L'hymne national komi

1990-1994 : proclamation de la république

En 1990, la RSS autonome de Komi s'est proclamée "RSS de Komi" et a procédé à l'élection démocratique de son Soviet suprême. Suite à la dissolution de l'URSS, la république de Komi est établie en 1992 comme état membre de la fédération de Russie, et sa constitution est ratifiée en 1994. Se pose alors la question des symboles de la république, et notamment de l'hymne national.
Un concours est organisé aussitôt. Le jury reçoit une quarantaine de propositions. Deux sont retenues : l'une du compositeur Aleksandr Ročev, et l'autre d'un musicien amateur d'Ust-Kulom, Vasily Guščina. Le jury hésite entre les deux mélodies... Intervient alors le compositeur Aleksandr Gorčakov, qui suggère de les rejeter toutes deux et d'adopter tout simplement la mélodie d'une vieille chanson de Viktor Savin, « Varyš poz » (Варыш поз, « L'aire des aigles »). Le poète komi Viktor Savin, mort en déportation en 1943 (pour "activité contre-révolutionnaire"), avait été réhabilité en 1955.
Mihail Hertzmann, président de l'Union des compositeurs, est chargé d'orchestrer la chanson.
Le 6 juin 1994, le parlement approuve la loi qui établit l'hymne national de la république de Komi.

1994-2006 : un hymne sans paroles

Pendant plus de dix ans, l'hymne national est ainsi joué sans paroles à toutes les occasions officielles.

En mars 2005, le problème des paroles n'est toujours pas résolu. Plusieurs propositions ont été faites. Celle de l'écrivain Vladimir Timin a été remarquée (accompagnée d'une version russe par le poète Aleksandr Suvorov (Александр Суворов))...
Mais en août 2005, pour la fête nationale, l'hymne est encore exécuté sans paroles.

2006 : le feuilleton de la mise en mots

Début 2006, on prend les choses en main. Le 13 avril, le Parlement annonce que les fêtes du 85ème anniversaire seront bel et bien célébrées au son de l'hymne national, avec des paroles : un concours officiel est organisé. Pour stimuler la veine patriotique des poètes, on promet 10 000 roubles à l'auteur du texte qui sera retenu. Le texte pourra être écrit dans l'une ou l'autre des langues officielles (komi ou russe), l'objectif étant de constituer un chant bilingue avec deux couplets en komi suivis de deux couplets en russe (ou au maximum trois et trois). Les candidats doivent remettre leurs textes au plus tard le 16 mai. Un groupe de travail est constitué pour mener à bien cette tâche avant l'été.
Bizarrement, le Parlement annonce peu après que six textes ont été sélectionnés (dont celui de Timin, évidemment), et que le groupe de travail doit se prononcer le 4 mai (alors que le concours est ouvert jusqu'au 16 !?).

Lors des délibérations du 4 mai, deux textes sont retenus : ceux de Gennadij Juškov et Vladimir Timin. Mais les autres candidats peuvent encore réviser leurs propositions pour les soumettre à nouveau au jury dans une semaine. Il est décidé que l'hymne définitif sera exécuté et enregistré par le choeur de l'ensemble de chant et de danse  "Asja kya" (Асъя кыа, c'est-à-dire "l'aube du matin").
Le 11 mai, la commission doit se prononcer entre trois textes : ceux de Gennadij Juškov et de Vladimir Timin, ainsi que celui de Vasily Lodygin, qui est réexaminé. Le vainqueur est désigné : il s'agit de Vladimir Timin, pour ses couplets en langue komie. En revanche, les couplets russes (proposés par Andrej Rastorguev et Aleksandr Suvorov) ne satisfont pas la commission, et de nouvelles versions devront être proposées d'ici le 18 mai.
Le 18 mai, la commission examine les nouvelles versions des textes russes proposées par les poètes Alexandr Suvorov, Andrej Rastorguev et Valerij Vjuhin. Mais ces nouvelles versions ne donnent toujours pas satisfaction. Torlopov conseille de ne pas se hâter et de prendre le temps d'élaborer le meilleur texte possible. Certains proposent au passage d'abandonner tout à fait les couplets russes, et de ne chanter l'hymne qu'en langue komie.
Le 24 mai, on apprend la participation d'un nouveau candidat pour le texte russe : une certaine "Aleksandra Kaneva" (Александра Канева).
Le 9 juin, on apprend dans la presse que la mystérieuse candidate Aleksandra Kaneva s'avère être une musicologue komie renommée : Aleksandra Šergina (Александра Алексеевна Шергина, *1948) !

Voici le texte d'Aleksandra Šergina :

Север, наш родимый край,
Глубоки твои снега,
Холодны твои ветра,
Высока твоя тайга!

Нас несут через века
Соколиные крыла.
Верим мы, твоя судьба
Благодатна и светла!
et celui d'Aleksandr Suvorov :

Песни северных ветров
Парма древняя поет.
Златокрылая заря
Над родной землей встает.

Вы несите нас вперед,
Крылья жизни, сквозь века.
Коми край! Твоя судьба
И светла, и высока.

Le 13 juin, le Parlement annonce que l'hymne définitif sera interprété en komi et en russe lors de la séance du 22 juin.

Le 22 juin 2006, la commission retient le texte russe de Šergina, après avoir arbitrairement altéré les deux derniers vers en s'inspirant de ceux de Suvorov. Šergina et Suvorov sont donc officiellement (et à leur insu) co-auteurs du texte russe de l'hymne. Le Parlement valide intégralement l'hymne national, interprété en séance par l'ensemble Asja Kya.
La commission a emprunté à Suvorov l'expression "Коми край", dans l'avant-dernier vers (pour traduire "Коми му", le pays komi, la terre komie) en écho au premier vers de la version de Šergina : le mot est important, car "край" signifie à la fois "territoire" et "extrémité", ce qui évoque avec une remarquable concision la situation du pays, aux confins de l'Europe, pour ainsi dire au bout du monde. L'idée est la même que dans le premier vers komi ("ылын-ылын Войвылын", c'est-à-dire "loin, loin au Nord"). L'hymne des Komis ne chante pas seulement "notre pays" (comme celui des Finlandais et des Estoniens, par exemple), mais plus précisément "notre pays au bout du monde".


Le texte

Варыш поз / Соколиное гнездо


Ылын-ылын Войвылын
Джуджыд парма сулалö.
Парма шöрын варыш поз
Кыпыд горöн шыалö.

Лэбзьöй, повтöм варышъяс,
Вына бордъяс шеныштлöй,
Веськыд туйöд нуöдöй,
Коми мусö югдöдöй!

Север, наш родимый край,
Глубоки твои снега,
Холодны твои ветра,
Высока твоя тайга!

Нас несут через века
Соколиные крыла.
Коми край, твоя судьба
Благодатна и светла!

L'aire des aigles


Loin, très loin, au Septentrion
Haute se dresse la taïga.
Dans la taïga, l’aire des aigles
Parle à voix forte et enjouée.
 
Volez, ô aigles intrépides,
Prenez élan, robustes ailes,
Menez-nous par une voie droite,
Éclairez le pays komi !
 
Ô Nord, notre pays natal,
Grande est l’épaisseur de tes neiges,
Glacé le souffle de tes vents,
Haute se dresse ta taïga !
 
De siècle en siècle et d’âge en âge
Nous portent les ailes de l’aigle.
Pays komi, ta destinée
Est toute de grâce et clarté !

Musique : Viktor Savin, adaptée par Mihail Hertzmann.
Texte : Viktor Savin, adapté par Vladimir Timin (komi), et par Aleksandra Šergina et Aleksandr Suvorov (russe).


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