Uuno Kailas



Uuno Kailas (pseudonyme de Frans Uuno Salonen, 1901-1933), que Mika Waltari décrit comme un jeune homme ambitieux à l’enthousiasme contagieux, est l’un des poètes finlandais les plus populaires de l’entre-deux-guerres. Son parcours poétique, qui s’inscrit dans la continuité de Baudelaire et de ses successeurs (symbolistes et expressionnistes), conduit d’un insatiable désir de beauté et d’absolu à une acceptation sereine et résignée de la condition humaine.


Biographie

Heinola (1901-1919)

Heinola est une petite ville des environs de Lahti. Frans Uuno Salonen y est né le 29 mars 1901 dans une famille de fermiers.

Sa mère, Olga Salonen (née Honkapää), meurt deux ans plus tard, en donnant naissance à des jumeaux qui ne survivront pas. Uuno avait des frères, mais tous sont morts très tôt. Le père, Eevert Kailanen (plus tard Salonen, puis Salomaa), se remarie aussitôt et quitte le foyer.

Le jeune Uuno, à deux ans, est ainsi le seul survivant du foyer à Heinola. Il n’a donc quasiment jamais connu ses parents. Il raconte même à ses camarades, pour simplifier, que son père est mort (en réalité, Eevert ne mourra qu’en 1952, bien après Uuno). C’est donc dans l’influence de ceux qui l’ont élevé dès l’âge de deux ans que le petit Uuno va former son caractère : l’oncle et la tante, et la grand-mère bigote.

L’expédition d’Aunus (1919)

À l’issue de la guerre civile, la Finlande a échappé à la domination soviétique. Les Blancs gardent le pouvoir et maintiennent l’armée rouge à distance. Mais certains patriotes « pan-fenniques » vont plus loin : ils espèrent encore repousser la frontière pour incorporer la Carélie orientale — la région d’Aunus (nom finnois d’Olonets), de l’autre côté du Ladoga — à la Finlande indépendante qui est sur le point de devenir une république. C’est ainsi que Uuno Kailas, qui vient d’avoir dix-huit ans, s’engage dans une armée d’un millier de volontaires finlandais dans l’espoir de soustraire la Carélie orientale aux bolcheviks. Il entraîne avec lui son ami Bruno Schildt. Le 21 avril 1919, l’expédition franchit la frontière soviétique.

Mais Kailas est de nature plutôt fragile, et il n’est guère sportif. La marche le fatigue, les provisions sont insuffisantes… Physiquement et moralement, il se sent bientôt incapable d’aller plus loin. Désespéré, il déserte sa compagnie ; mais il sera bientôt rattrapé et puni. Ainsi se déroule pour Kailas cette peu glorieuse expédition.

Bruno, lui, ne reviendra pas vivant de l’expédition d’Aunus ; et la mort du meilleur ami va hanter Uuno toute sa vie en lui inspirant un sentiment de culpabilité. (L’épisode de l’expédition d’Aunus fait l’objet de la nouvelle autobiographique Bruno est mort.)

Helsinki (1920-1932)

De 1920 à 1926, Uuno fait des études d’esthétique et de littérature à l’Université de Helsinki. Il va se consacrer progressivement à l’écriture. Il commence à collaborer avec des journaux : il publie des critiques et des traductions, et écrit pour le quotidien Helsingin Sanomat et pour le magazine littéraire Nuori Voima. Il s’intéresse alors au mouvement expressionniste qui se développe dans les lettres allemandes et scandinaves, et il se met à traduire des poèmes (notamment ceux de sa compatriote suédophone Edith Södergran), qu’il présente au grand public dans le magazine Suomen Kuvalehti en 1923. En 1922, il a publié son premier recueil de poèmes, Tuuli ja tähkä (Le vent et l’épi) ; mais les critiques ne sont guère enthousiastes.

De 1923 à 1925, Uuno sert dans l’armée finlandaise. Dans l’entre-deux-guerres, la Finlande continue de souffrir de sa position de pays frontière, tiraillée entre l’Est et l’Ouest. Uuno, qui s’était engagé en 1919 dans l’expédition d’Aunus, revendique toujours son aspiration à une Finlande forte qui serait le gardien de la culture occidentale à la frontière de la Russie. Sorti de son contexte, le patriotisme de Kailas sera exhumé au moment de la guerre de Continuation avec la publication, en 1941, de l’anthologie Isien tie (La voie des pères).

À Helsinki, Uuno Kailas fréquente quelque temps les « Tulenkantajat » (« Les Porte-Flambeau », 1924-1929), groupe littéraire moderniste formé autour de Olavi Paavolainen et de Mika Waltari, mais son tempérament individualiste va rapidement l'en éloigner : il ne partage guère l'enthousiasme des jeunes poètes de sa génération pour la modernité, mais préfère l'introspection des artistes symbolistes et expressionnistes. Kailas, qui ne s’est pas laissé décourager par les critiques, publie en 1925 son second recueil de poèmes, Purjehtijat (Les navigateurs). Le recueil suivant, Silmästä silmään (Face à face, 1926), provoque un scandale dans la presse : le journal conservateur Kotimaa menace de poursuivre l’auteur en justice pour atteinte à la pudeur. Il faut dire que l’influence de Baudelaire (que Kailas a traduit en finnois) s’y fait sentir dans certains poèmes aux thèmes érotiques.

En 1926, Kailas s’éprend de Lyyli Pajunen, qui sera, selon ses biographes, le seul grand amour de sa vie. Mais leur relation est de courte durée. En août 1928, Kailas est bouleversé en apprenant le suicide de l’un des « Porte-Flambeau », Yrjö Gustafson, dont il était secrètement amoureux. La mort de son ami le peintre Väinö Kunnas (1896-1929), en février 1929, va achever de l’accabler. Frappé par la dépression, Uuno Kailas va passer toute l’année à l’hôpital.

En août 1931, il rencontre le poète Kaarlo Sarkia, avec qui il partagera jusqu'au printemps suivant une amitié aussi brève que tumultueuse.

Nice (1932-1933)

En 1931, pour comble de malédiction, on découvre que Kailas est atteint d’une tuberculose pulmonaire déjà très avancée : de toute évidence, il ne lui reste que quelques mois à vivre. Sur les conseils des médecins, c’est à Nice que Kailas va passer les dernières semaines de sa vie. Il y rencontre la petite communauté finlandaise de la côte d’Azur, et notamment la famille du compositeur Armas Launis, qui a quitté la Finlande en 1930 pour s’installer avec sa femme et sa fille au bord de la Méditerranée.

  
Uuno Kailas avec la femme et la fille d'Armas Launis (qui prend la photo), à Gourdon. - Annonce pour la Villa Constance dans l'annuaire de Nice en 1932.

Après un séjour au 15 boulevard Carlone (aujourd'hui 39 boulevard François-Grosso), il s'installe dans un établissement plus approprié aux soins, la Villa Constance, 1 avenue Lorenzi (quartier Saint-Barthélemy).
Les Launis tiendront compagnie à Kailas jusqu’à l’équinoxe. Uuno meurt dans la nuit du 22 mars 1933. Ses cendres seront rapatriées en Finlande et inhumées à Helsinki, au cimetière de Hietaniemi.

L'exécuteur testamentaire du poète, Olli Nuorto, a rassemblé dès 1933 les derniers poèmes et traductions de Kailas — en y joignant des poèmes inédits plus anciens et des variantes de poèmes parus de son vivant — pour constituer un recueil posthume, qu'il a intitulé, conformément à la volonté de l'auteur, Punajuova (Le trait rouge). En 1936, il présentera au public un aspect moins connu de l'œuvre de Kailas en compilant un recueil de nouvelles.

Sur la pierre tombale de Kailas, au cimetière de Hietaniemi, sera érigée en 1939 une statue représentant le poète et sa lyre, réalisée par le sculpteur Yrjö Liipola (1881-1971) [illustration ci-dessous]. Une autre statue, œuvre du sculpteur Essi Renvall (1911-1979), a été inaugurée à Heinola, sa ville de naissance, en 1949 [illustration plus bas].


Un poète maudit à l'enthousiasme contagieux

La critique nationale a vite fait d’expliquer la vie et l’œuvre de Kailas, selon la tradition freudienne, à coups de troubles psychiques et de problèmes sexuels. Le mythe, déjà vivace sous la plume du premier biographe Maunu Niinistö en 1956, est encore entretenu par un ouvrage récent de Kalle Achté, célèbre psychiatre finlandais qui soutient, depuis les années 1960, la théorie de l’homosexualité comme maladie, et qui étudie avec acharnement le rapport entre création artistique et troubles psychiques. Instabilité mentale, inhibition sexuelle et impuissance, masturbation et perpétuelle culpabilisation, anxiété, obsessions suicidaires, paranoïa, hallucinations… tout y passe pour stigmatiser le poète et en faire une mystérieuse créature damnée. De fait, on se rappelle quelle punition attendait le tout premier « Porte-Flambeau », en contrepartie de son audacieuse création : Prométhée fut crucifié au sommet de la plus haute montagne, entre le ciel et la terre, pour y subir un tourment éternel. Il est probable que ce mythe du jeune poète maudit qui a reçu le talent et la connaissance de l’âme humaine au prix de la folie et d’une mort précoce aura contribué au succès de la poésie de Kailas.

Une chose est sûre, c’est que notre poète, que son ami Mika Waltari décrivait comme un jeune homme ambitieux à l’enthousiasme contagieux, a traversé en 1929 une grave dépression, qu’on a pu expliquer à l’époque par les motifs ci-dessus, mais qui n’était en fin de compte que l’aboutissement naturel d’un certain nombre d’expériences difficiles qu’il ne parvenait pas à surmonter tout seul et dont il ne pouvait non plus parler à cœur ouvert avec son entourage : la mort tragique de son ami d’enfance Bruno Schildt, dont il se sentait responsable dans la mesure où c’est lui qui l’avait entraîné avec insistance dans l’expédition d’Aunus ; l’échec de sa relation avec Lyyli Pajunen ; le suicide de son ami Yrjö Gustafson, dont il était secrètement amoureux ; la mort de Väinö Kunnas. Mais ces épreuves, bientôt suivies par la découverte d’une maladie incurable et déjà très avancée — à l’époque, la tuberculose était en Europe l’une des principales causes de décès (parmi les contemporains et compatriotes de Kailas, les poètes Edith Södergran et Kaarlo Sarkia y ont succombé aussi) —, n’ont fait que renforcer son enthousiasme et son amour de la vie.

La vie de Kailas se présente donc comme un cheminement spirituel très personnel, dont témoignent les poèmes et nouvelles qui jalonnent sa courte carrière d’écrivain et de traducteur.

« Nous sommes des nomades, nés pour le voyage,
caravane dont l’âme est d’un désir la proie.
Heureux celui qui croit ce qu’il y a de plus beau,
celui à qui un mirage montre la voie. »

Ainsi conclut-il sa métaphore de la « Caravane », dans une harmonieuse acceptation de la vanité de l’existence, un renoncement au sens et à la matière qu’on retrouve dans une autre métaphore caractéristique de Kailas : celle de « l’ombre de la fumée ». Et c’est le même irrésistible amour de la vie qui se dégage des deux dernières strophes du « But de l’homme » :

« Mon frère, le but est lointain :
au cœur de la mort !
que la fierté de l’homme soit,
même si le triomphe est vain,
de lutter pour ce vain effort.
 
Et la beauté, sœur de nos rêves,
nous montre la voie :
le cygne qui meurt en chantant,
la rosée des fleurs sur la grève,
la poussière d’or sous nos pas. »  

Heureux celui qui sait ouvrir ses yeux et son cœur à la beauté de la vie ! Loin d’être désespérée, l’œuvre de Kailas est presque une leçon d’optimisme, une invitation à savourer le bonheur que dispense l’existence à celui qui sait voir la beauté. Le poète s’y révèle initié aux « grandeurs inconnues de la vie », ces propriétés de l’existence que les mathématiques ne peuvent calculer, comme le docteur repenti de la nouvelle Que m’ont-ils fait il y a quatre cents ans… ?, qui à l’instar de Faust constate la vanité de sa science et se tourne vers l’irrationnel pour comprendre l’âme humaine.

Cette exploration de l’inconscient et ce penchant pour l’occulte rapprochent Uuno Kailas de ses contemporains symbolistes, et en particulier des artistes qui gravitaient alors autour de l’ordre ésotérique du Golden Dawn, notamment W. B. Yeats et Arthur Machen. Yeats fait partie, d’ailleurs, des auteurs anglophones que Kailas a traduits en finnois ; et l’ambiance de Que m’ont-ils fait…, qui met un scientifique en face des mystères de l’âme, n’est pas sans rappeler celle du Grand dieu Pan de Machen. Mais tandis que ce dernier exploite le côté sombre du symbolisme à des fins d’épouvante, Kailas est plus partagé.

Sa quête de dieu, qui est au cœur de toute son œuvre, est une quête pleine d’espoir ; et plus d’une fois, au détour d’un vers, on le sent tout près du but.

Ce dieu, le poète va bientôt le voir « face à face » — pour reprendre l’expression de Rodin qui sert de titre au recueil de 1926. Dans une nouvelle intitulée « L’éveil », Kailas décrit une vision d’un pays « que la mappemonde ne connaît pas », où il finira par être confronté à l’Être suprême au détour d’un buisson. « Tandis que je le regardais, il consumait les yeux et flétrissait le cœur — et les ranimait en même temps. C’était une béatitude au-dessus de toute mesure, profonde et débordante comme le ciel et la mer. » S’il est inspiré du christianisme que lui a insufflé dès son plus jeune âge sa grand-mère Maria Fredrika, ce dieu qui détruit et régénère — et à qui s’adressait déjà la « Prière » d’ouverture des Navigateurs, (« Instruis-moi, ô Vie, / pour que je sache t’ouvrir mon cœur / lorsque tu parles en un buisson ardent. / Car ta voix est des cœurs la mort et la vie. ») — apparaît surtout comme une divinité païenne, panthéiste, dionysiaque, puisqu’on en fait l’expérience, dans « L’éveil », par l’intermédiaire des oiseaux et de leurs chants, des arbres et de leurs feuilles, des fleurs et des papillons… Cette divinité, indissociable de toutes ses créations par lesquelles elle se manifeste, semble presque sortir de la terre.

Kailas a-t-il vu le grand dieu Pan ? « Nous savons ce qui advenait de quiconque rencontrait le Dieu Pan », raconte un personnage dans le récit de Machen. « Les sages savent que tout symbole est symbole d'une réalité, non pas de néant ; et c'était en vérité un symbole exquis que celui-là, sous lequel les hommes de jadis voilaient les forces secrètes et redoutables qui sont au cœur de toutes choses, les forces devant qui l'âme humaine se fane et meurt, noircie comme le corps même le serait par des courants électriques. Ces forces ne peuvent se nommer, ni concevoir, que sous un voile ; un voile qui apparaît à la plupart comme une fantaisie de poètes, à quelques-uns comme le conte des niais et des fous. » [Arthur Machen, Le grand dieu Pan (1894), VII (trad. Paul-Jean Toulet, 1901).]

C’est bien vers ces « fantaisies de poètes » et autres « contes des niais et des fous » que l’exploration de l’âme a conduit Uuno Kailas, depuis la fantaisie enfantine « Les sots et les sages » en 1925 (« Nous nous rions des sages, soleil. ») jusqu’au personnage de 1931 qui fait mine de jouer du violon en frottant un brin d’herbe sur un bout de bois (« Le violon »).

« Ce que jouait la tige d’herbe,
seul le sut Notre Seigneur Dieu :
l’herbe folle était un violon,
et l’homme était un bienheureux. »

On retrouve ici, sous un autre visage, le bienheureux nomade de la caravane « à qui un mirage montre la voie » et qui jouit d’un bonheur — privilège du poète et du fou — qu’on ne peut connaître qu’en marge de la société… ou auprès de Dieu.

Il est significatif que le dernier recueil publié par Kailas, Le sommeil et la mort, se termine (cf. le poème « À la porte ») sur l’image d’une porte « à la frontière de deux monde ».

De fait, toute l’œuvre de Kailas se passe « sur le pas de la porte », au bord du gouffre (« entre la bouche du revolver et le pied de la croix », pour reprendre une formule de Barbey d’Aurevilly). Souvent le narrateur se tient en équilibre au dessus d’un précipice (cf. le poème « Au bord ») : à tout moment il peut tomber au fond de l’abîme — ou s’envoler, comme l’esprit du poème de Baudelaire « Élévation » (que Kailas a traduit en finnois dans son recueil Face à face), 

« Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes ! »


Bibliographie

Œuvres de Uuno Kailas

Ouvrages traduits par Uuno Kailas

Quelques anthologies posthumes 

Uuno Kailas en français

La revue Yggdrasill (« Bulletin mensuel de la poésie en France et à l’Étranger »), dans les années 1930, a contribué à faire connaître au public français les poètes finlandais.

Depuis, quelques poèmes ont été donnés dans des revues et anthologies :

La poussière d'or sous nos pas, poèmes choisis, traduits du finnois et présentés par Sébastien Cagnoli, Riveneuve, 2006.

Uuno Kailas Heinolasta Nizzaan – Sata vuotta musiikkia ja runoutta Nizzan ja Suomen välillä, Helsinki (Helsingin yliopiston tutkijakollegium, Armas Launis -seura, SKS), 2015 [contient une sélection de poèmes trilingues : finnois, niçois, français].

  

Autour de Uuno Kailas


Uuno Kailas en musique

portrait d'Uuno Kailas par Arvid Broms
          (1910-1968), 1947, Heinolan kaupunginmuseoLes poèmes de Uuno Kailas ont inspiré quelques compositeurs finlandais.

Les poèmes de Kailas ont aussi rencontré un grand succès dans la musique populaire :



Iconographie


Väinö Kunnas (1896-1929), huile de 1924, WSOY.

Uuno Kailas runossaan, fin des années 1920, coll. part.

Uuno Eskola (1885-1958), huile de 1938, WSOY.

Yrjö Liipola (1881-1971), tombeau de Kailas au cimetière de Hietaniemi, 1939. 
portrait d'Uuno
                Kailas par Arvid Broms (1910-1968), 1947, Heinolan
                kaupunginmuseo
Arvid Broms (1910-1968), Le poète et sa muse, 1947, Musée des beaux-arts de Heinola.

Essi Renvall (1911-1979), monument égigé à Heinola en 1949.


Les traductions

Note d'intention

La poésie de Kailas est surtout connue par l’anthologie qu’il a constituée lui-même en 1932, entre sa grande dépression et sa mort annoncée, à une époque où sa vie n’était que déception, maladie, et attente d’une fin précoce et imminente. C’est donc cette image qui a été livrée au public, soulignée par le zèle des critiques, qui ont surtout retenu de la vie du poète son angoisse récurrente et son « destin tragique » qui confirmaient la théorie selon laquelle tout poète est une créature maudite.

Avec le présent recueil, j’ai souhaité donner de l’œuvre de Kailas un panorama plus représentatif, plus objectif, et réhabiliter, à côté de ses vers les plus sinistres, des pages rayonnantes composées avec la même conviction. Il me semble que c’est la façon la plus juste et la plus complète de présenter l’œuvre d’un artiste qui s’est toujours attaché à explorer la face cachée de l’être humain avec curiosité, avec enthousiasme, avec acharnement, tantôt émerveillé et tantôt terrifié par ses découvertes, pour y trouver les manifestations de l’âme et tenter de donner une forme, au moyen du langage, à ce qui est par nature indicible.

En dépit d’une certaine naïveté, de son caractère impulsif et un peu immature, en dépit de ses inévitables tâtonnements, on pourra apprécier dans les textes qui suivent, je l’espère, la cohérence de sa démarche artistique.

Texte original

Les présentes traductions s'appuient sur les éditions originales des recueils et, le cas échéant, sur les variantes publiées dans l'anthologie de 1932. Les vers qui présentent des divergences sont désignés par des crochets.

Pour chaque poème, je me suis laissé guider par les vers de Kailas pour chercher un rythme français qui puisse donner une idée de la musique qui s'en dégage.

Kailas ayant tendance à pratiquer la rime à la mode occidentale, je l'imite lorsqu'il a recours à ce procédé. Cela dit, entre la rime et le sens, je privilégie le sens, ce qui explique que mes rimes soient souvent très pauvres...

Remarque sur la deuxième personne

La deuxième personne, que Kailas emploie souvent dans ses poèmes, peut désigner le lecteur (une deuxième personne générique), ou bien Kailas lui-même (son double, en quelque sorte, auquel il s'adresse par l'intermédiaire d'un narrateur), ou un sujet impersonnel ("on"), ou encore une réelle deuxième personne distincte à laquelle le narrateur (qu'il s'agisse de Kailas, de son double, ou d'un personnage imaginaire) adresse ses vers.

Se pose alors la question du genre à donner en français à cette deuxième personne, eu égard à l'absence de genre grammatical dans la langue finnoise. (La même question se pose pour la première personne, d'ailleurs.) Dans « Troubadour », par exemple, j'ai adopté le masculin, ne serait-ce que parce que le titre même fait penser aux cantigas d'amigo (chants d'ami), genre poétique composé et chanté par des hommes, qui occupe une large place dans la littérature occitane du XIIIème siècle et où le narrateur est une femme qui parle de son bien-aimé. Naturellement, Kailas joue sur cette ambiguïté : quel que soit le genre choisi en français, on est forcé de renoncer à une partie des interprétations que l'auteur laisse entendre.

Remerciements

Je ne serais sans doute pas allé bien loin sans l'aide, les conseils, le dévouement, la confiance et l'enthousiasme d'Anja Fantapié ; et je remercie aussi Jean-Luc Moreau et Antoine Chalvin, qui m’ont stimulé par leurs chaleureux encouragements.



Uuno Kailas
© 2004-2018, S. Cagnoli (texte et photos couleur)