Kaarlo Sarkia


Pseudonyme de Kaarlo Teodor Sulin (1902-1945)

Poésie

Antinoüs

Quand vint l’aurore, Antinoüs, sur son navire,
Mû par les avirons de quelque cent esclaves,
Sur ses lèvres l’extase que le songe inspire,
Et ses yeux rêveurs ineffables, se leva.

Dans l’argent rougeoyant de l’eau se reflétait,
Par-dessus la rambarde, un buste adolescent —
Créé par un sculpteur, par un art flamboyant ? —
De la poussière ne naît point pareil attrait !

Sous lui, le puissant Nil aux ondes incessantes,
Flux sacré abreuvant ce qui croît sur la terre,
Artère de la vie, de l’Égypte la mère,
Tels le sang et la braise en l’aube incandescente.

Lui qui a pour destin d’inspirer l’allégresse !
Avait-il des regrets, la veille de mourir ?
Soucieux du lendemain, souffrait-il de désir,
Lui dont la beauté fait un dieu de la jeunesse ?

S’il eût un vœu à faire, lui qui a le bonheur,
Que peut-il espérer, qu’il n’ait encore acquis ?
La possession divine des dons de la vie
Le maître de ce monde en offrit la faveur.

Son pays est au sud de l’Ultima Thulé.
Le pays sur lequel, depuis le lit d’Éos,
Vers la mer d’Occident[1] chevauche saint Hélios
Désirait seulement vénérer sa beauté.

Pour qui brillaient, la nuit, les astres de diamant ?
Qui réjouissaient-ils, l’horizon qui se courbe,
Et le soleil doré issant de la mer rouge ?
Et maintenant pour qui l’aube au feu rouge sang ?

Or lui, le bienheureux, quel rêves faisait-il,
Quand, tirant le rideau d’un nuage empourpré,
Hélios fit son entrée, au bouclier doré ?
Quels étaient les regrets brillant entre ses cils ?

Aux rambardes de cèdre enceignant son navire,
Il était abîmé dans un rêve enivrant :
Du haut de la jeunesse aux sommets festoyants,
Ceux qui sont nés des dieux, à la tombe ils aspirent,

Couronnés de sommeil sur leurs sourcils fleuris,
Avant que l’huis de leur bonheur ne se referme.
Aurore et nymphéas font nuptiales lanternes,
Et l’eau déploie sa pourpre ainsi qu’on fait un lit.

L’appel de l’eau semblait le chant d’une promise,
Auquel tel un fiancé Antinoüs réponde :
Il ôte sa tunique, et il présente à l’onde
De son corps sculptural la perfection exquise.

La vie s’éveille au loin dans les côtiers hameaux,
Les habitants des lieux vaquent à leurs affaires.
Et le sourire aux yeux, l’extase sur les lèvres,
Voilà qu’Antinoüs trépasse au sein de l’eau.



[1] La « mer de l’Ouest », c’est-à-dire la Méditerranée.







Biographie

Tyrvää

Kaarlo Teodor Sulin est né en 1902 à Tyrvää, tout près d'Oulu.

Sa mère, Aleksandra Sulin (1874-1916), travaille pour le fermier Adolf Mäkelä. Elle a rencontré au cours de l'été 1902 un charpentier, Malakias Korkki (plus tard Laaksonen), qui l'a quittée dès l'automne. Il est probablement le père de Kaarlo.

Bon élève mais mauvais en sport et en travaux manuels, introverti, Kaarlo passe son temps à lire les livres qu'il emprunte à la bibliothèque.

Après la mort de sa mère en 1916 (tuberculose pulmonaire), Kaarlo est pris en charge par ses grands-parents (Paulu Sulin et Emma Lindroos), puis par une certaine Hilda Runni. Il peut ainsi continuer à étudier à Tyrvää. C'est à cette époque, au lycée, qu'il prend conscience de son homosexualité. Il se passionne pour la poésie, et s'intéresse particulièrement à V.A. Koskenniemi (Veikko Antero Koskenniemi, 1885-1962), ainsi qu'à Uuno Kailas, Yrjö Jylhä, Lauri Viljanen et Elina Vaara.

Il obtient son diplôme en 1923, après quoi il fait son service militaire, au cours duquel il contracte la tuberculose (printemps 1924).

Pour financer ses études à venir, Kaarlo travaille comme tuteur à Rantasalmi pendant un an.

Helsinki et Turku

Kaarlo étudie d'abord à l'université de Helsinki, puis en 1927 à celle de Turku, où V.A. Koskenniemi enseigne la littérature.

Kaarlo mène une vie de bohème. Sans domicile fixe, il vit dans des chambres d'hôtel, dans la pauvreté et la solitude. La tuberculose le conduit plusieurs fois à l'hôpital. Heureusement, il a quand même des amis, notamment le critique Kaarlo Marjanen et  les soeurs Aune et Kyllikki Heinonen-Hiisku, ses admiratrices et mécènes. 

En 1929, WSOY publie son premier recueil de poèmes, Kahlittu, bien accueilli par la critique mais sans grand succès auprès du public. Il y est question de solitude, du sentiment de rejet. Dans "Kyttyräselkä puhuu" ("Le bossu parle"), il se représente en bossu qui aspire à l'amour.

Dans son second recueil, Velka elämälle (1931), Sarkia aborde explicitement le thème de l'homoérotisme, avec un poème intitulé "Antinous". Le poème qui donne son titre au recueil, "Velka elämälle", parle d'amour et de désertion : il est inspiré par l'histoire de sa mère. Ce recueil a toujours eu une grande popularité en Finlande.

En 1932, Sarkia se met à traduire de la poésie française. Il s'intéresse surtout à Leconte de Lisle et à Baudelaire.

Turku

En décembre 1933, Sarkia s'installe à Turku, où il travaille à la bilbliothèque universitaire. Mais il s'avère inapte à la vie professionnelle. En janvier 1934 il tente de se suicider par overdose de barbiturique.

Le troisième recueil de Sarkia, Unen kaivo (Le puits du rêve, 1936), est accueilli avec enthousiasme à la fois par les critiques et par le public. Il y est toujours question de mort et de solitude. C'est dans le rêve que Sarkia trouve une échappatoire.

Voyages en Europe

En 1937, Sarkia part pour un voyage de plus d'un an en Europe. Il passe d'abord quelques mois en Suisse, puis va en Italie.
A Rome, il donne une conférence où il critique les idées d'Hitler. Les carabiniers l'arrêtent aussitôt... et le conduisent chez le médecin.

Retour en Finlande : les années de guerre

A son retour en Finlande, il est épuisé. La situation politique le déprime. Seule une liaison sentimentale, paraît-il, parvient à lui faire reprendre la plume. Son quatrième recueil, Kohtalon vaaka (1943), paraît pendant la guerre de Continuation. Il contient plusieurs poèmes pacifistes.

Après la guerre, Sarkia va à l'hôpital en Suède, mais il revient plus malade encore. Il meurt à Sysmä le 16 novembre 1945. Il sera enterré à Helsinki aux frais de l'Etat.


Oeuvres



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