Lorenzi & Guala : des familles déracinées


Les Lorenzi, de Vintimille à Nice

Fils de Pietro Lorenzi et de Maria Lorenzi, Antonio est né à Vintimille (à la fin de l'occupation française ou juste après).
La République de Gênes avait été occupée par Bonaparte à partir de 1797. Depuis 1815, le littoral ligure, vestige de ce pays génois démantelé par le Congrès de Vienne, fait partie des États-Sardes, au même titre que le Comté de Nice ou le Piémont.

  
Vues de Vintimille en 1829 et 1832, paysages typiques du littoral ligure, par William Brockedon et James Duffield Harding.

Antonio "Lorenzo" grandit à Nice sous la Restauration et devient maçon. Il est sans doute arrivé avec ses parents dans les années 1820 (en tout cas, après le recensement de 1822). 

Le 4 septembre 1836, il épouse (paroisse Saint-Jacques) Maria Theresia Blanchi, une blanchisseuse niçoise originaire de la campagne de Magnan.
Ils résident au 6 rue Centrale, près du pont Saint-Antoine.
Ils vont avoir deux enfants :  Gioan Battista le 20 octobre 1837 et Rosa en avril 1844.

Gioan Battista "Laurenzo" deviendra maçon, comme son père.

Les Guala, de Verceil à Nice

Giovanni Guala et Teresa née Soragna résident à Verceil, en Piémont.
La ville est une ancienne cité romaine et le siège d'un évêché depuis le IVe siècle. Intégrée aux États de Savoie au XVe siècle, la région de Verceil est notamment le centre majeur de la riziculture en Europe (encore aujourd'hui).

Guala est un prénom d'origine germanique (lombarde), extrêmement rare mais porté par quelques personnalités au Moyen-âge, notamment Guala Bondoni, évêque de Verceil en 1170-1182 ; un evêque de Savone (originaire d'Asti) en 1199 ; le cardinal Guala Bicchieri (v.1150-1227), fondateur de la basilique Saint-André de Verceil ; le bienheureux Guala de Roniis (v.1180-1244), moine dominicain originaire de Bergame et évêque de Brescia. Dès 1039, un certain Guala a reçu de l'empereur Conrad II la confirmation de la possession de ses terres à Casalvolone (fief à 8 km au nord-nord-est de Verceil, outre-Sesia), incluant des gisements aurifères. Guala est aussi le nom d'une localité proche de Bielle, dans les montagnes au nord-nord-ouest de Verceil. Il est resté en usage comme nom de famille, principalement en Piémont. Un Pier Francesco Guala originaire de Casale Monferrato (1698-1757) s'est distingué comme peintre dans la région.
En 1761, un Giovani Guala a fondé une société d'exploitation minière à Alagna, dans les hauteurs du Val Sesia [il pourrait être le grand-père de notre Giovanni], en collaboration avec un Turinois et deux autres personnes d'Alagna ; il supervise des travaux dans les mines d'Alagna dans les années 1760. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, un autre Giovanni Guala sera archiviste de la ville de Verceil, et Luigi Guala (1834-1893) et son frère Carlo deviendront sénateurs du Royaume d'Italie.
Soragna est le nom d'une ancienne principauté située entre Parme et Plaisance. Le patronyme est discrètement parsemé dans la plaine du Pô. 

  
La basilique Saint-André (gravure de Barberis). - Une vue des rizières de Lucedio au début du XIXe siècle.


À l'issue de la guerre de 1792-1796 (Première coalition), les États-Sardes continentaux sont totalement désarmés (et le Comté de Nice et la Savoie sont annexés à la France).

La guerre de 1798-1800 (Deuxième coalition) aboutit à l'annexion de tout le Piémont (les États-Sardes sont donc réduits à la seule île de Sardaigne, où se réfugie la Cour). En 1802, Verceil est incorporée au nouveau "département de la Sesia" [voir carte ci-contre].

Giuseppe ("Joseph") Guala, fils de Giovanni et de Teresa, naît aux alentours de 1810 à Verceil.

Les États-Sardes sont intégralement restaurés en 1814 (Traité de Paris), et officiellement augmentés du pays génois en 1815 (Congrès de Vienne).

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Dans les années 1840, ses parents étant morts entre-temps, Giuseppe s'installe à Nice (paroisse St-Dominique) où il exerce le métier de tailleur. (Pourquoi Nice ?)
Le Comté de Nice et le Piémont sont unis depuis la fin du XIVe siècle au sein des États de Savoie, lesquels portent le nom d'États-Sardes depuis 1720. (Sous l'occupation française, le Comté de Nice était devenu "département des Alpes-Maritimes" en 1793-1814).

Le 3 octobre 1846, âgé de 36 ans, Giuseppe épouse une jeune fille de Lantosque, Antonietta Robini, qui est cuisinière à Nice (30 ans). Le mariage est célébré comme il se doit au village de la jeune mariée, dans la vallée de la Vésubie.


À Nice, paroisse Saint-Jacques


La première fille de Giuseppe et d'Antonietta, Giuseppina Guala, naît le 3 août 1847.


Abolition de la monarchie absolue (1847-1848)

1847 : réformes de Charles-Albert, qui commence à assouplir l'absolutisme de la monarchie sarde. Il annonce la liberté de la presse, l'amnistie des prisonniers politiques, et promet une constitution. Ce premier pas est célébré à Nice par un grand banquet sur la Terrasse, le 11 novembre. (Les voisins Léopold II et Pie IX font de même en Toscane et aux États-Pontificaux. Seule l'Autriche résiste sévèrement aux pressions populaires.)
C'est à cette époque qu'apparaît le Canto degli Italiani, "Fratelli d'Italia...", composé par Michele Novaro sur un texte de Goffredo Mameli (tous deux Génois), ainsi que de nombreux hymnes à la gloire de Charles-Albert, notamment La Coccarda (mais la Marcia Reale d'Ordinanza de Giuseppe Gabetti reste le seul hymne officiel des États de Savoie, depuis les années 1830 et jusqu'à 1946).
Le 8 février 1848, Charles-Albert annonce la promulgation de la constitution, le Statuto, qui transforme le régime en une monarchie parlementaire.

  
Ci-dessus, Charles-Albert signe le Statuto, à Turin, le 4 mars 1848. À droite, les Niçois célèbrent la promulgation du Statuto devant le Palais Communal.

Les premières élections sont organisées le 27 avril 1848 : désormais, des députés vont représenter la province de Nice à Turin.


Première Guerre d'Indépendance italienne (1848-1849)

Dans le cadre des révolutions de février 1848, Charles-Albert décide de s'engager en faveur des rebelles. En mars, Turin commence à mobiliser des troupes pour aller soutenir les Milanais qui se soulèvent contre leur empereur Ferdinand IerAu total, les effectifs sardes mobilisés s'élèveront aux 4/5 de l'armée (65.000 hommes).
C'est dans ce contexte que le roi adopte le drapeau tricolore des révolutionnaires italiens [nouveau drapeau des États-Sardes, ci-contre].
Peu après la bataille de Custoza (24-25 juillet), Charles-Albert capitule au début du mois d'août et signe un premier armistice avec les Autrichiens.
À la fin de l'année, l'empereur d'Autriche abdique au profit de son neveu François-Joseph, âgé de 18 ans.
Le 12 mars 1849, les alliés rompent le cessez-le-feu avec les Autrichiens. Mais le sursaut est de courte durée : après une dernière défaite à Novare le 23 mars), Charles-Albert abdique (s'enfuit incognito et meurt en exil au Portugal), et son successeur Victor-Emmanuel II vient signer l'armistice définitif avec le maréchal Radetzky (Vignale, 24 mars). Le traité de paix sera signé à Milan le 6 août.

       
Ferdinand Ier. - Charles-Albert et ses troupes traversant le Tessin. - Radetzky et Victor-Emmanuel II. - François-Joseph.



Anna Maria Guala naît le 21 juillet 1849. C'est leur deuxième fille.

Giuseppe meurt dès le 4 novembre à l'hôpital Saint-Roch (alors situé rue Saint-François, dans la Vieille-Ville), âgé d'une quarantaine d'années.

Antonietta élève donc seule leurs deux filles.

Elle se remarie le 8 octobre 1853 à St-Pierre-d'Arène, avec un Milanais (y a-t-il un rapport avec la guerre de 1848-1849 ?), Francesco Maglio, originaire de "Vagliano, diocèse de Crema, Lombardie" (probablement Vaiano Cremasco).

La mère d'Antonio Lorenzo, Maria, meurt dans la vieille ville en juin 1855.


Détail de la carte d'état-major des États-Sardes des années 1850.


Comme les Niçois, les Lorenzi et les Guala sont sujets des États de Savoie.
Ils viennent simplement des régions historiques adjacentes (pays génois et Piémont). 
Mais voici qu'en 1860, le roi cède Nice et la Savoie à Napoléon III : l'ancien Comté devient français, et les Génois et Piémontais de Nice sont subitement séparés de leurs racines par la nouvelle frontière. Peu à peu, ils vont être considérés comme des "étrangers"...


Le maçon Jean-Baptiste Laurenzo et la femme de chambre Joséphine Guala se marient le 30 janvier 1869.
Ils ont bientôt quatre enfants :


[cliquer sur la carte pour l'agrandir]
 
À la mort de son mari (le 4 octobre 1876, au 4 rue du Moulin), Joséphine reste veuve à 29 ans. Une concession à perpétuité est acquise dans le 1er carré du nouveau cimetière qui vient d'être créé à Caucade. 
 

Joséphine Lorenzi née Guala (1847-1929), vers 1877.
         
Pendant ce temps, à Verceil, le cousin Luigi (1834-1893), fils de médecin, est conseiller municipal (depuis 1868) ainsi que sénateur à partir de 1890.

Le 25 janvier 1883, décès du père de Marie, Antonio Lorenzi (1 rue Halle-aux-Herbes, dans la Vieille-Ville).

Le 19 avril 1888, Marie Lorenzi épouse le marchand de meubles Louis Carlés.

Curieusement, Marie restera obsédée par le sentiment que le nom de son père a une consonance "étrangère".
Le 13 août 1892, par jugement du tribunal civil de première instance de Nice, elle parvient à changer son nom de jeune fille en "Laurenzo", curieuse orthographe sous laquelle son père avait été baptisé sous la Restauration sarde en 1837.
Il faut dire que la situation est complexe : elle est née française à Nice, de parents issus de familles non niçoises des États-Sardes devenues françaises par annexion mais considérées comme étrangères par les Français ; et son mari est issu par son père d'une famille française immigrée à Nice avant l'annexion et, par sa mère, d'une vieille famille niçoise.

Joséphine Laurenzo née Guala meurt au 27 bd Gambetta le 3 mars 1929.

Après la mort de son mari (le 5 mai 1934), Marie "née Laurenzo" dilapidera leur fortune au casino (notamment l'immeuble du 27 boulevard Gambetta). 

               
Marie Carles "née Laurenzo" (1869-1961) vers 1909 et en 1955. Le 27 boulevard Gambetta.

Sépultures

Au cimetière de Caucade (carré 1, CAP 1426) se trouve la tombe de la "famille Jean-Baptiste Laurenzo", où reposent Jean-Baptiste (1837-1876), avec sa belle-mère Antoinette Robini (1815-1889), son fils Antoine (1873-1928)  et sa veuve Joséphine née Guala (1847-1929) ; ainsi que le gendre Alfred Caujolle (+1932) avec son épouse Francine (1874-1941).

     

Annette (1871-1904) repose dans le caveau de son mari Camille Thaon (carré 13) :



Marie "née Laurenzo" est inhumée avec son mari au cimetière du Château.


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