En
mars 1911, Savin part pour pour Krivoi Rog (en Ukraine),
où il
travaille dans les bureaux de la mine de fer de Rahmanovka,
puis dans ceux de la mine de Červonyj. En
1914, quand
éclate la Grande guerre, il est expédié
à
Kherson, mais bientôt
démobilisé pour des raisons de santé.
Il retourne alors travailler dans une mine en tant
qu'"employé
de
bureau expérimenté".
Après la Révolution de février 1917, Savin
est élu au comité minier,
et il participe à des spectacles d'amateurs. C'est
là que
commence son activité littéraire. Il
écrit deux petites pièces : l'une en russe,
l'autre en
ukrainien.
Quand les troupes allemandes envahissent l'Ukraine, le travail
à
la
mine est interrompu, et Savin retourne en juin
1918 auprès de sa famille à Ńobdino.
Guerre civile
En juillet, la recherche d'emploi conduit Savin à
Ust-Sysolsk
(Усть-Сысольск, future Syktyvkar), où il va travailler
comme
employé de bureau à la "Commission extraordinaire
de
lutte contre la contre-révolution et le
sabotage".
A partir de 1918, il s'intéresse beaucoup à la
culture
komie, et
il va se mettre à écrire en langue zyriène.
Son
premier poème, composé le 17 août
1918, est imprimé dès le lendemain dans le journal
local
"La
vie zyriène", sous le pseudonyme
Ńobdinsa Vittor (Нёбдiнса
Виттор,
i.e. "Victor de Ńobdin"), qui sera désormais son nom de
plume.
Le poème s'intitule
"Горд
звон"
(Le son rouge) et
illustre les convictions politiques
de l'auteur, appelant à ne pas céder à
l'ennemi
(c'est-à-dire aux gardes blancs et à leurs
alliés)
la patrie chérie et la liberté.
La Commission extraordinaire d'Ust-Sysolsk avance vite :
à la prison locale on
détient une série de personnes qui refusent
obstinément de "collaborer avec le peuple" (notamment les
partisans de l'ancien gouvernement temporaire
révolutionnaire) ;
une partie des détenus est expédiée
à
Kotlas (Котлас), où certains sont fusillés...
En octobre 1918, Savin adhère au parti communiste. Il
continue
d'écrire, de publier des poèmes... Dans la
deuxième moitié de 1918, il écrit ses
premières pièces en langue zyriène :
Корасьысь
(Demande en mariage) ;
Гудрасьöм (Tumulte), adaptation de
sa
pièce ukrainienne
Бувальщина
; et
Ыджыд
мыж
(Une grande faute), également sur des thèmes
ukrainiens.
Savin et la politique
Pour le premier anniversaire de la révolution d'octobre,
Savin écrit le poème
"Чолöм"
(Salut). La
célébration de cet anniversaire va avoir un impact
considérable sur la carrière de Savin. Pendant la
célébration à
Ust-Sysolsk éclate un conflit entre les chefs
du district ; l'affaire en arrive à des arrestations
(Savin
remplit certains
mandats d'arrêt), à des menaces de fusillade et
à
l'introduction de la loi martiale dans la ville.
Finalement, tous les membres du comité exécutif,
de la
Commission extraordinaire et du bureau de recrutement du
district sont
destitués. En décembre 1918, lors du premier
Congrès des communistes du district d'Ust-Sysolsk, Savin
est
élu président
de la Commission extraordinaire, et membre du comité de
rédaction de "La vie zyriène". Le voilà
projeté dans les premiers rangs de la vie politique du
district.
En novembre 1918, le service de l'éducation publique du
district
a
créé une commission dont la fonction consiste
à
favoriser la récolte et la
création d'oeuvres littéraires en langue
zyriène,
et à préparer des manuels pour les écoles
komies.
Savin est bientôt invité à travailler avec
cette
commission, dont les membres
se réunissent presque chaque soir pour discuter d'oeuvres
diverses. Il leur soumet les poèmes
"Пернапас" (Le signe de la
croix),
"Горд ань"
(La
femme rouge), etc. En même temps, il forme une troupe de
théâtre amateur, qui
monte dès la fin de 1918 ses vaudevilles
Корасьысь
et
Гудрасьом. En
février 1919, il monte le drame
Ыджыд мыж.
En mars 1919, Savin participe au deuxième Congrès
de
district
des communistes (par la suite, ces Congrès
seront appelés "Conférences"). En
avril, il est élu secrétaire du comité
exécutif du district. En juin, lors de la
troisième
Conférence, Savin est élu secrétaire du PC
du
district. A l'ordre du jour, il y a en priorité la
mobilisation
des forces des communistes pour la conduite des
hostilités
contre les détachements blancs.
Petit à petit l'oeuvre littéraire occupe dans la
vie
de Savin une place prépondérante. Il
continue d'écrire des poèmes et des chansons. En
1919, sa chanson
"Югыд кодзув"
(
L'étoile
brillante) est un grand succès. Le 24
octobre, on représente à Ust-Sysolsk sa
première
grande
pièce,
Шондi
петiгöн
дзоридз косьмис, où il joue le rôle
principal.
Au début de 1920, Savin est en tournée dans des
villages
avec sa troupe
de théâtre. En mai, lors de la cinquième
Conférence, il est réélu au comité
de
district et reste secrétaire du PC. En juillet, le PC, le
Komsomol, les Conseils et les
syndicats, décident de convoquer le premier
Congrès pour
la discussion des questions
culturo-politico-économiques de tout le peuple komi.
Savin est
chargé, avec deux autres personnes, de préparer le
congrès.
Premières réprimandes
Savin, ces années-là, néglige un peu son
travail au PC. En janvier 1921, il est élu au
Comité
régional du PC ; en 1921 il participe aux
séances de ce Comité régional ; mais en
janvier
1922, lors de la 2ème conférence régionale
du PC,
il ne figure plus sur les listes des candidats.
L'écriture et le
journalisme lui prennent tout son temps, de
sorte qu'il a commencé à venir moins
régulièrement aux réunions des
communistes, ce qui est jugé impardonnable : en 1923, il
reçoit une
réprimande, et en 1925 une "réprimande
sévère".
Fondation du théâtre komi d'Ust-Sysolsk
Le 25 janvier 1921
a lieu à Ust-Sysolsk une réunion des artistes
amateurs de la ville, qui écoutent un exposé de
Savin sur
l'importance du théâtre en général,
et en
particulier
pour le peuple komi, comme moyen d'élever le niveau
culturel et d'approfondir la
conscience des masses. Il est décidé de
créer une
troupe komie en résidence à
Ust-Sysolsk,
nommée "Syktyvkarsa Komi Teatryn Vorsys Čukor" ("la
troupe des
acteurs de théâtre komi d'Ust-Sysolsk"), en
abrégé "Sykomtevčuk" (Сыкомтевчук), dont la
tâche
sera de monter des pièces écrites ou traduites en
langue
komie.
En février, cette décision
est ratifiée par l'administration du district. Dans les
années 1920, Savin va écrire ainsi quelques
pièces
pour la troupe :
Райын (
Au
paradis, 1921),
Тшын (
La
fumée, 1922),
Инасьтом лов
(
Une âme en peine,
1926),
Кулöмдiнса бунт (
L'insurrection
d'Ust-Kulom, 1927),
Парма ныв (1929)
, etc.
En dehors de ses activités théâtrales, Savin
continue
d'écrire
des chansons, notamment
"Том
войтыр,
садьмой",
"Öтчыд
овлö",
"Варыш поз" (
L'aire des
aigles),
"Тувсов вой", etc.
Plusieurs
ont
été accueillies avec enthousiasme non seulement
auprès des Zyriènes, mais aussi
auprès
des Permiaks (Savin se rend en Permiakie
en 1929). Premier compositeur komi, Savin met en musique non
seulement
ses propres poèmes,
mais
aussi des textes d'autres auteurs, notamment Mihail
Nikolajevič Lebedev.
Les années 1920 marquent le sommet de la carrière
littéraire de Savin. En 1922 sont publiés ses
trois premiers livres : la comédie
Райын, le drame
Шондi петiгон дзоридз косьмис
et le
poème
"Аркирей"
(L'évêque). En 1924, ses poèmes paraissent
en
recueil :
Сьылан-лыддянъяс
(Chansons et poèmes).
Par la suite, il publie de nouveaux livres presque chaque
année
(surtout des pièces), dans les journaux et les
revues sont publiés constamment des poèmes, des
récits, des essais sur des sujets variés. La
poésie lyrique, la description (souvent avec humour) de
la vie
quotidienne du peuple komi est probablement le meilleur de sa
production. Mais plusieurs de ses oeuvres
résultent de commandes du parti, avec le devoir de porter
un
regard
communiste sur n'importe quel phénomène de la
vie... Cela
dit, au delà de leur caractère idéologique,
ces
oeuvres
témoignent de la
maîtrise poétique de l'auteur.
L'association des écrivains prolétariens komis
(1926-1932)
Le 12 mars 1926 a lieu une réunion d'organisation, qui
décide de créer l'Association des Ecrivains
Prolétariens Komis. Savin participe à cette
réunion et est élu
au conseil d'administration temporaire de l'AEPK. En août
de la
même année, lors de la
première Conférence régionale de l'AEPK,
Savin
est élu au conseil d'administration. A l'automne de 1926,
on
commence à publier des revues, notamment "Ордым", dont
Savin
devient membre du comité de
rédaction. A la seconde Conférence
régionale de
l'AEPK, en septembre 1928, Savin
est réélu au conseil
d'administration.
Au printemps de 1930, la revue "Ленин туйод" publie l'article
"Pour
la culture socialiste", dans lequel on reproche aux
belles-lettres
komies
de développer des idées nationalistes. En
particulier, si l'article reconnaît Ńobdinsa Vittor comme
un
chantre des travailleurs komis, on lui reproche de perdre de vue
le fil
conducteur que devrait constituer le combat du
prolétariat. On
trouve dans sa pièce
Рытъя des
idées de
droite. Le conseil d'administration de l'AEPK a exprimé
aussi
des
critiques à l'adresse de cette pièce. La
troisième conférence de l'AEPK, en octobre 1930,
critique
Savin pour ne pas avoir su, dans
Рытъя,
examiner et montrer de nouvelles formes de la lutte des classes
dans le
village. Néanmoins le poète est élu au
conseil
d'administration de l'AEPK, et il reste membre du Conseil de
rédaction de la revue "Ордым". Mais en 1932,
le conseil d'administration de l'association est
congédié.
La carrière littéraire de Savin dans les
années 1930
En octobre 1930, à l'initiative Savin, est
créé
une troupe de théâtre professionnel
komi itinérant édifiant (rebaptisé en 1931
"théâtre dramatique d'Etat
komi"). Mais dans les années 1930 le
théâtre
occupait déjà moins de place dans la vie de Savin.
A
partir de 1931, il considère lui-même que son
activité dramatique s'est complètement
arrêtée. Il montera encore deux nouvelles
pièces,
Арт (Le
bilan) et
Моль.
Dans les
années 1930, il traduit
Le
serviteur de
deux
maîtres de Goldoni,
L'Inspecteur
de Gogol, etc. Il
travaille aussi sur des oratorios (avec chansons, poèmes,
numéros de danse, etc.), mais l'absence de la formation
musicale l'empêche de mener ce projet à son terme.
En 1931-1932, les oeuvres Savin sont publiées en deux
volumes.
En
1933, il compose son chef-d'oeuvre, le poème
"Syktyvkar". En octobre
1933, on
célèbre le 15
ème anniversaire
de son activité littéraire. En avril 1934, il
participe
à la première Conférence régionale
des
écrivains soviétiques, où il est élu
au
conseil d'administration. Dans
les années 1930, il travaille un peu à la radio.
1935 va être une année difficile pour Savin. En
janvier,
l'organisation primaire du parti communiste demande son
exclusion : on
lui reproche, entre autres, de
s'éloigner du
parti, de ne pas remplir son le rôle
d'avant-garde dans l'Union des écrivains... et de boire.
Il
venait de recevoir en 1934 une "réprimande avec
dernière
prévention"... Savin attend la suite des
événements avec appréhension.
En mars, il est accusé de "national-chauvinisme", mais le
bureau
du Comité régional
du PC, décide de le garder dans les rangs du parti, avec
l'intention "d'inciter le camarade
Savin au travail créateur" et de faire de lui un bon
écrivain soviétique. Fin mai 1935, il participe au
premier Congrès des écrivains
soviétiques nordiques à Arkhangelsk.
En 1936, il est décoré parmi "les gens notables,
les
stakhanovistes et les excellents élèves
de la construction socialiste" ; mais la
même année, il est exclu du PC. En outre, il tombe
malade
plusieurs fois ; il est hospitalisé, et les
médecins le certifient "invalide au deuxième
degré". En juin 1937, le journal "Ворлэдзысь" publie un
de ses
derniers
articles, "La RSSA de Komi", consacré au projet de
constitution
de la république. Durant l'été de la
même
année, Savin va se faire soigner à Kislovodsk.
Répression et déportation (1937-1943)
En septembre 1937, la direction du théâtre
dramatique
s'exprime dans le journal "Pour un nouveau nord" avec des
accusations rudes à l'adresse du poète et
dramaturge,
en lui reprochant de ne pas donner au théâtre toute
l'attention
voulue. Il répond qu'il continue
activement à travailler sur de nouvelles pièces.
En
particulier, en 1937, il travaillait sur une pièce
intitulée
La forteresse,
qui raconte la construction d'une usine hydroélectrique
sur la
rivière Vojvož (Войвож)... Le contenu
idéologique de la pièce est fortement
affecté par
l'atmosphère politique des années 1936-1937 :
atmosphère de paranoïa à l'égard des
saboteurs, des ennemis, des trotskistes... La pièce est
achevée le 3 octobre 1937. Le 8 octobre,
Savin est arrêté.
Il subit deux interrogatoires, en octobre
1937 et en mars 1938. On l'accuse de participer à
"l'organisation contre-révolutionnaire
bourgeoise-nationaliste" et de mener "la lutte pour la
création
d'une république komie bourgeoise". Savin rejette ces
accusations. Le 7 juillet 1938, il est condamné à
cinq années de réclusion dans les camps pour
"activité
contre-révolutionnaire". Il est d'abord
expédié
au camp de Vorkutstroya (Воркутстроя). En septembre 1940, il est
transféré au camp de travail
d'Adak (Адак), sur l'Usa.
Le 8 octobre 1942, le délai de sa réclusion a
expiré,
mais Savin se trouve toujours à Adak. Les
autorités de camp demandent aux "maîtres des
destinées" de la RSSA de Komi ce qu'il faut faire de
Ńobdinsa
Vittor. On leur répond que le retour de Savin
à Syktyvkar est indésirable. Le 3 février
1943,
Savin est expédié au camp de travail de Kožva
(Кожва).
Puis on le transporte en Sibérie : le 9 avril 1943, il
arrive au
camp de travail de
Prikulka (Прикулька, à 50 km de Tomsk). Il est
tombé
malade en chemin, et on le place à
l'infirmerie du camp.
Savin ne sortira pas de l'infirmerie : il meurt le 11
août 1943. (Il sera réhabilité en 1955.)
(d'après
I. L. Zherebcov)