Cagnolo,
haut Montferrat
(début du XVIIIe siècle)
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![Alto Monferrato, Bistagno, antico oratorio della Pieve
[photo SC février 2013]](alto-monferrato-2013.jpg)
Le
Montferrat jouit d’une position stratégique sur la principale route
franchissant les montagnes entre la plaine du Pô et le littoral
ligure (par le col d’Altare alias Cadibona vers Savone, ou par celui
du Giovo vers Albisola). À ce titre, il est longtemps convoité d’un
côté par les voisins de Savoie et de Saluces, et de l’autre par les
Espagnols qui règent sur le Milanais.
Le Montferrat est bordé au nord par le Pô, et au sud par l'Apennin
ligure. Il est traversé d’ouest en est par le Tanaro, qui se jette
dans le Pô après Alexandrie. La moitié nord, entre le Tanaro et le
Pô, est relativement plane : c’est le bas Montferrat, dont la
ville majeure est Casale. Au sud, le haut Montferrat est
beaucoup plus vallonné, presque montagneux : c’est la
province d’Acqui (aujourd'hui "Acqui Terme"), habitat de
l'ancienne tribu ligure des Statielliens connu pour ses sources
chaudes dès l’époque romaine. Ces deux territoires sont donc
sensiblement distincts, et l’histoire ne tardera pas à les
séparer.
Le Montferrat sous les Gonzague (1536-1708)
Le marquisat de Montferrat restant sans
héritier en 1536, l’empereur Charles V le confie à la dynastie des
Gonzague, ducs de Mantoue.
- Federico II Gonzaga (1536-1540), duc de Mantoue,
marquis de Montferrat.
- Francesco III (1540-1550), duc de Mantoue, marquis de
Montferrat. Fils de Federico.
- Guglielmo (1550-1587), duc de Mantoue, marquis puis duc
de Montferrat. Fils de Federico.
- Vincenzo I (1587-1612), duc de Mantoue et de
Montferrat. Fils de Guglielmo.
- Francesco IV (1612), duc de Mantoue et de Montferrat.
Fils de Vincenzo.
- Ferdinando (1612-1626) succède à son frère Francesco,
mort sans enfant à 26 ans.
- Vincenzo II (1626-1627) succède à son frère
Ferdinando, mort sans descendance à 39 ans.
[À droite : portrait imaginaire de la famille Cagnolo vers
1650.]
Ferdinando et Vincenzo sont connu par ces tableaux de Rubens,
du temps où ils étaient encore enfants (années 1600-1605).
Le jeune duc Vincenzo meurt quelques heures après son mariage, à
l’âge de 33 ans. Avec lui s’éteint la lignée : il s’ensuit une
guerre de succession (1627-1631), à l’issue de laquelle les cousins
Gonzague de Nevers reprennent la couronne, perdant au passage une
partie du Montferrat au profit des Savoie :
- Carlo I « de Nevers », duc de Montferrat
(1627-1637), ainsi que de Mantoue et de Nevers.
- Carlo II (1637-1665).
- Ferdinando Carlo (1665-1708), duc de Montferrat et de
Mantoue. Fils du précédent.
Portraits de Carlo I et II. À droite, Ferdinando Carlo di
Gonzaga, dernier duc de Montferrat, vers 1706.
Sans héritier, Ferdinando Carlo sera le dernier duc de la dynastie.
En 1708, Savoie et
Habsbourg se partagent les possessions des Gonzague : le reste
du Montferrat (notamment la province d’Acqui) est annexé au Piémont,
tandis que le duché de Mantoue revient à l’Autriche. Dès lors,
Savoie et Habsbourg partagent directement leur frontière au milieu
du bassin du Pô.
Le château d'Acqui. Ci-dessous, la
cathédrale de l'Asomption et la tour communale (ancienne
porte de la ville surélevée en 1763).
Le Montferrat en Piémont
C’est le duc de Savoie et prince de Piémont Victor-Amédée II (règne
: 1675-1730) qui s’est assuré en 1708
la conquête finale du Montferrat, notamment la province d’Acqui.
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Vittorio Amedeo II de Savoie, en 1720.
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À l’issue de la Guerre de
Succession d’Espagne, en 1713, Victor-Amédée II reçoit le royaume de
Sicile.
Ci-dessus, on le voit arriver à Nice (porte Pairolière), seul
port des États de Savoie accessible par la route. Le tableau
reproduit à droite pourrait illustrer l'embarquement du duc et de la
duchesse de Savoie pour Palerme, où ils vont recevoir la couronne.
(Dans ce cas, les représentations du château et des fortifications
de la ville sont anachroniques, puisque tout vient
d'être démoli par les Français en 1706.)
Une dizaine de pièces de monnaies différentes sont frappées pendant
cette période, à l'effigie de "Victor
Amédée, par la grâce de Dieu roi de Sicile, de Chypre et de
Jérusalem". [Ci-contre : une pièce de 40 sols datée de
1717.]
En 1720, Victor-Amédée II échangera la Sicile contre la Sardaigne,
devenant ainsi le premier « roi de
Sardaigne » de la Maison de Savoie.
Blason de Victor-Amédée II roi de
Sardaigne.
Victor-Amédée II instaure alors une monarchie absolue qui durera
jusqu'à 1848 (date à laquelle les États
de Savoie deviendront une monarchie parlementaire jusqu'à la
proclamation de la République d'Italie en 1946).
Le duché de Montferrat (en jaune), la principauté de Piémont
(en rose) et le comté de Nice (en vert, avec la principauté
d'Oneille enclavée dans la République de Gênes), au sein
du Royaume de Sardaigne
en 1726.
(Sur le Tanaro, le Comté d'Asti était dèjà en Piémont, et
Alexandrie est toujours en Milanais.)

Une ancienne carte du haut Montferrat reproduite sur la façade
de l'Hôtel de Ville de Nizza
della Paglia (Nizza Monferrato).
On y retrouve les rivières Tanaro (Cherasco, Alba, Asti, Alessandria),
Belbo (Nizza) et Bormida (Acqui).
Castel Rocchero, village du diocèse d'Acqui
La principale activité de la province d'Acqui est
l'agriculture, notamment l'exploitation des vignes (aujourd'hui
encore, la région est réputée pour les appellations Asti,
Monferrato, etc.).
Castel Rocchero (ou
Rochero, les langues de la région étant
indifférentes aux consonnes doubles), anciennement Castrum Rocherium, était un
village de 171 habitants en 1604.
La population a considérablement augmenté par la suite,
jusqu'à 502 habitants en 1837, et 556 en 1855. (Aujourd'hui rattaché
administrativement à Asti, on y décompte 414 habitants en 2010. La
commune a une superficie de 5 km².)
Un ouvrage passionnant permet de se faire une bonne idée de
l'état d'esprit et de la vie quotidienne des habitants aux
XVI-XVIIIe siècles : Gatti neri, rane verdi e lucertole a due
code, de Paola Piana Toniolo (Impressioni Grafiche, Acqui
Terme, 2012). L'auteur exploite les archives du diocèse pour en
faire ressortir les cas de superstition ou de sorcellerie auxquels
les autorités cléricales furent confrontées à cette époque. Il
s'agit de litiges qui, de par leur nature, ne relevaient pas de la
justice civile mais des autorités religieuses. On y apprend
beaucoup de choses sur les activités des guérisseurs, sur les
dénonciations et accusations de magie noire ou d'envoûtements, et
sur le regard porté sur toutes ces affaires par le peuple et par
l'église.
À gauche, cette représentation
de paysans du Montferrat permet d'imaginer les costumes et le
cadre de vie des Cagnolo de cette époque. Ces hommes pourraient être
nos Gioanni Battista, Francesco, Giovanni ou Michele.
À droite : une représentation imaginaire du jeune Michele dans
les vignes.

Castel Rocchero et les environs aujourd'hui.
Années 1730 : les Cagnolo dans les geôles sardes
Depuis 1708, le diocèse d'Acqui appartient aux États de Savoie,
devenus Royaume de Sardaigne en 1720. Peu à peu, les rois Vittorio
Amedeo II et Carlo Emanuele III mettent en place leurs
institutions, notamment juridiques, et cherchent à asseoir
leur autorité par la terreur. À cette époque,
Turin exerce une justice autoritaire, où les châtiments
exemplaires, qui font l'objet de mises en scène publiques, sont
destinés à convaincre les sujets de la toute-puissance divine du
souverain.
Dès lors, les Cagnolo sont
confrontés à une série de problèmes avec cette nouvelle
administration.
En 1733-1734, un Francesco Cagnolo, résidant à Castel Rocchero,
fils de Gioanni Battista Cagnolo, est incarcéré à Acqui et
comparaît devant la justice pour une double accusation : 1)
pour avoir giflé sa femme Antonia enceinte de 4-5 mois, la faisant
tomber et provoquant sa mort ; 2) il est accusé de vol à
l’encontre d’un certain Clemente Viazzi. Les faits ont eu lieu le
26 avril 1731 et les 25 et 26 août 1733 à Castel
Rocchero et Fontanile. Pour le décès de sa femme, il est inculpé,
banni de la province pour deux ans et condamné à indemniser les
héritiers de la victime ; pour le vol, il est acquitté.
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En
1735-1736, Michele Cagnolo, résidant à Castel Rocchero, fils
de Giovanni, est incarcéré à son tour à Acqui, en compagnie
de Lorenzo Thea (originaire de Castelletto Moina, mais
résidant lui aussi à Castel Rocchero) et Giovanni Francesco
Ignazio Fiore. En effet, il est soupçonné de complicité dans
l’homicide du maire de Calamandrana, Carlo Amedeo Dalmino,
perpétré le 27 janvier 1734 à Calamandrana, strada
delle Saline, dont Giovanni Francesco Bonifacio, absent, est
soupçonné d’être le commanditaire et Thea l’exécuteur
(Fiore, quant à lui, est accusé de s’être parjuré pour
couvrir Thea). Thea est inculpé et condamné à la torture
pour révéler la vérité (au moyen de tenailles ardentes),
puis à la pendaison publique après indemnisation des
héritiers de la victime. La sentence de Michele Cagnolo
étant censée dépendre du résultat de la torture de Thea,
l’issue n’est pas très claire, mais il a vraisemblablement
été acquitté.
On retrouve bientôt notre Michele Cagnolo dans les
prisons d’Acqui, dès 1739. Il a alors 70 ans (donc né vers
1668-1669 ? à moins qu'il y ait une erreur dans les
chiffres), et on l’a arrêté sur quatre accusations de vols
de bétail perpétrés à Castel Rocchero, Nizza della Paglia
(aujourd’hui Nizza Monferrato), Fontanile et Pareto en juillet
1736 et novembre 1737. Cette fois, il est
condamné à la torture pour dénoncer ses complices, et à
servir une peine de 10 ans de travaux forcés sur les
galères royales après indemnisation des victimes.
En effet, Carlo Emanuele III a besoin de bras pour
construire de grands chantiers à Villefranche et propulser
sa flotte. Avec l'expansion de ses États en Méditerranée,
Vittorio Amedeo II a créé une marine militaire, la Real
Marina Sarda. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les
trois principaux ports du royaume sont Nice-Villefranche
(relié à Turin par la route), Oneille (enclavé dans la
république de Gênes) et Cagliari (sur l'île de Sardaigne). À
Villefranche, une nouvelle forme de radoub est creusée en
1730 pour permettre la construction et l'entretien des
navires. La première galère issue de ce nouveau site sort
justement en juillet 1739 sous le nom de Santa
Barbara. Ce sera la dernière galère de la marine
savoisienne.
Pour se faire une idée
de l'atmosphère : voici l'accueil des galériens à la
prison de Gênes, à la même époque, par Alessandro Magnasco
(1667-1749) [Musée des beaux-arts de
Bordeaux]
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Même si c'est déjà un peu anachronique, notons encore une autre
affaire, en 1764-1765, qui opposera un Giovanni Cagnolo dit
« Nebbia » (résidant à Rocca d’Arazzo, près d'Asti) à la
justice d’Azzano (aux côtés d’Alessandro Caretto, Gioanni Battista
Caretto, Tommaso Borello et Francesco Caretto), à l’issue d’une
bagarre qui a fait un mort le 6 mars 1764. Ils sont jugés par
contumace, et Giovanni Cagnolo est condamné à payer une amende (ou 2
mois de prison, à défaut) et à indemniser un homme qu’il a blessé.
Années 1750 : Gioanni Battista Cagnolo quitte son village
Fils d'un certain Michele Cagnolo, Gioanni Battista vient
de Castel Rocchero. Selon toute vraisemblance, il est donc
étroitement apparenté aux précédents. Est-il appelé à servir dans
la Marine royale ? ou volontaire pour servir aux côtés de son père
? Toujours est-il qu'il quitte le haut Montferrat dans les années
1750 pour s'établir à Villefranche.
Les nouvelles prisons
d'Acqui à la fin du XVIIIe siècle.
Tombeau d'une famille Cagnolo à
Castel Rocchero (XXe siècle).
=> SUITE : à Villefranche
Sources :
Archivio
di Stato di Torino
Google Maps
Archives
départementales des Alpes-Maritimes
http://alelia.lanteri.free.fr/
Lou Sourgentin n° 113 (septembre 1994).
Massimo Alfano, Marina sabaudo-sarda. Dal Conte Rosso
all'unità d'Italia, Ananke, Torino, 2011.
Juri Bossuto & Luca Costanzo, Le cateni di Savoia, Il
Punto, Torino, 2012.
Emilio Prasca, La marina da
guerra di casa Savoia dalle sue origini in poi, Roma,
1892.
Dizionario
geografico-storico degli Stati Sardi, V, 1837.
Dizionario generale
geografico-statistico degli Stati Sardi, 1855.
Bandiere
e uniformi sabaude
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