A.E. Housman

Derniers poèmes

1922

(Extraits)



Nous n’irons plus aux bois,
Les lauriers sont coupés,
Nulle baie sous les branches
Qui couronnaient les Muses ;
Le jour sous l’an s’abrège
La soirée va tomber :
Les lauriers sont coupés,
Nous n’irons plus aux bois.
Las ! jamais, plus jamais
Pour ces bois aux grands feuillages,
Bois sauvages de lauriers
Ployant sous les baies – jamais.

We’ll to the woods no more,
The laurels are all cut,
The bowers are bare of bay
That once the Muses wore;
The year draws in the day
And soon will evening shut:
The laurels all are cut,
We’ll to the woods no more.
Oh we’ll no more, no more
To the leafy woods away,
To the high wild woods of laurel
And the bowers of bay no more.

I. L’ouest

Par-delà les landes et crêtes
– Ami, détourne-toi de l’ouest –
Le soleil tombe en emportant
La lie du jour sur terre et vent.

Pin solitaire et long nuage
Veillent sur la ligne finale,
Et au-delà, pâles et clairs,
Tendent vers les golfes du soir.

Le fils de femme se détourne
À l’ouest de quarante contrées,
Et, observant l’orée des cieux,
Soupire à d’éternels pensers.

Vaste monde ! errance ou repos,
Changement là-bas, joie chez soi,
Combats, permissions, bavardages,
Compagnons, bœuf et bière à boire.

Si au ciel du soir je fais face,
Je contemple l’ouest en silence ;
Et mon ami, pas après pas,
Marche en silence auprès de moi,

Ami, détourne-toi de l’ouest :
Ton cœur quitterait ta poitrine ;
Tes pensées se noieraient au loin,
À des lieues du trait du couchant.

Mon gars, voilà la mer, je crains,
Où l’on nous pêcha toi et moi ;
Là d’où nous fûmes capturés,
Nous y retournerons noyés.

N’envoie pas ton âme devant
Plonger d’un séduisant rivage ;
Que le nageur ne laisse pas
Ses habits aux sables du soir.

Trop vite à la funeste grève
Nous allons, au règne englouti,
Rincer les tons pâlis qu’observent
D’autres gars en cette vesprée.

Vaste monde ! errance ou repos,
Et il est trop tôt pour rentrer :
Talon en terre, reste ici,
Oublions le natal pays.

Toi et moi séparés en l’air
Longtemps nous serons étrangers ;
Mieux vaut une amitié charnelle :
Ami, détourne-toi de l’ouest.

I. The West

Beyond the moor and the mountain crest
—Comrade, look not on the west—
The sun is down and drinks away
From air and land the lees of day.

The long cloud and the single pine
Sentinel the ending line,
And out beyond it, clear and wan,
Reach the gulfs of evening on.

The son of woman turns his brow
West from forty countries now,
And, as the edge of heaven he eyes,
Thinks eternal thoughts, and sighs.

Oh wide’s the world, to rest or roam,
With change abroad and cheer at home,
Fights and furloughs, talk and tale,
Company and beef and ale.

But if I front the evening sky
Silent on the west look I,
And my comrade, stride for stride,
Paces silent at my side,

Comrade, look not on the west:
‘Twill have the heart out of your breast;
‘Twill take your thoughts and sink them far,
Leagues beyond the sunset bar.

Oh lad, I fear that yon’s the sea
Where they fished for you and me,
And there, from whence we both were ta’en,
You and I shall drown again.

Send not on your soul before
To dive from that beguiling shore,
And let not yet the swimmer leave
His clothes upon the sands of eve.

Too fast to yonder strand forlorn
We journey, to the sunken bourn,
To flush the fading tinges eyed
By other lads at eventide.

Wide is the world, to rest or roam,
And early ‘tis for turning home:
Plant your heel on earth and stand,
And let’s forget our native land.

When you and I are split on air
Long we shall be strangers there;
Friends of flesh and bone are best;
Comrade, look not on the west.

X

L’homme fût-il toujours grisé

    De vin, d’amour ou de bagarres ;

Je me réveillerais serein,

    Serein me coucherais le soir.

 

Mais l’homme est sobre à l’occasion,

    Alors il pense non sans heurts ;

Et lorsqu’il pense, il entrelace

    Ses mains en travers de son cœur.


X

Could man be drunk for ever

    With liquor, love, or fights,

Lief should I rouse at morning

    And lief lie down of nights.

 

But men at whiles are sober

    And think by fits and starts,

And if they think, they fasten

    Their hands upon their hearts.

XI

Voici que le jour s’est levé :
Et moi je dois en faire autant,
Pour m’apprêter, boire et manger
Considérer, causer, penser
    Travailler, tout le temps.

Souvent je me suis apprêté
Pour un résultat éphémère.
Qu’on me laisse donc alité :
Dix mille fois j’ai essayé
    Et tout est à refaire.


XI

Yonder see the morning blink:
    The sun is up, and up must I,
To wash and dress and eat and drink
And look at things and talk and think
    And work, and God knows why.

Oh often have I washed and dressed
    And what’s to show for all my pain?
Let me lie abed and rest:
Ten thousand times I’ve done my best
    And all’s to do again.


XII

Aux lois de l’homme, aux lois de Dieu,
Qu’obéisse qui veut, qui peut ;
Pour ma part : Dieu et l’homme passent
Des lois pour eux — grand bien leur fasse ;
Et si mes voies des leurs diffèrent,
Qu’ils s’occupent de leurs affaires.
Je condamne leurs actes, moi,
Mais je n’impose point mes lois !
Faites-vous plaisir, dis-je, et eux
Ils n’ont qu’à détourner leurs yeux.
Or non : voici qu’ils font ployer
Leur prochain sous leur volonté,
Et me font danser à leur aise
Des fers à l’enfer et ses braises.
Et comment ne trouver odieux
Le diabolisme en l’homme, en Dieu,
Étranger, apeuré au sein
D’un monde qui n’est pas le mien ?
Ils règnent, à raison ou tort,
Tout aussi sots, tout aussi forts ;
Il n’est de fuite, ô âme pure,
Ni sur Saturne ou sur Mercure :
Nous devons, tant que se peut faire,
Céder à ces lois étrangères.


XII

The laws of God, the laws of man,
He may keep that will and can;
Now I:  let God and man decree
Laws for themselves and not for me;
And if my ways are not as theirs
Let them mind their own affairs.
Their deeds I judge and much condemn,
Yet when did I make laws for them?
Please yourselves, say I, and they
Need only look the other way.
But no, they will not; they must still
Wrest their neighbour to their will,
And make me dance as they desire
With jail and gallows and hell-fire.
And how am I to face the odds
Of man’s bedevilment and God’s?
I, a stranger and afraid
In a world I never made.
They will be master, right or wrong;
Though both are foolish, both are strong,
And since, my soul, we cannot fly
To Saturn or Mercury,
Keep we must, if keep we can,
These foreign laws of God and man.


XIV. Le coupable

La soirée où je fus conçu,

Mon père était bien loin de moi :

Il ne se donna pas la peine

D’imaginer qu’un jour je sois

    Le fiston que voilà.

 

Le jour où je naquis, ma mère

Se félicita follement,

Quoique je la fisse souffir,

De donner naissance à l’enfant

    Naissant à cet instant.

 

Ma mère et mon père tous deux

Loin du jour ils sont étendus ;

Le mandat ne peut les atteindre,

C’est moi seul qui suis attendu

    Et qui serai pendu.

 

Ô que l’homme ne se souvienne

De cette âme oubliée de Dieu :

Prenez le foulard du comté,

À mon cou faites-en un nœud,

    Je pourrirai sous peu.

 

C’est ainsi que prend fin ce jeu

Dont le début fut une erreur.

Mon père et ma mère tous deux

Ils avaient un fils prometteur,

    Je n’ai pas cet honneur.

XIV. The Culprit

The night my father got me

    His mind was not on me;

He did not plague his fancy

    To muse if I should be

    The son you see.

 

The day my mother bore me

    She was a fool and glad,

For all the pain I cost her,

    That she had borne the lad

    That borne she had.

 

My mother and my father

    Out of the light they lie;

The warrant would not find them,

    And here ’tis only I

    Shall hang so high.

 

Oh let not man remember

    The soul that God forgot,

But fetch the county kerchief

    And noose me in the knot,

    And I will rot.

 

For so the game is ended

    That should not have begun.

My father and my mother

    They had a likely son,

    And I have none.


XXXVIII

Reste, mon gars, et creuse tes sillons
    En terre et non en mer,
Laisse donc aux soldats leur exercice,
Et par la colline aux douces délices
    Ensemble pâturons.

Chez nous reste en joyeuse compagnie
    Et au grand air du jour ;
Les tombes déjà par trop pleines sont
De gens qui étaient courageux et bons
    Au point qu’ils en moururent.

XXXVIII

Oh stay at home, my lad, and plough
    The land and not the sea,
And leave the soldiers at their drill,
And all about the idle hill
    Shepherd your sheep with me.

Oh stay with company and mirth
    And daylight and the air;
Too full already is the grave
Of fellows that were good and brave
    And died because they were.



A.E. Housman, Last Poems (1922).
Poèmes traduits de l'anglais par Sébastien Cagnoli (©2010-2021).
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