Uuno Kailas

Le trait rouge

recueil de poèmes posthume

(1933)


(Extraits)



« Resta, sublime, un trait rouge… »
La citation est extraite du poème de Uuno Kailas « Le trait rouge ».

I. Les chanteurs


Dans la cabane mortuaire d'Aleksis Kivi

Ton souffle remplit
cette cabane tout entière.
Il est maintenant chez toi et parle :

« Prends ton bâton de voyage,
va au loin dans les ténèbres
et le froid ; ne regarde pas derrière toi.

Meurs seul, mon enfant,
quand tu n’en pourras plus.
Et tes lèvres chuchoteront peut-être alors :
“Je suis vivant.” »

[photo S. Cagnoli]

La petite cabane en bois au bord du lac de Tuusula, dans laquelle l’écrivain Aleksis Kivi a passé les dernières semaines de sa vie avec sa famille en 1872, est devenue un monument historique. Uuno Kailas a écrit ce texte dans le livre d’or lors d’une visite en 1925.

Le chant du printemps

L’hiver, le ciel était gelé
et la terre était mise en bière.
– Des crues de printemps couronnée,
voici que s’éveille la terre !

Oiseaux dans un flot de lumière,
les regards humains sont nageurs.
Ils sont enflammés et ouverts,
en ce jour, tous les jeunes cœurs.

De nos têtes les toits s’enfuient
et les murs s’en vont vers le large.
Et nous regardons loin d’ici
comme d’un sommet des alpages.

En ce jour, du ciel vient l’ondée
sur nous. Votre joie soit entière :
nous ramons sur la Voie lactée
suivant un trajet millénaire.

Et sur un rayon de soleil,
au plus profond de l’existence,
nos mains saisissent la merveille
du Sacré sans nulle apparence.

Paru dans le journal Ylioppilaslehti en 1927.


Chant

Quelqu’un chanta dans mon sommeil,
je l’entendis distinctement.
Cela sonnait comme des harpes
comme des voix de chœurs lointains
ou comme des vents qui murmurent :
 
« J’ai vu ton visage ombrageux,
j’ai vu ta soif et ta langueur.
Vers le jour lève les yeux, frère,
les cieux rayonnants t’appartiennent,
sur ton sentier tu me rencontres.
 
Longue est la route sous tes pas
ne fût-elle que d’un empan.
Heureux celui qui prend ma main.
Vraiment tu ne te noieras pas
si tu devines ma lumière. »
 
Et en m’éveillant le matin,
je ne me reconnaissais plus.
Devant moi s’étendait le monde.
Nul fardeau n’oppressait mon cœur.
Je levai les yeux vers le ciel.

Ce poème, daté de 1933, est vraisemblablement le dernier composé par Kailas.


Uuno Kailas, Punajuova, 1933.
Édité par Olli Nuorto en 1933, ce recueil posthume porte le titre que Kailas avait prévu de lui donner.
© 2004-2006, poèmes traduits du finnois par Sébastien Cagnoli