l'autre côté de la ville. Autour de 1750, ces deux sites ont construit un vaisseau de 70 canons (42 m de long), un ou deux de 64 canons et une frégate de 36 canons. (Le chantier de la Foce sera en activité jusqu'aux années 1930.)
 

Le Ponte Pila, sur l'embouchure du Bisagno (peinture du XVIIIe siècle). À droite, les fortifications de la ville de Gênes. À gauche, le faubourg de la Foce et le lazaret.
Ci-dessous, le Ponte Pila, le Ponte Sant'Agata et le faubourg de la Foce vus dans l'autre sens sur une gravure de 1769.


 
Le faubourg de la Foce et la colline d'Albaro vus des murailles orientales de Gênes.
Ci-dessous : Gênes vue du lazaret de la Foce.

 
 
Entre 1778 et 1783, un certain Paolo da Sori est "patrone" (capitaine, propriétaire et armateur), aux commandes de l'Immacolata Concezione, un "luth" d'une portée de 550 mine génoises (52 tonneaux).
 
En 1787, le patron Angelo da Sori arme le S. Antonio da Padova, un petit "paquebot" d'une portée de 2800 mine génoises (près de 270 tonneaux) battant pavillon impérial (espagnol). Le capitaine Antonio Caffarena le conduira à Málaga et Gibraltar, avec ses marchandises et des passagers (Caffarena est un nom de famille typique de Málaga). Ce bateau est beaucoup plus petit que les véritables paquebots utilisés alors par les Espagnols comme navires de ligne entre la péninsule ibérique et les colonies américaines. Apparemment, l'armateur génois loue cette embarcation pour effectuer une course intérieure en Méditerranée.

      
Plusieurs exemple de pinque génoise, à gréement latin ou carré.
 

 
Le 7 août 1788, un gros chebec barbaresque au gréement mixte (voiles latine et carrées) apparaît au large d'Antibes : les pirates s'emparent d'une tartane napolitaine, qu'ils pillent et abandonnent. Le 8, ils attaquent un brigantin génois au large du cap Roux ("Punta Garousse") : c'est un navire d'une charge de 2000 mine génoises, avec un équipage de 6 personnes, commandé par le patron Angelo da Sori (originaire de la Foce). Les Génois sont obligés d'abandonner leur navire (ils le récupéreront quelques jours plus tard, échoué sur le rivage).


Un navire marchand génois affrontant des corsaires algériens en 1763.

 
Le 17 juin 1790, le patron Luigi da Sori (de Saint-Pierre d'Arène), commandant la pinque génoise Nostra Signora del Rosario, avec un équipage de 20 marins, appartenant à un monsieur Gnecco, rencontre une grande galère barbaresque au large de Rosas en Espagne. Les assaillants sont 96. Les Génois sont sauvés (un seul blessé) grâce à l'intervention armée du patron Tommaso Bollo (de Deiva), qui tue 23 Algériens et en blesse 17 (dont le Rais).

  
Une pinque génoise attaquée par une galère et une galiote barbaresques à la fin du XVIIIe siècle (détails). On voit que les Ottomans sont beaucoup plus nombreux.



C'est à cette époque que Maria Dassori quitte son pays pour s'établir à Nice : en 1788, elle y épouse le marin Andrea Cagnoli, dont le père est au service de la marine royale des États-Sardes.
 


 
 
Tombeau d'une famille Dassori au cimetière de Gênes (1905).
Au XXe siècle, un certain Francesco Dassori, propriétaire, donne son nom à une rue des nouveaux quartiers (Foce-Albaro).


Sources :
Archives départementales des Alpes-Maritimes
Marcello STAGLIENO, Sulla casa abitata da Domenico Colombo in Genova, Genova, 1885.
Francesco BIGA, "Episodi marinareschi e provvedimenti antibarbareschi del Piemonte e della Liguria a cavalo dei secoli XVIII e XIX", in
Corsari "Turchi" e barbareschi in Liguria: atti del 1o Convegno di studi, Ceriale, 7-8 giugno 1986, Ceriale : Amici di Peagna, 1987, pp. 183-218.
Luciana GATTI, Navi e cantieri della Repubblica di Genova (secoli XVI-XVIII), Genova : Brigati, 1999.