Cagnolo, haut Montferrat
(début du XVIIIe siècle)

   



Le Montferrat jouit d’une position stratégique sur la principale route franchissant les montagnes entre la plaine du Pô et le littoral ligure (par le col d’Altare alias Cadibona vers Savone, ou par celui du Giovo vers Albisola). À ce titre, il est longtemps convoité d’un côté par les voisins de Savoie et de Saluces, et de l’autre par les Espagnols qui règent sur le Milanais.

Le Montferrat est bordé au nord par le Pô, et au sud par l'Apennin ligure. Il est traversé d’ouest en est par le Tanaro, qui se jette dans le Pô après Alexandrie. La moitié nord, entre le Tanaro et le Pô, est relativement plane : c’est le bas Montferrat, dont la ville majeure est Casale. Au sud, le haut Montferrat est beaucoup plus vallonné, presque montagneux : c’est la province d’Acqui (aujourd'hui "Acqui Terme"), habitat de l'ancienne tribu ligure des Statielliens connu pour ses sources chaudes dès l’époque romaine. Ces deux territoires sont donc sensiblement distincts, et l’histoire ne tardera pas à les séparer. 

Le Montferrat sous les Gonzague (1536-1708)

Le marquisat de Montferrat restant sans héritier en 1536, l’empereur Charles V le confie à la dynastie des Gonzague, ducs de Mantoue.
  
Ferdinando et Vincenzo sont connu par ces tableaux de Rubens, du temps où ils étaient encore enfants (années 1600-1605).

Le jeune duc Vincenzo meurt quelques heures après son mariage, à l’âge de 33 ans. Avec lui s’éteint la lignée : il s’ensuit une guerre de succession (1627-1631), à l’issue de laquelle les cousins Gonzague de Nevers reprennent la couronne, perdant au passage une partie du Montferrat au profit des Savoie :


Le Montferrat partagé entre Savoie et Mantoue (carte de 1683). En bleu : les villages de Cagna et de Castel Rocchero (diocèse d'Acqui).
[Voir également cette même carte intégrée aux vues actuelles de Google Maps.]
          
Portraits de Carlo I et II. À droite, Ferdinando Carlo di Gonzaga, dernier duc de Montferrat, vers 1706.

Sans héritier, Ferdinando Carlo sera le dernier duc de la dynastie. En 1708, Savoie et Habsbourg se partagent les possessions des Gonzague : le reste du Montferrat (notamment la province d’Acqui) est annexé au Piémont, tandis que le duché de Mantoue revient à l’Autriche. Dès lors, Savoie et Habsbourg partagent directement leur frontière au milieu du bassin du Pô.

   
Le château d'Acqui. Ci-dessous, la cathédrale de l'Asomption et la tour communale (ancienne porte de la ville surélevée en 1763).
    

Le Montferrat en Piémont

C’est le duc de Savoie et prince de Piémont Victor-Amédée II (règne : 1675-1730) qui s’est assuré en 1708 la conquête finale du Montferrat, notamment la province d’Acqui.





Vittorio Amedeo II de Savoie, en 1720.


À l’issue de la Guerre de Succession d’Espagne, en 1713, Victor-Amédée II reçoit le royaume de Sicile.
Ci-dessus, on le voit arriver à Nice (porte Pairolière), seul port des États de Savoie accessible par la route. Le tableau reproduit à droite pourrait illustrer l'embarquement du duc et de la duchesse de Savoie pour Palerme, où ils vont recevoir la couronne. (Dans ce cas, les représentations du château et des fortifications de la ville sont anachroniques, puisque tout vient d'être démoli par les Français en 1706.)
Une dizaine de pièces de monnaies différentes sont frappées pendant cette période, à l'effigie de "Victor Amédée, par la grâce de Dieu roi de Sicile, de Chypre et de Jérusalem". [Ci-contre : une pièce de 40 sols datée de 1717.]

En 1720, Victor-Amédée II échangera la Sicile contre la Sardaigne, devenant ainsi le premier « roi de Sardaigne » de la Maison de Savoie.


Blason de Victor-Amédée II roi de Sardaigne.                                                                                                                          

Victor-Amédée II instaure alors une monarchie absolue qui durera jusqu'à 1848 (date à laquelle les États de Savoie deviendront une monarchie parlementaire jusqu'à la proclamation de la République d'Italie en 1946).

Le duché de Montferrat (en jaune), la principauté de Piémont (en rose) et le comté de Nice (en vert, avec la principauté d'Oneille enclavée dans la République de Gênes), au sein du Royaume de Sardaigne en 1726.
(Sur le Tanaro, le Comté d'Asti était dèjà en Piémont, et Alexandrie est toujours en Milanais.)

   
Une ancienne carte du haut Montferrat reproduite sur la façade de l'Hôtel de Ville de Nizza della Paglia (
Nizza Monferrato).
On y retrouve les rivières Tanaro (Cherasco, Alba, Asti,
Alessandria), Belbo (Nizza) et Bormida (Acqui).

Castel Rocchero, village du diocèse d'Acqui 

La principale activité de la province d'Acqui est l'agriculture, notamment l'exploitation des vignes (aujourd'hui encore, la région est réputée pour les appellations Asti, Monferrato, etc.).

Castel Rocchero (ou Rochero, les langues de la région étant indifférentes aux consonnes doubles), anciennement Castrum Rocherium, était un village de 171 habitants en 1604. La population a considérablement augmenté par la suite, jusqu'à 502 habitants en 1837, et 556 en 1855. (Aujourd'hui rattaché administrativement à Asti, on y décompte 414 habitants en 2010. La commune a une superficie de 5 km².)

Un ouvrage passionnant permet de se faire une bonne idée de l'état d'esprit et de la vie quotidienne des habitants aux XVI-XVIIIe siècles : Gatti neri, rane verdi e lucertole a due code, de Paola Piana Toniolo (Impressioni Grafiche, Acqui Terme, 2012). L'auteur exploite les archives du diocèse pour en faire ressortir les cas de superstition ou de sorcellerie auxquels les autorités cléricales furent confrontées à cette époque. Il s'agit de litiges qui, de par leur nature, ne relevaient pas de la justice civile mais des autorités religieuses. On y apprend beaucoup de choses sur les activités des guérisseurs, sur les dénonciations et accusations de magie noire ou d'envoûtements, et sur le regard porté sur toutes ces affaires par le peuple et par l'église.


Cette représentation de paysans du Montferrat permet d'imaginer les costumes et le cadre de vie des Cagnolo de cette époque.
Ces hommes pourraient être nos Gioanni Battista, Francesco, Giovanni ou Michele.

     
Castel Rocchero et les environs aujourd'hui.


Années 1730 : les Cagnolo dans les geôles sardes

Depuis 1708, le diocèse d'Acqui appartient aux États de Savoie, devenus Royaume de Sardaigne en 1720. Peu à peu, les rois Vittorio Amedeo II et Carlo Emanuele III mettent en place leurs institutions, notamment juridiques, et cherchent à asseoir leur autorité par la terreur. À cette époque, Turin exerce une justice autoritaire, où les châtiments exemplaires, qui font l'objet de mises en scène publiques, sont destinés à convaincre les sujets de la toute-puissance divine du souverain.

Dès lors, les Cagnolo sont confrontés à une série de problèmes avec cette nouvelle administration.

En 1733-1734, un Francesco Cagnolo, résidant à Castel Rocchero, fils de Gioanni Battista Cagnolo, est incarcéré à Acqui et comparaît devant la justice pour une double accusation : 1) pour avoir giflé sa femme Antonia enceinte de 4-5 mois, la faisant tomber et provoquant sa mort ; 2) il est accusé de vol à l’encontre d’un certain Clemente Viazzi. Les faits ont eu lieu le 26 avril 1731 et les 25 et 26 août 1733 à Castel Rocchero et Fontanile. Pour le décès de sa femme, il est inculpé, banni de la province pour deux ans et condamné à indemniser les héritiers de la victime ; pour le vol, il est acquitté.

En 1735-1736, Michele Cagnolo, résidant à Castel Rocchero, fils de Giovanni, est incarcéré à son tour à Acqui, en compagnie de Lorenzo Thea (originaire de Castelletto Moina, mais résidant lui aussi à Castel Rocchero) et Giovanni Francesco Ignazio Fiore. En effet, il est soupçonné de complicité dans l’homicide du maire de Calamandrana, Carlo Amedeo Dalmino, perpétré le 27 janvier 1734 à Calamandrana, strada delle Saline, dont Giovanni Francesco Bonifacio, absent, est soupçonné d’être le commanditaire et Thea l’exécuteur (Fiore, quant à lui, est accusé de s’être parjuré pour couvrir Thea). Thea est inculpé et condamné à la torture pour révéler la vérité (au moyen de tenailles ardentes), puis à la pendaison publique après indemnisation des héritiers de la victime. La sentence de Michele Cagnolo étant censée dépendre du résultat de la torture de Thea, l’issue n’est pas très claire, mais il a vraisemblablement été acquitté.

On retrouve bientôt notre Michele Cagnolo dans les prisons d’Acqui, dès 1739. Il a alors 70 ans (donc né vers 1668-1669 ? à moins qu'il y ait une erreur dans les chiffres), et on l’a arrêté sur quatre accusations de vols de bétail perpétrés à Castel Rocchero, Nizza della Paglia (aujourd’hui Nizza Monferrato), Fontanile et Pareto en juillet 1736 et novembre 1737. Cette fois, il est condamné à la torture pour dénoncer ses complices, et à servir une peine de 10 ans de travaux forcés sur les galères royales après indemnisation des victimes.

En effet, Carlo Emanuele III a besoin de bras pour construire de grands chantiers à Villefranche et propulser sa flotte. Avec l'expansion de ses États en Méditerranée, Vittorio Amedeo II a créé une marine militaire, la Real Marina Sarda. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les trois principaux ports du royaume sont Nice-Villefranche (relié à Turin par la route), Oneille (enclavé dans la république de Gênes) et Cagliari (sur l'île de Sardaigne). À Villefranche, une nouvelle forme de radoub est creusée en 1730 pour permettre la construction et l'entretien des navires. La première galère issue de ce nouveau site sort justement en juillet 1739 sous le nom de Santa Barbara. Ce sera la dernière galère de la marine savoisienne.


Pour se faire une idée de l'atmosphère : voici l'accueil des galériens à la prison de Gênes, à la même époque, par Alessandro Magnasco (1667-1749) [Musée des beaux-arts de Bordeaux]

Même si c'est déjà un peu anachronique, notons encore une autre affaire, en 1764-1765, qui opposera un Giovanni Cagnolo dit « Nebbia » (résidant à Rocca d’Arazzo, près d'Asti) à la justice d’Azzano (aux côtés d’Alessandro Caretto, Gioanni Battista Caretto, Tommaso Borello et Francesco Caretto), à l’issue d’une bagarre qui a fait un mort le 6 mars 1764. Ils sont jugés par contumace, et Giovanni Cagnolo est condamné à payer une amende (ou 2 mois de prison, à défaut) et à indemniser un homme qu’il a blessé.

Années 1750 : Gioanni Battista Cagnolo quitte son village

Fils d'un certain Michele Cagnolo, Gioanni Battista vient de Castel Rocchero. Selon toute vraisemblance, il est donc étroitement apparenté aux précédents. Est-il appelé à servir dans la Marine royale ? ou volontaire pour servir aux côtés de son père ? Toujours est-il qu'il quitte le haut Montferrat dans les années 1750 pour s'établir à Villefranche.



Les nouvelles prisons d'Acqui à la fin du XVIIIe siècle.




Tombeau d'une famille Cagnolo à Castel Rocchero (XXe siècle).

=> SUITE : à Villefranche

Sources :
Archivio di Stato di Torino
Google Maps
Archives départementales des Alpes-Maritimes
http://alelia.lanteri.free.fr/
Lou Sourgentin n° 113 (septembre 1994).
Massimo Alfano, Marina sabaudo-sarda. Dal Conte Rosso all'unità d'Italia, Ananke, Torino, 2011.
Juri Bossuto & Luca Costanzo, Le cateni di Savoia, Il Punto, Torino, 2012.
Emilio Prasca, La marina da guerra di casa Savoia dalle sue origini in poi, Roma, 1892.
Dizionario geografico-storico degli Stati Sardi, V, 1837.
Dizionario generale geografico-statistico degli Stati Sardi, 1855.
Bandiere e uniformi sabaude


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