Cagnoli, Villefranche
(années 1730-1770)
Michele le Piémontais et son fils Gioan Battista

       
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Villefranche, siège de la Marine royale de Savoie

Rappelons les événements de ce début de XVIIIe siècle dans les États de Savoie. La Guerre de Succession d’Espagne a fait des ravages dans le Comté de Nice. En avril 1705, Louis XIV a ordonné une nouvelle invasion, qui a abouti à la prise de la ville le 14 novembre. Après un siège de 51 jours, la ville s’est rendue le 4 janvier 1706. Du 13 février au 25 juillet, les Français ont méticuleusement rasé le château et les fortifications : l’enceinte, la citadelle et ses annexes ont disparu, de même que le fort Saint-Hospice, sur le cap Ferrat. C’est le traité d’Utrecht, en 1713, qui restitue le comté de Nice à la Maison de Savoie (mais la France garde Barcelonnette). En 1718, la frontière est matérialisée entre le comté de Nice et la France. À l’issue de la Guerre de Succession d’Espagne, Victor-Amédée II a reçu le royaume de Sicile ; en 1720, il l'échange contre celui de Sardaigne, devenant ainsi le premier « roi de Sardaigne » de la Maison de Savoie.

Avec l'expansion de ses États en Méditerranée, Victor-Amédée II a créé une marine militaire, la Real Marina Sarda. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les trois principaux ports du royaume sont Nice-Villefranche (relié à Turin par la route), Oneille (enclavé dans la république de Gênes) et Cagliari (sur l'île de Sardaigne). Le Reggimento di Nizza, qui avait été fondé en 1701 et avait participé à la Guerre de Succession d’Espagne, est rebaptisé La Marina en 1714. 

Charles-Emmanuel III (1701-1773) succède à son père en 1730 et devient donc le 2e roi de Sardaigne de la dynastie (1730-1773). À droite, on peut le voir vers 1750, accompagné de son fils Victor-Amédée, qui sera son successeur. 

                         
Étendards et uniformes du Reggimento di Nizza puis "La Marina".                                                                                                                                                              


La rade de Villefranche à la fin du XVIIe siècle (Theatrum Sabaudiæ). Au pied du fort de Montalban : la darse, le fort et la ville.


I. Le bagne et la Marine sous Charles-Emmanuel III

Conscient que son père lui a laissé un royaume maritime, et désireux de tirer profit de ce vaste potentiel, Charles-Emmanuel III lance un gigantesque chantier de développement de la Marine royale. À Villefranche, dès 1730, on creuse une nouvelle forme de radoub pour permettre la fabrication et l'entretien des navires. Tout à coup, pour construire les installations portuaires et les bateaux, pour propulser les galères, le roi a besoin d'une main d'œuvre considérable. La population locale ne suffit pas. On va donc faire de grandes rafles dans les campagnes. En particulier, dans les campagnes du Haut-Montferrat, les paysans ne sont pas encore très au fait des usages piémontais, depuis l'annexion en 1708 ; d'aucuns résistent sans doute au nouveau régime ; de plus, il y règne une certaine misère en raison des aléas climatiques et des épidémies ; par conséquent, la justice n'a aucun mal à y trouver une grande quantité de rebelles ou de "brigands". 
Incarcéré dans les prisons d’Acqui en 1739 pour vol de bétail, Michele Cagnolo fait partie de ces nombreux forçats envoyés purger leur peine à Villefranche. 


Près d'Acqui et de Villefranche, deux vestiges de la Rome antique : l'aqueduc sur la Bormida et le trophée d'Auguste à La Turbie.

Justement, la première galère issue de la nouvelle forme de radoub est achevée en juillet 1739 : baptisée Santa Barbara, elle est commandée par le major chevalier Guibert, sujet des États-Sardes. Les deux autres s'appellent Capitana (commandée par le colonel anglais Hallen) et Patrona (également commandée par un Anglais, le colonel De Patterson). Elles sont utilisées pour naviguer entre les ports du royaume et pour combattre les pirates. Cette nouvelle Santa Barbara sera aussi la dernière galère de la marine savoisienne.


La rade de Villefranche par Hercule Trachel, avec une galère au premier plan.

Devant la renaissance de ce vieux système pénitentiaire, un nouveau bagne est construit en 1744.

« Une longue file de prisonniers se dirige vers Villefranche, le grand bagne de Savoie depuis le début du XVIIIe siècle. Seul port de guerre [du royaume], la citadelle maritime proche de Nice est aussi le lieu où sont réunis tous les condamnés des provinces de Savoie. Tous ont été condamnés à servir sur les galères de la Maison de Savoie : attachés aux bancs par trois ou par cinq, aviron à la main, ils rameront pendant des années, "tap en bouche" pour ne pas crier sous les coups de fouet. Derrière les murs du bagne, prison entre la mer et les rochers, plus d’un millier d’hommes peuvent être rassemblés, surveillés par les garde-chiourme. Pour la santé de ces pauvres diables il y a un médecin et un chirurgien qui font ce qu’ils peuvent pour les fièvres, la gale et autres malheurs. Trois prêtres ont la responsabilité de l’âme des condamnés […]. En ce beau mois des roses, exténués par le long chemin depuis Turin, couverts de poussière, sans un mot, le troupeau de deux cents galériens descend lentement vers la darse. Le seul bruit est celui des chaînes attachées aux pieds et qui résonnent sur les pierres. Là se trouvent vingt-cinq hommes condamnés à vie par la Chambre Royale de Turin. Tous ne sont pas des assassins : quatre ont fait du commerce illicite sur le sel et le tabac ! Pour les autres, les magistrats ont prononcé des sentences qui peuvent nous surprendre : cinq ans pour un coup de pistolet, mais aussi pour paresse ! Dix ans pour viol ou pour avoir volé du bétail, mais la même peine pour "commerce de chair" et pour les vagabonds. Un homme du régiment de Courten qui avait déserté a été condamné à quinze ans de galères. Celui-ci va ramer dix-huit ans sur les galères de Savoie : on l’a trouvé en possession d’un pistolet court. Son voisin de chaîne a blessé son père : vingt ans… De temps à autre, ils laisseront les cellules du bagne pour prendre la mer, attachés au banc jour et nuit, sous la pluie ou sous le soleil… Leur sueur et leur sang feront flotter le pavillon [de Savoie] sur la mer méditerranéenne… » (Roger Rocca, d'après un article d'André Cane.)

            Chiourme d'une galère européenne
Ci-dessus : deux galériens enchaînés et un garde-chiourme.                                                                                                                    

 
Pour l'ambiance, le bagne de Villefranche ne doit pas être très différent de celui de Gênes, représenté ici par Alessandro Magnasco (1667-1749) [Musée des beaux-arts de Bordeaux]



Le règne de Charles-Emmanuel III est marqué par une nouvelle occupation française, en 1744-1748, dans le cadre de la Guerre de succession d’Autriche, à laquelle participe, à terre, le régiment La Marina. Pendant ces années, la flotte sarde se réfugie dans le port de Livourne, sous la protection du grand-duc de Toscane. [Le dernier Médicis étant mort sans descendance en 1737, c'est François de Habsbourg-Lorraine, mari de Marie-Thérèse, qui lui succède sur le trône de Toscane en 1737. Dans le cadre de la succession d'Autriche contestée par les Prussiens et les Bourbon, François est élu à la tête du Saint-Empire en 1745.]

Ci-contre : uniformes du régiment La Marina sous Charles-Emmanuel III, pendant la guerre de succession d'Autriche.
 
Ci-dessous : prise du fort de Montalban et attaque de Villefranche par l'alliance franco-espagnole en 1747.

En 1748, le traité d'Aix-la-Chapelle valide la légitimité de Marie-Thérèse & François à la tête du Saint-Empire et rétablit la frontière avec la France.
 



À partir de 1749, Charles-Emmanuel III continue ses chantiers maritimes en lançant la construction d'un véritable port à Nice, dans l'embouchure marécageuse du ruisseau Lympia (les travaux dureront jusqu'aux environs de 1780).
La configuration de ce site est moins favorable que la rade de Villefranche du point de vue de la navigation, mais elle sera plus commode pour la connexion avec la route de Turin.
Parallèlement au creusement du bassin, on construit donc un bagne sur les quais, et un lazaret à l'extérieur de la ville au pied du mont Boron. Au sommet, le fort de Montalban assure la sécurité des deux côtés.
(Villes en jaune, ports en bleu, forts en vert, lazarets en rose. La carte provient des services secrets français, qui observaient alors l'aménagement des fortifications sardes.)

Gioan Battista Cagnolo, fils de Michele, se trouve à Villefranche dans les années 1750. Il a alors une vingtaine d'années. Il est sans doute venu pour servir lui aussi dans la marine, soit en tant que conscrit, soit comme volontaire pour suivre son père. 

En ce milieu de XVIIIe siècle, en dehors de la liaison Villefranche-Cagliari, l'activité majeure de la marine royale de Sardaigne consiste à lutter contre pirates et corsaires. Les chroniques mentionnent notamment les combats contre les Barbaresques (pirates musulmans d'Afrique du Nord) : en 1745, les galères royales prennent une galère turque après un violent combat au large de la Sardaigne ; en 1753, elles prennent une galiote tunisienne près de l'île de Tavolara ; en 1757, sous le commandement du chevalier Guibert, elles assaillent une galiote turque au large d'Orosei et la prennent. En outre, Villefranche souffre de nombreuses attaques de corsaires anglais (à tel point que l'ambassadeur des États-Sardes doit intervenir en 1758 auprès du roi d'Angleterre). C'est peut-être dans ces combats que Gioan Battista Cagnolo sera blessé au service du royaume ("invalido al regio servizio"). 


À terre, le Royaume de Sardaigne partage ses frontières avec :
le Royaume bourbon de France, la Suisse, le Duché habsbourgeois de Milan, le Duché de Parme-Plaisance et la République de Gênes.
En mer, les pays environnants sont : le Royaume bourbon d'Espagne
(Gibraltar, Málaga, Barcelone),
le Royaume bourbon de France (Marseille, Toulon), l
a Principauté de Monaco, la République de Gênes (Gênes, Corse),
le Duché de Modène (Massa/Carrare),
la République de Lucques (Viareggio), le Grand-Duché habsbourgeois de Toscane (Pise/Livourne),
la Principauté de Piombino, les États-Pontificaux (Rome/Ostie), le Royaume bourbon de Naples-Sicile (Naples, Palerme),
et l'Empire Ottoman : Royaume de Tunisie (Tunis/Carthage), Régence d'Alger (Alger, Oran), Royaume de Fès (Tétouan).
Le tout forme un bassin fermé (mers Méditerranée occidentale et Tyrrhénienne), qui débouche d'un côté sur l'océan (via le détroit de Gibraltar), et de l'autre sur la Méditerranée orientale (via Malte).
L'île savoisienne de Sardaigne est au cœur de cet espace.

Un Piémontais et une Génoise

À Villefranche, Gioan Battista Cagnolo rencontre une jeune fille du nom d'Anna Maria Argento, fille d’un certrain Giacomo Argento. Née à Albisola (sur le littoral ligure, près de Savone), elle vit ici avec sa famille depuis son enfance. La famille Argento était sans doute seulement de passage en Ligurie : en effet, ce nom ne figure pas dans les ouvrages qui répertorient les noms de famille génois. En revanche, c'est en Sicile qu'on trouve, aujourd'hui encore, un très grand nombre d'Argento. Le foyer semble être situé dans les environs d'Agrigente, d'où certaines branches se sont dispersées vers Palerme, ainsi que vers d'autres provinces du Royaume des Deux-Siciles : la Campanie (Naples) et les Pouilles (Fasano, entre Bari et Brindisi). Il faut souligner qu'Agrigento s'appelait Akragas pour les Grecs, Agrigentum pour les Romains, Gergent pour les Arabes, et Girgenti pour les Normands puis pour les Italiens (jusqu'en 1927, lorsque Mussolini renouera avec la gloire de l'Empire romain). Les Argento auront sans doute quitté Girgenti (Marina di Girgenti, aujourd'hui Porto Empedocle, le port de la région depuis l'Antiquité) ou Palerme à l'époque des grandes guerres européennes du début du XVIIIe siècle entre Habsbourg, Savoie et Bourbon. Les échanges maritimes étaient importants entre la Sicile et Gênes, l'île exportant beaucoup de céréales. 

Cagnolo est sujet du Royaume (puisque le Montferrat fait partie du Piémont depuis le début du siècle), tandis qu'Argento est citoyenne génoise. Mais dans la pratique, tous deux sont des "étrangers" : ne parlant pas niçois, portant des noms à consonance étrangère, ils partagent un même statut d'exilés. Tout porte à croire que leur intégration n'est pas immédiate.

Ils se marient le 23 mai 1757 :

Une représentation
        de Villefranche par Jacques Guiaud, quelques décennies plus
        tard.

1757 est l'année où s'achève la construction de la nouvelle église Saint-Michel (la première pierre avait été bénie par l'évêque de Nice le 7 mars 1732), qui doit remplacer l'ancien édifice médiéval, devenu trop vétuste. 

Dès l'année suivante (celle de la naissance et du décès de leur premier enfant), l'intégration du couple se manifeste par une nissardisation de leur nom de famille : Cagnolo devient Cagnoli. En effet, si l'usage du singulier Cagnolo a une consonance nettement piémontaise, il existe au moins deux familles Cagnoli dans la paroisse (notamment celle de Massoins) et le nom est courant, sous cette forme, dans diverses communes du Comté. Que ce changement soit de l’initiative d’Andrea ou de celle du prêtre qui tient le registre, toujours est-il qu’il sera définitif (et bien commode) : désormais, chaque membre de la famille s’appelle Cagnoli.

La noblesse piémontaise homonyme

Sans aucun lien avec nos Cagnolo du Montferrat, les familles Cagnoli alors présentes dans le comté de Nice et en Piémont sont issues des Cagnoli de Verceil, marquis de La Chambre (1683), vicomtes de Maurienne, seigneurs de La Chapelle, conseigneurs de Desana, dont le blason est reproduit ci-contre. Une branche est passée par Alba au XVIIe siècle, une autre se distingue à Villefranche au XVIIIe, mais la plus connue (et nombreuse) est sans doute celle de Saint-Martin-Vésubie.

Onorato Cagnoli est comte de Massoins (1723), premier commis à la direction de l'artillerie, des fabriques et des forts, "guarda magazeno" au port de Villefranche, "auditeur des galères". Il mourra à Cagliari en 1760.

À Villefranche, les femmes sont fileuses, tisserandes, couturières : elles fabriquent notamment les voiles et les cordages. Les hommes sont charpentiers, menuisiers ou marins. Tout le monde participe à la vie de ce port qui sera jusqu'en 1792 le siège de la Marine royale des États de Savoie. Sur le tableau de gauche, on peut imaginer qu'il s'agit d'Anna et de son enfant.

Le 24 mars 1760, en temps de paix, un traité signé à Turin réajuste la frontière entre le comté de Nice et la France. Cette frontière, qui suit approximativement le cours du Var, sera bornée l’année suivante. [Ci-dessus : le Comté de Nice après 1760 (1782).]

En 1762, une commission réunie à Villefranche organise une réforme du système des galères : la Marine royale décide d'abandonner complètement les navires à rames au profit de bâtiments à voiles. Charles-Emmanuel III approuve la décision et achète aux Anglais la frégate Hermione (36 canons) et le vaisseau Ascension (60 canons). La première arrive à Villefranche en septembre 1763, et elle est rebaptisée San Vittorio. En mars 1764, l'ancien vaisseau anglais fait son entrée et prend le nom de San Carlo. Les deux navires de guerre partent aussitôt défendre les côtes de l'île de Sardaigne, accompagnés de deux petites speronare construites à Villefranche en 1762 et 1763 : la Diligente et l'Ucello del mare


La rade de Villefranche en 1764, avec ses profondeurs naturelles en mètres. Les "infirmeries" à l'ouest du mont Boron représentent le lazaret de Nice.                                                                                   

Pendant ce temps, de l'autre côté du mont Boron, la ville de Nice, qui a perdu toute fonction militaire depuis la démolition de ses fortifications en 1706, se cherche des activités commerciales. Les premiers hivernants anglais apparaissent dans les années 1760-1770. Le littoral du Comté se découvre alors une nouvelle vocation : le tourisme hivernal. Toute l'aristocratie européenne va suivre l'exemple des Anglais. À partir de 1755, on voit arriver Lady Fitzgerald, puis les ducs d’York et de Gloucester, Lord et Lady Cavendish, le prince de Brunswick, les duchesses de Penthièvre et de Bourbon-Condé, l’archiduc de Milan Ferdinand... En 1787, 115 familles étrangères séjournent à Nice, où un casino, un théâtre, une gazette sont créés à leur intention. On construit le cours bordé de terrasses-promenades en bord de mer, et les travaux du port Lympia vont progressivement déplacer l’activité commerciale vers ce nouveau bassin, Villefranche restant alors le port militaire du royaume.

Après deux filles, Anna Camilla et Gioanna Battista, baptisées respectivement en août 1760 et en août 1762, Gioan Battista et Anna Margarita ont un fils : Michele Andrea, né en juillet 1764. Michele est le prénom du grand-père paternel, et Andrea sera le prénom d'usage. 

Ils auront encore deux enfants : Angelo Maria, baptisé en septembre 1766 (le parrain est certain Giacomo Argento : probablement le grand-père) et Angelica, baptisée en janvier 1769

Villefranche selon Smollett

À l'occasion d'un long séjour à Nice de 1763 à 1765, qu'il relate en détail dans son ouvrage Travels through France and Italy (paru à Londres dès 1766), l'écrivain voyageur britannique Tobias Smollett a visité Villefranche en janvier 1764. Le portrait ci-contre, par Nathaniel Dance-Holland, date de cette époque. Dans le port, Smollett dit avoir vu "deux galères", mais les trois galères de la Marine sarde sont déjà quasiment abandonnées à l'époque de sa visite. Peut-être s'agit-il des deux speronare qui viennent d'être construites dans la darse : la Diligente et l'Uccello del mare. De même, Smollett mentionne "deux grandes frégates achetées en Angleterre, l'une de 50, l'autre 30 canons" : ce sont en fait le vaisseau San Carlo (ex-Ascension, 60 canons) et la frégate San Vittorio (ex-Hermione, 36 canons). En tout cas, son témoignage sur l'ambiance à bord d'un navire de la Marine sarde amarré pour l'hiver est très intéressant :

    "On the left of the fort, is the basin for the gallies, with a kind of dock, in which they are built, and occasionally laid up to be refitted. This basin is formed by a pretty stone mole; and here his Sardinian majesty's two gallies lie perfectly secure, moored with their sterns close to the jette. I went on board one of these vessels, and saw about two hundred miserable wretches, chained to the banks on which they sit and row, when the galley is at sea. This is a sight which a British subject, sensible of the blessing he enjoys, cannot behold without horror and compassion. Not but that if we consider the nature of the case, with coolness and deliberation, we must acknowledge the justice, and even sagacity, of employing for the service of the public, those malefactors who have forfeited their title to the privileges of the community. Among the slaves at Ville Franche is a Piedmontese count, condemned to the gallies for life, in consequence of having been convicted of forgery. He is permitted to live on shore; and gets money by employing the other slaves to knit stockings for sale. He appears always in the Turkish habit, and is in a fair way of raising a better fortune than that which he has forfeited.
    It is a great pity, however, and a manifest outrage against the law of nations, as well as of humanity, to mix with those banditti, the Moorish and Turkish prisoners who are taken in the prosecution of open war. It is certainly no justification of this barbarous practice, that the Christian prisoners are treated as cruelly at Tunis and Algiers. It would be for the honour of Christendom, to set an example of generosity to the Turks; and, if they would not follow it, to join their naval forces, and extirpate at once those nests of pirates, who have so long infested the Mediterranean. Certainly, nothing can be more shameful, than the treaties which France and the Maritime Powers have concluded with those barbarians. They supply them with artillery, arms, and ammunition, to disturb their neighbours. They even pay them a sort of tribute, under the denomination of presents; and often put up with insults tamely, for the sordid consideration of a little gain in the way of commerce. They know that Spain, Sardinia, and almost all the Catholic powers in the Mediterranean, Adriatic, and Levant, are at perpetual war with those Mahometans; that while Algiers, Tunis, and Sallee, maintain armed cruisers at sea, those Christian powers will not run the risque of trading in their own bottoms, but rather employ as carriers the maritime nations, who are at peace with the infidels. It is for our share of this advantage, that we cultivate the piratical States of Barbary, and meanly purchase passports of them, thus acknowledging them masters of the Mediterranean.
    The Sardinian gallies are mounted each with five-and-twenty oars, and six guns, six-pounders, of a side, and a large piece of artillery amidships, pointing ahead, which (so far as I am able to judge) can never be used point-blank, without demolishing the head or prow of the galley. The accommodation on board for the officers is wretched. There is a paltry cabin in the poop for the commander; but all the other officers lie below the slaves, in a dungeon, where they have neither light, air, nor any degree of quiet; half suffocated by the heat of the place; tormented by fleas, bugs, and lice; and disturbed by the incessant noise over head. The slaves lie upon the naked banks, without any other covering than a tilt. This, however, is no great hardship, in a climate where there is scarce any winter. They are fed with a very scanty allowance of bread, and about fourteen beans a day and twice a week they have a little rice, or cheese, but most of them, while they are in harbour knit stockings, or do some other kind of work, which enables them to make some addition to this wretched allowance. When they happen to be at sea in bad weather, their situation is truly deplorable. Every wave breaks over the vessel, and not only keeps them continually wet, but comes with such force, that they are dashed against the banks with surprising violence: sometimes their limbs are broke, and sometimes their brains dashed out. It is impossible (they say) to keep such a number of desperate people under any regular command, without exercising such severities as must shock humanity. It is almost equally impossible to maintain any tolerable degree of cleanliness, where such a number of wretches are crouded together without conveniences, or even the necessaries of life. They are ordered twice a week to strip, clean, and bathe themselves in the sea: but, notwithstanding all the precautions of discipline, they swarm with vermin, and the vessel smells like an hospital, or crouded jail. They seem, nevertheless, quite insensible of their misery, like so many convicts in Newgate: they laugh and sing, and swear, and get drunk when they can. When you enter by the stern, you are welcomed by a band of music selected from the slaves; and these expect a gratification. If you walk forwards, you must take care of your pockets. You will be accosted by one or other of the slaves, with a brush and blacking-ball for cleaning your shoes; and if you undergo this operation, it is ten to one but your pocket is picked. If you decline his service, and keep aloof, you will find it almost impossible to avoid a colony of vermin, which these fellows have a very dexterous method of conveying to strangers. Some of the Turkish prisoners, whose ransom or exchange is expected, are allowed to go ashore, under proper inspection; and those forcats, who have served the best part of the time for which they were condemned, are employed in public works, under a guard of soldiers. At the harbour of Nice, they are hired by ship-masters to bring ballast, and have a small proportion of what they earn, for their own use: the rest belongs to the king. They are distinguished by an iron shackle about one of their legs. The road from Nice to Ville Franche is scarce passable on horseback: a circumstance the more extraordinary, as those slaves, in the space of two or three months, might even make it fit for a carriage, and the king would not be one farthing out of pocket, for they are quite idle the greatest part of the year.
    The gallies go to sea only in the summer. In tempestuous weather, they could not live out of port. Indeed, they are good for nothing but in smooth water during a calm; when, by dint of rowing, they make good way. The king of Sardinia is so sensible of their inutility, that he intends to let his gallies rot; and, in lieu of them, has purchased two large frigates in England, one of fifty, and another of thirty guns, which are now in the harbour of Ville Franche. He has also procured an English officer, one Mr. A--, who is second in command on board of one of them, and has the title of captain consulteur, that is, instructor to the first captain, the marquis de M--i, who knows as little of seamanship as I do of Arabic.
    The king, it is said, intends to have two or three more frigates, and then he will be more than a match for the Barbary corsairs, provided care be taken to man his fleet in a proper manner (...)"



Pendant ce temps, de l'autre côte du mont Boron, le port Lympia devient le port de commerce de Nice, séparé de la ville par la colline du Château (carte de 1766).
Ci-dessous : projet d'aménagement du port Lympia dans les années 1760.

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Évolution de la flotte

La flotte sarde s'agrandit encore en 1767 avec l'acquisition de la felouque génoise San Gavino [ci-contre]

Cette année-là, le vaisseau San Carlo et la frégate San Vittorio participent à la conquête de l'archipel de la Madeleine, qui ne faisait pas encore officiellement partie des États-Sardes et qui était alors un repaire de pirates et de contrebandiers. 

En 1769, les deux navires qui avaient été achetés aux Anglais d'occasion et à bas prix ne sont plus en état de servir, et le bassin de Villefranche est trop petit pour assurer leur réparation. Il ne reste guère que la felouque San Gavino, ce qui met la Marine royale en difficulté. 

Pour résoudre le problème, on commande aux chantiers navals hollandais une frégate de 32 canons qui fait son entrée à Villefranche en 1771 sous le nom San Carlo (en remplacement de l'ancien vaisseau anglais désarmé) et va rejoindre les bâtiments chargés de surveiller les côtes de Sardaigne. Elle est commandée par le capitaine Richardson (un des officiers britanniques enrôlés par Charles-Emmanuel), secondé par le chevalier piémontais Rica di Castelvecchio ; le jeune Giorgio Des Geneys (Chaumont, 1761 – Gênes, 1839) y embarquera en 1773 en tant qu'enseigne (guardiamarina) de 2e classe, âgé d'à peine 12 ans. Celui-ci fera par la suite une grande carrière d'amiral et de général.
Le nouvel objectif est d'équiper le port de Villefranche des chantiers nécessaires pour permettre à la Marine sarde de construire ses propres frégates. 

En 1772, la felouque San Gavino [ci-dessous] affronte des Barbaresques qui ravagent les côtes de l'île de Sardaigne. À l'issue de ce combat, une galiote est prise aux pirates ; elle rejoint la flotte sarde sous le nom de Santa Maria Maddalena

À bord, les capitaines sont généralement britanniques, les officiers piémontais, les équipages originaires de Nice, Villefranche, Oneille, Loano, mais aussi de Monaco, du pays génois, de Provence, des campagnes de Piémont, de Savoie et de Sardaigne... Le protocole suit les habitudes anglaises, mais la langue de commandement est de préférence le français ; à l'écrit, les langues officielles sont le français et l'italien, maniés avec une grammaire et une orthographe très exotiques.


II. Entre Villefranche et Cagliari sous Victor-Amédée III

1773-1796 : règne de Victor-Amédée III (1726-1796), 3e roi de Sardaigne de la maison de Savoie, fils de Charles-Emmanuel III.
Victor-Amédée fait encore agrandir la flotte sarde. En 1774, il achète aux Anglais deux navires garde-côtes, la goélette Favorita et le cotre Speditivo, qui seront revendus peu après. 

La San Carlo est maintenant commandée par Daviet de Foncenex (Thonon, 1734 – Casale, 1798), capitaine de frégate et mathématicien de renom.

En 1774, la San Gavino (commandée par Francesco Maria De Nobili, commandant supérieur de l'armement de l'île de Sardaigne) capture un navire ennemi. En 1775, elle met en fuite deux demi-galères barbaresques menaçant la Madeleine

En 1776, le cotre Speditivo, commandé par le lieutenant chevalier Courtois d'Arcollières, poursuit un navire ennemi jusqu'au littoral tunisien.

En 1778, une première frégate sort du chantier de Villefranche : la San Vittorio (4e du nom). Elle est envoyée surveiller les côtes de Sardaigne. Dès 1779, dans le golfe de Palmas (sud-ouest de la Sardaigne), elle récupère une tartane toscane qu'un navire barbaresque était en train de remorquer vers la Tunisie. En 1780, près de l'île San Pietro, la frégate sarde capture un navire barbaresque ; elle est placée sous le commandement du capitaine de frégate François Daviet de Foncenex, et le jeune Giorgio Des Geneys y est enseigne de 1e classe.


Golfe de Palmas : les îles de la Vache et du Taureau, ainsi que la pointe sud de Saint-Antioche, vues de l'isthme reliant cette dernière à la Sardaigne.


Cette région sud-occidentale de Sardaigne, l'archipel du Sulcis, a une histoire particulière.

L'île Saint-Pierre, notamment, était inhabitée jusqu'aux années 1730, mais les recoins de ce petit archipel étaient sans cesse infestés de pirates. En 1738, Charles-Emmanuel autorise des Tabarquins à y établir une colonie : il s'agit de descendants d'une communauté de pêcheurs de corail génois qui avaient quitté le village de Pegli en 1542 pour s'établir sur l'île de Tabarka, près du littoral tunisien. Le roi fonde ainsi la ville de Carloforte avec ces immigrants de langue ligure. Peu après, en 1741, le bey de Tunis s'empare de l'île de Tabarka et asservit la population restante. En 1745, Charles-Emmanuel parvient à récupérer une partie de ces esclaves pour les transférer à leur tour à Carloforte. Les autres Tabarquins restent esclaves et sont vendus au bey d'Alger (ils seront rachetés en 1768 par le roi d'Espagne Charles III de Bourbon qui, de la même manière, les fera coloniser l'île de "Nueva Tabarca" au large d'Alicante).

En 1770, Charles-Emmanuel crée une autre ville à Calasetta, sur l'île Saint-Antioche, juste en face de Carloforte, avec une nouvelle vague de prisonniers génois libérés de Tunisie : en octobre, 130 colons (38 familles) sont amenés à bord du navire Ancilla Domini sous le commandement de Giovanni Porcile. En 1773-1774, des colons piémontais (principalement originaires de Carignan, province de Turin) viendront se joindre à eux.

C'est dans ce contexte que la San Vittorio combat les pirates dans le golfe de Palmas et autour des îles du Sulcis. Les navires de la Marine royale sont chargés d'assurer la sécurité de ces nouveaux habitats.

Aujourd'hui encore, l'île Saint-Pierre et le nord de Saint-Antioche constituent une aire linguistique ligure en marge de la Sardaigne.

Ci-dessus : statue de Charles-Emmanuel III à Carloforte.

 
Au cours de ces années dans la Marine royale, Gioan Battista est blessé. Il quitte alors le service avec une pension d'invalide accordée par Turin.

  

La frégate San Vittorio [dessins de Massimo Alfano].
Ci-dessous, dans un combat contre les pirates en 1785 (représentation imaginaire, avec un drapeau anachronique ; le véritable pavillon de l'époque est reproduit à droite).

  




La rade de Villefranche et le mont Boron vus du cap Ferrat.

Les bâtiments du Lazaret (devenu l'infirmerie de la caserne des chasseurs alpins à la fin du XIXe siècle).

La darse, le fort et la ville de Villefranche à la fin du XVIIIe siècle.

Entre 1769 et 1785 (vers 1776 selon l'acte de mariage d'Andrea et Maria ; 1782 si l'on se fie au recensement de 1822), toute la famille quitte Villefranche pour Nice. Ce déplacement coïncide avec la modernisation de la route royale Nice-Turin et l'urbanisation du port Lympia.



La Méditerranée occidentale de 1768 à 1792 (après la cession de la Corse à la France).

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Sources :
Archives départementales des Alpes-Maritimes
Pietro MARTINI, Storia delle invasioni degli Arabi e delle piraterie dei Barbareschi in Sardegna,
Cagliari, 1861.
Emilio PRASCA, La marina da guerra di Casa Savoia, Roma, 1892.
Jules DE ORESTIS DI CASTELNUOVO, La noblesse niçoise - Notes historiques sur soixante familles, Nice, 1912.
Emilio PRASCA, L' ammiraglio Giorgio des Geneys e i suoi tempi - Memorie storico-marinaresche (1761-1839), Pinerolo, 1926.
Le uniformi delle Marine Italiane prima dell'Unità - La Regia Marina Sarda dal 1714 al 1861 (Calendario 1978), Stato Maggiore della Marina Militare, Ufficio Documentazione e Propaganda.
Pierangelo MANUELE, Il Piemonte sur mare - La Marina sabauda dal Medioevo all'unità d'Italia, Edizioni L'Arciere, Cuneo, 1997.
Nice Historique, 1999, n° 1-2.
Madeleine SERVERA-NOUTEFOY, Villefranche sur mer - Reflets d'histoire, L'Ancre SERRE, Nice, 2000.
Massimo ALFANO, Marina Sabaudo-Sarda - Dal Conte Rosso all’Unità d’Italia, Ananke, Torino, 2011.
Jérôme BRACQ, "Villefranche et le transport maritime, 1700-1860", in Villefranche et la mer, éd. Musée d'anthropologie préhistorique de Monaco, 2019.
Bandiere e uniformi sabaude
http://www.cognomix.it/mappe-dei-cognomi-italiani/

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