Cagnoli,
Nice
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En vis-à-vis de la place Charles-Albert (en demi-cercle), la
nouvelle "place du Pont-Neuf" qui se dessine sur la rive droite va
prendre finalement une forme quadrangulaire (future place
"Masséna" ; repère 8 sur le plan ci-dessous [extrait de
l’Annuaire de 1847]).
Antonio
Cagnoli s'établit à son compte comme ébéniste dans
le faubourg
Saint-Jean-Baptiste, au niveau du pont Neuf et de
la place quadrangulaire.
L'église paroissiale Saint-Jean-Baptiste fut construite entre 1645 et 1652 sur la rive droite du Paillon, puis devint la chapelle du Collège jésuite (situé à l’emplacement du futur Lycée). En 1832, l’épidémie de choléra qui se répandait en Europe est arrivée aux portes de Nice (qui comptait à l'époque environ 30 000 habitants). Après avoir pris les mesures sanitaires qui s’imposaient, l’administration de la ville a décidé de placer Nice sous la protection de la Madone des Grâces, par l'adoption d'un vœu solennel de la ville, en avril 1832 : si la ville était épargnée par l'épidémie, le conseil s'engageait à construire une nouvelle église, consacrée à la Madone des Grâces, et à organiser une célébration chaque année consistant en une procession et une cérémonie religieuses. En 1834, le vœu paraissant exaucé, on a choisi un emplacement : il a d'abord été question de placer la nouvelle église en position prestigieuse au fond de la nouvelle place du Pont-Neuf en construction, mais diverses raisons ont repoussé le chantier au niveau du pont Vieux. La construction s'échelonne de 1835 à 1852 (ironiquement, le choléra commence à sévir à Nice l'été 1835, quelques mois après la pose de la première pierre...). Le 15 août 1852, l'église Notre-Dame-des-Grâces (ou église Saint-Jean-Baptiste dite "du Vœu") sera inaugurée et bénie par l'évêque de Nice, monseigneur Galvano.
Depuis les plans établis par le Consiglio d'Ornato en 1832, la rive droite est en plein aménagement, avec notamment de nombreux projets de commerces. Victor Tiranty y possédait de vastes terres, en amont du pont Neuf. Après sa mort en avril 1836, sa veuve fait bâtir un grand immeuble de style turinois (l'actuel 2 rue Masséna). Édouard Corinaldi décrit dans ses mémoires l'urbanisation du quartier :
Du
côté opposé [rive droite], il y avait d'abord la propriété
vraiment seigneuriale de M. Victor Tiranty. Cette propriété
s'étendait sur la route de France jusqu'à la ruelle qui sépare
la maison de Mme veuve Tiranty de l'immense immeuble du feu
comte d'Ongran. Puis venait la campagne de Mme la marquise de
Châteauneuf dont hérita plus tard le marquis de Constantin.
Enfin, le jardin de M. Pons, ancien capitaine de la marine
marchande, s'étendait un peu plus loin que la rue Maccarani.
Dans presque tous ces jardins, séparés le plus souvent par de
simples haies de rosiers de Bengale, il y avait, outre la
maisonnette rustique du métayer près du puits et de l'étable,
une toute petite maison de campagne aux murs roses, aux volets
verts. Elle était élevée d'un ou tout au plus de deux étages. Au
centre de sa toiture en briques creuses, s'élevait le plus
souvent un petit belvedère d'où, malgré le peu d'élévation de
l'édifice, on jouissait d'une vue splendide par suite de la
distance assez considérable qui séparait chacune de ces petites
constructions. L'été, elles étaient habitées par leurs
propriétaires ; l'hiver, ils les louaient aux membres de notre
colonie étrangère. Ce fut dans la maison de campagne de M.
Bessi, située route de France, en partie sur l'emplacement que
devait occuper plus tard la rue Paradis, qu'en 1836 ou en 1837,
Meyerbeer vint loger et travailler à son dernier opéra, L'Africaine. Cette maison où avait habité l'un
des plus illustres compositeurs de notre époque, fut en partie
démolie lors de l'ouverture de la dite rue. Ce qui en resta fut
transformé en un petit cabaret de bas étage, qui prit le nom
d'Auberge de la Lune. Ce cabaret disparut à son tour, vers 1870,
pour faire place à un nouvel et plus important immeuble.
Donc en 1832, dès qu'en sortant de Nice on avait franchi le
Pont-Neuf, on était sans aucune transition transporté en pleine
campagne. Toutes les propriétés environnantes étaient telles que
les générations disparues les avaient laissées, et telles que
leurs possesseurs d'alors comptaient les laisser à leurs
descendants (...)
M. Victor Tiranty,
possesseur d'une des plus belles et des plus vastes propriétés
de Nice, mourut d'une attaque d'apoplexie en 183[6] et quelques
mois après, sa veuve jetait les fondements de la grande maison
de la rue Masséna contiguë au café de la Victoire. Bien que cet
immeuble de style turinais n'eût rien de remarquable, on le
considérait alors pour sa masse même comme un véritable
monument.
Presque en même temps, son beau-fils M. Ambroise Tiranty,
commençait à édifier la première moitié de l'énorme maison qui
porte encore le nom de maison d'Ongran. Ces deux immeubles
terminés pendant l'été de 1837, furent loués et occupés dès la
Saint-Michel de la même année. Mme Veuve Tiranty loua sa maison
vide et j'en meublai une partie. M. Ambroise Tiranty loua la
sienne meublée ; ni lui ni moi nous n'eûmes un seul appartement
vide, ni cet hiver, ni les hivers suivants. Cependant nous les
louions à peu près 40 % plus cher que nos concurrents. Mais il
est juste de dire qu'au point de vue du confort et du goût, nous
avions introduit à Nice un premier progrès très sensible dans
l'art de l'ameublement.
Le grand attrait de ces deux immeubles, c'était leur vue :
aucune construction ne la gênait encore, et de nos fenêtres nous
pouvions voir librement la mer jusqu'à la pointe de la Garoupe,
comme on pourrait le faire aujourd'hui de la promenade des
Anglais. (...)
Dans cette fièvre
de constructions, la partie de la route de France qui allait
du chemin Saint-Étienne à la place Magenta commençait à se
peupler. Le côté faisant face au midi était occupé presque en
entier par la maison de Mme veuve Tiranty et par celle de M.
Ambroise Tiranty, son beau-fils. Le côté nord commençait aussi
à se bâtir, de sorte que ces immeubles, après avoir perdu la
vue de la mer, étaient même menacés de perdre le soleil
d'hiver. C'est ce qui arriva en effet à la maison de Mme veuve
Tiranty. Le même sort aurait été réservé à celle de M.
Ambroise Tiranty si son propriétaire n'avait habilement paré
ce coup, par un assez gros sacrifice d'argent.
Les personnes qui avaient
acheté route de France les lots de terrain faisant face aux
maisons précitées, étaient de petits bourgeois, de petits
industriels qui, manquant de capitaux pour faire une grosse
construction, ne comptaient guère élever, au moins
temporairement, qu'un étage sur rez-de-chaussée. M. Ambroise
Tiranty alla les voir et après s'être enquis de leurs
intentions, il leur proposa de leur payer tout ou partie du
terrain, à condition qu'ils s'engageassent par-devant notaire
à ne jamais élever leurs immeubles au-dessus du premier étage.
Ces braves gens crurent faire une affaire d'or. Ils signèrent,
et voilà pourquoi dans cette rue Masséna, aujourd'hui si
passagère, où le terrain vaut à coup sûr plus de 200 francs le
mètre carré on voit en face de la maison Ongran une longue
rangée de maisonnettes, qui n'ont qu'un étage sur
rez-de-chaussée, et qui ne pourront probablement jamais
s'élever plus haut. L'affaire dut se passer vers l'an 1838. Je
tiens ce détail de M. Ambroise Tiranty lui-même, qui me le
raconta en sortant de chez le notaire. D'après lui, le
sacrifice que lui coûta l'acquisition de cette servitude fut
d'environ 30,000 francs.
Depuis l'an 1832 jusqu'à nos
jours, le mouvement des constructions à Nice s'est tantôt
accéléré, tantôt ralenti, quelquefois dans une grande mesure ;
mais il ne s'est jamais complètement arrêté.
En 1847, pour la première fois, un Cagnoli figure dans l’annuaire de Nice (ainsi qu'en 1848) :
« Cagnoli Antoine, ébéniste, près le pont-neuf, maison veuve Tiranty. » [Indicateur niçois, 1848, volume français, p. 216]
Cette date sera retenue par la suite comme année de fondation de la maison « E. Cagnoli ».
Ci-contre : un portrait
imaginaire d'Antonio à cette époque.
Il est difficile de savoir pourquoi et comment Antoine et Madeleine ont sollicité ces deux personnes. En particulier, le parrain russe est un personnage surprenant (et décisif, puisque trois générations de Cagnoli vont porter un prénom dérivé du sien, avec quelques complications au passage, comme on va le voir). En effet, en 1847, il y a encore peu de Russes à Nice. Ceux-ci appartiennent à deux catégories différentes : l'aristocratie en villégiature et les exilés politiques (notamment suite au mouvement décembriste de 1825). On note ainsi un passage du grand-duc Michel Pavlovitch à l’hôtel d’York en 1837, des séjours du prince Elim Mechtcherski, de Platon Tchikhatchov, de Pierre Tchikhatchov. En 1841-1842, il semble y avoir tout juste une première vague de touristes russes (cf. lettres d’Étienne Michaud, consul de Russie de 1815 à 1845). Gogol, en 1843-1844, loge chez les Wielhorski, des Polonais résidant en la maison de Mme Paradis au faubourg Croix-de-Marbre. Alexandre De Griève succède à Michaud comme consul de Russie (fonction qui sera suspendue pendant la guerre de Crimée, 1853-1856). Et enfin, une coïncidence : le 21 octobre 1847, le jeune Alexandre Herzen arrive à Nice (en provenance de France, où il était exilé depuis janvier [portrait ci-contre]). Il ne fait que passer : il part pour Rome dès le mois de décembre ; mais il reviendra en 1851-1852.
Le petit Cagnoli naît le 23 octobre à 5 h du soir, et sera baptisé le 26 à Saint-Jean-Baptiste.
Le même Ilia Novikov, valet de chambre, sera le parrain de l'enfant suivant : Maria Antonia, en janvier 1850. C'est donc bel et bien un ami de la famille.
Abolition de la monarchie absolue (1847-1848)
1847 : réformes de Charles-Albert, qui commence à
assouplir l'absolutisme de la monarchie sarde. Il annonce la
liberté de la presse, l'amnistie des prisonniers politiques,
et promet une constitution. Ce premier pas est célébré à
Nice par un grand banquet sur la Terrasse, le 11
novembre. |
Première Guerre d'Indépendance italienne (1848-1849)
Dans le cadre des révolutions de février 1848, Charles-Albert décide de s'engager en
faveur des rebelles. Il amnistie Giuseppe Garibaldi et
l'invite à rentrer d'Amérique pour venir assister les
révolutionnaires alliés. Le retour du "héros" est annoncé
dans la presse niçoise dès le 9 mars. |
Le fils aîné de Charles-Albert de Savoie-Carignan et de Marie-Thérèse de Toscane est né à Turin au palais Carignan, après quoi il a été emmené aussitôt à Florence pour y passer les premières années de sa vie. Là, un incendie a ravagé la pièce où se trouvaient le nouveau-né et sa nourrice. Curieusement, il a été déclaré que l'incendie avait tué la nourrice, mais pas l'enfant. Il est probable que le roi Victor-Emmanuel II fût en fait un bâtard pris pour remplacer l'enfant mort dans l'incendie.Le 1er janvier 1850, les États-Sardes continentaux adoptent définitivement le système métrique (c'était une décision prise par Charles-Albert dès 1845).
Dans le port de Nice, les travaux d'aménagement des quais
sont en train de se terminer, et l'église va ouvrir ses
portes en 1853. Mais depuis l'annexion de Gênes en 1815,
Turin s'intéresse beaucoup moins à l'économie maritime de
Nice. Aussi, en mai 1851, Victor-Emmanuel II
finit-il par abolir les franchises dont le port de Nice
bénéficiait depuis 1612, et que Charles-Félix avait
rétablies dès la restauration. C'est une conséquence logique
du Statuto, qui
avait pour but d'abolir les privilèges et de mettre toutes
les provinces du royaume sur un pied d'égalité juridique.
Manifestement, le nouveau roi se désintéresse de Nice ;
par ailleurs, le territoire est convoité depuis longtemps
par les Français... Les Niçois se sentent trahis.
L'insatisfaction conduit à des émeutes, dont la statue de
Charles-Félix porte encore la cicatrice : depuis lors, son
bras tend vers le port un doigt coupé, symbole de la
promesse non tenue par Turin. Au vu du pavillon, la scène ci-dessus (détail) se passe entre 1848 et 1860. La Marine royale s'est mise à la vapeur à partir de 1834, en particulier pour la liaison postale avec l'île de Sardaigne, mais le navire représenté ici par Vincenzo Fossat (1822-1897) est une bonne vieille frégate à la manière du XVIIIe siècle, l'une des dernières, probablement la San Michele (construite à Gênes en 1841). La visite d'une frégate à Nice ne devait pas être fréquente, à l'époque, la base étant à Gênes et les activités militaires tournées vers d'autres rivages (contre les pirates autour de la Sardaigne, contre les Autrichiens dans l'Adriatique en 1849 et en 1859, contre les Russes dans la mer Noire en 1855-1856). Ce tableau ne représente donc pas une scène de la vie quotidienne mais commémore une occasion exceptionnelle, ce que confirme la salve d'honneur tirée par la frégate. |
1852 : création du "jardin Public", conformément au Consiglio d'Ornato. (En 1914, il sera renommé "Albert Ier", en l'honneur du roi des Belges.) Le jardin public à l'embouchure du Paillon, par Urbain Garin de Cocconato, 1853. [source] - Le pont Neuf et le quai Saint-Jean-Baptiste vus du Jardin Public. La fontaine des Tritons quitte la place Saint-Jean-Baptiste en 1852 (devant le Lycée, à l'extrémité du pont Vieux) pour siéger définitivement dans le Jardin Public à partir de 1866. |
Dans la vieille ville, la grand-mère d'Antonio (Maria Dassori veuve Cagnoli) meurt en novembre 1850 (paroisse Sainte-Réparate), à l'âge de 80 ans. Arrivée sur le littoral du pays niçois dès sa jeunesse, elle avait environ 22 ans lors de la dernière invasion française, 44 à la libération, 77 à la naissance de son arrière-petit-fils Elia Ferdinando, 78 lors de la promulgation du Statuto... Elle s'est sans doute établie dans le pays après la mort du roi Charles-Emmanuel III, mais elle aura connu les règnes de Victor-Amédée III, Charles-Emmanuel IV en exil, Victor-Emmanuel Ier, Charles-Félix, Charles-Albert et même Victor-Emmanuel II ! Elle a connu 5 générations de Cagnoli, parmi lesquels elle a accompagné deux générations de marins, puis deux générations de menuisiers (y compris l'entreprise créée par son petit-fils Antonio), en tant que belle-fille, épouse, belle-sœur, mère, grand-mère... |
Après la guerre, les
relations diplomatiques avec la Russie sont rétablies.
L’impératrice Alexandra
Fedorovna (épouse de Nicolas Ier)
passe l'hiver 1856-1857 à Nice. Le roi Victor-Emmanuel
II vient à sa rencontre. Le 28 janvier 1857, il
lui rend une visite informelle à la villa Avigdor (au bord
de la route de France, côté mer, entre la Croix de Marbre
et le Magnan). Puis il la reçoit le lendemain, en grande
pompe, en son Palais Royal. Ce séjour effectué "pour
raisons de santé" a en fait une motivation diplomatique.
Les entretiens de Nice conduisent à un accord
stratégique : la Russie, qui était privée de l'accès à la
Méditerranée par la mer Noire depuis la fin de la guerre,
obtient une concession pour établir une base navale (dépôt
de vivres et de combustibles) dans la rade de
Villefranche à partir de 1858. La tsarine en 1856. La villa Avigdor. Le roi Victor-Emmanuel (et le prince héritier Humbert). |
C'est dans ce contexte de diplomatie russo-sarde qu'est
construite l'églisse paroissiale
Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra, rue Longchamp (en
1856-1859). En effet, depuis 1848, le Statuto garantit maintenant la liberté de culte dans tout le royaume. En 1857, les Piémontais construisent un temple vaudois dans le faubourg Saint-Jean-Baptiste ; il sera fréquenté aussi par les calvinistes français jusqu'à 1890. Quant aux Anglais, ils sont désormais autorisés par Turin à remplacer leur discrète villa paroissiale de la rue de France par une église ostentatoire : les travaux de reconstruction de la Holy Trinity Church commencent en 1859, dans un style style néogothique (le nouvel édifice sera achevé en 1863). Le temple vaudois (rue Gioffredo). L'église russe (rue Longchamp). La nouvelle église anglicane (rue de France). |
1859 : Deuxième Guerre d'Indépendance italienneEn juillet 1858,
à Plombières, l'empereur des Français Napoléon III a
rencontré Camillo Cavour,
chef de gouvernement du royaume de Sardaigne, pour
officialiser le troc de Nice et de la Savoie contre un
soutien militaire français dans le projet d'unification
italienne caressé par le roi Victor-Emmanuel II. L'accord est ratifié à
Turin en janvier 1859.
C'est l'empereur Napoléon III qui prend le commandement de l'armée alliée franco-sarde à Alexandrie. L'empereur François-Joseph est à la tête des armées autrichiennes. La Brigata Cuneo participe à la bataille de San Martino, près du lac de Garde (Solferino, 24 juin). La prise de la Cotracania
et la bataille de San Martino.
Lors de la première guerre d'indépendance, Anita Garibaldi était morte de la typhoïde à Mandriole, près de Ravenne, en 1849. En 1859, les Romagnols se soulèvent contre Pie IX et s'allient à Victor-Emmanuel. En juin, Giuseppe Garibaldi peut donc enfin se rendre à Mandriole et récupérer la dépouille de sa femme, qui avaient été conservée secrètement par les habitants du village. Il la fait envoyer à Nice et murer dans une chapelle au cimetière du Château. François-Joseph. - Victor-Emmanuel II et Napoléon III à Milan (juin 1859). Cette fois, grâce au soutien français,
Victor-Emmanuel parvient à prendre la Lombardie et
la Toscane aux Autrichiens, ainsi que la Romagne au
pape. Il fait aussitôt frapper une pièce de 5 livres
sardes à Bologne ("Dio protegge l'Italia") :
L'armistice de
Villafranca, en juillet 1859, entérine l'annexion de
la Lombardie mais pose le principe de la restitution
des duchés et de la Romagne. L'armistice peine à se
faire respecter : la carte ci-dessus à gauche inclut
les régions unies aux États-Sardes en dépit de cet
accord préliminaire. À droite : les divisions
administratives officielles conformes au traité de
paix de Zurich (novembre).
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La descendance de l'oncle SerafinoL’aîné de Serafino, Andrea, est parti étudier à la capitale.L’Institut technique royal de Turin (aujourd'hui Institut Germano Sommeiller) a son origine dans une école municipale fondée en 1805 pour former des géomètres (misuratori). Devenu « Regio Istituto Tecnico di Torino » en novembre 1852, il accueille sous cette nouvelle forme une première promotion d’étudiants à partir de l’année 1853-1854 (à l'emplacement d'un certain "Collegio Classico di Porta Nuova", contrada delle Finanze, aujourd'hui via Cesare Battisti). Andrea termine ses études en pleine guerre (en mai, les Autrichiens sont arrivés à 50 km de Turin) et rentre à Nice en juillet 1859 (27 ans) avec un diplôme de misuratore. Il s’installe comme architecte au 2 rue Fodéré, derrière l'église du Port. Avec le développement de la rive droite régi par le Consiglio d'Ornato, il est sûr de ne pas manquer de travail.
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Le changement de souveraineté
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Le tsar Alexandre II est
arrivé à Villefranche le 21
octobre 1864 avec son épouse Maria Alexandrovna
pour discuter avec Napoléon
III (dans l'espoir de renouveler avec la France
les accords stratégiques que la Russie entretenait avec la
Maison de Savoie, en particulier au sujet de la base
navale à Villefranche). Leur fils Nicolas Alexandrovitch
les rejoint le 13 novembre. Après un bref voyage
en Italie, le grand-duc passe l'hiver à Nice et succombe à
une méningite le 24 avril 1865. Le 28, ses funérailles
sont célébrées en grande pompe à travers la ville. Une
chapelle commémorative est construite sur le lieu du décès
en 1867-1868 (sous Nicolas II, une cathédrale sera érigée
à côté de cette chapelle). Le grand-duc Nicolas et ses parents. Cortège funèbre place Charles-Albert le 28 avril 1865 [photo de Charles Negre]. La chapelle du Tsarévitch. L'empereur Napoléon III. |
La place Masséna est en pleine transformation. Entre 1861 et 1866, Maddalena et Antonio, qu'il faut désormais appeler "Madeleine" et "Antoine", quittent le quai Saint-Jean-Baptiste et retournent à la Croix-de-Marbre.
Ils louent alors un appartement dans la "maison Dalmas", un immeuble de la rue du Lavoir (qui correspond à l'actuelle rue Meyerbeer). La famille Dalmas possède en effet plusieurs parcelles auxquelles on accède par la rue de France, par la rue du Lavoir ou par le rivage où vient d'être construite la "Promenade des Anglais". Selon les plans d'époque et les descriptions du cadastre, l'immeuble où habitent les Cagnoli semble être la petite bâtisse qui subsiste encore derrière l'hôtel Westminster (parcelle cadastrale 576 ; photo ci-contre en juin 2016), ou un immeuble adjacent remplacé aujourd'hui par l'hôtel.
La Promenade étant toute récente, l'accès principal aux maisons se trouve toujours du côté de la rue de France ou des ruelles transversales ; le front de mer est une pure attraction touristique, où les façades d'hôtels commencent à pousser comme des champignons. La photo ci-contre (de Miguel Aleo et Alphonse Davanne) date des années 1867-1868 ; on distingue les maisons Dalmas et la rue du Lavoir sont au fond de la perspective.
En 1866, les Cagnoli partagent l'immeuble avec les voisins suivants : un couple de maçons ; un couple de distillateurs avec un fils menuisier ; un couple de cordonniers avec leurs enfants ; un jeune couple de travailleurs journaliers avec deux enfants ; un autre maçon et son épouse repasseuse ; un tailleur de pierre avec sa femme et leurs trois enfants. La maison Dalmas est donc divisée en 7 appartements et habitée par 30 locataires.
À titre d'exemple, ce schéma représente la façade imposée par le Consiglio d'Ornato en 1839 pour une maison construite sur la rue de France au croisement de la rue du Lavoir (à peu près l'actuel Skender Kebab). À droite : le côté nord de la place Croix-de-Marbre aujourd'hui (juin 2016) : la colonne à Pie VII, le sanctuaire du Sacré-Coeur et le palais Marie-Christine (du nom de l'épouse de Charles-Félix). La maison Saint-Pierre, propriété de l'évêché derrière l'église paroissiale (rue de la Buffa, photo mai 2015, un an avant sa démolition). |
L'ébéniste borgne Antonio Cagnoli meurt le 6 juillet 1869, âgé de 53 ans (avis de décès dans le Journal de Nice du vendredi 9). Il avait perdu son père dès l'âge de 8 ans, puis ses grands-parents en 1839 et 1850, et sa mère en 1846. Ses frères et soeurs sont tous morts jeunes. Il laisse une veuve de 48 ans, rentière, et leurs nombreux enfants : Élie, marqueteur de 21 ans ; Marie, 19 ans ; Louis, marqueteur, 17 ans ; Élisabeth, 15 ans ; Angèle, 12 ans ; et la petite dernière, Désirée, 8 ans. Il a aussi, entre autres, son oncle Séraphin, menuisier, 75 ans ; et son cousin germain André, architecte, 37 ans. |
Pour les visiteurs d'Europe du Nord, une église
luthérienne vient d'être édifiée en périphérie du
faubourg de la Croix-de-Marbre (aujourd'hui entre
Victor-Hugo et Déroulède) et consacrée en 1866. En 1869, le Conseil municipal vote l'ouverture d'un "boulevard de ceinture" de Carabacel à l'avenue du Prince-Impérial (aujourd'hui Jean-Médecin). Achevé en 1870, ce premier tronçon s'appelle "Dubouchage". Il s'agit de cerner le nouveau quadrilatère urbain de la rive droite par une large voie bordée d'arbres. Le chantier continue avec ce qui correspond aux actuels boulevards Victor-Hugo et Gambetta. Dans le cadre de ce chantier, la rue du Lavoir est prolongée pour communiquer avec le nouveau boulevard (c'est la rue Meyerbeer telle qu'on la connaît aujourd'hui). À partir de 1870, les Écossais disposent à leur tour d'un lieu de culte, situé à côté de l'église luthérienne. Toujours dans le quartier, en 1872, les pères de la Société des Missions Africaines (fondée à Lyon en 1856) vont également commencer la construction d'un "Sanctuaire en l'honneur du Sacré-Coeur" (mais les travaux seront interrompus en 1880, sous la République, par les décrets de Jules Ferry visant à l'expulsion des congrégations religieuses de France). L'église luthérienne (rue d'Augsbourg, aujourd'hui Eugène-Melchior de Vogüé) [aquarelle d'Antonio Mosconi, 1876]. L'église écossaise (démolie depuis), sur le boulevard Longchamp (aujourd'hui Victor-Hugo). La mission africaine (sanctuaire du Sacré-Coeur, rue de France, place Croix-de-Marbre). |
La République et les "Vêpres niçoises"Suite à la proclamation de la république, quelques troubles sans gravité ont lieu le 5 septembre. Le nouveau préfet, Pierre Baragnon, arrive à Nice le 8. Afin de couper court aux tensions, il annonce d'abord des élections municipales pour le 25 septembre. Mais devant l'instabilité de la situation, il annule les élections, rétablit l'état de siège, suspend le conseil municipal et désarme la garde nationale.Le 22 octobre, un nouveau préfet arrive à Nice : Marc Dufraisse. Quelques manifestations se produisent, la population souhaitant que le nouveau préfet rétablisse le conseil municipal et réarme la garde nationale. Mais Dufraisse, comme son prédécesseur, fait expulser les opposants. Le 28 janvier 1871, Adolphe Thiers signe un armistice avec la Prusse. Des élections législatives sont organisées dans la hâte le 8 février 1871. À Nice, les 4 candidats élus sont trois séparatistes (Garibaldi en tête), totalisant 74 % des suffrages, suivis de Dufraisse, sensiblement derrière. Le soir même, une première manifestation acclame ces résultats. Le lendemain, 9 février, Dufraisse interdit le journal d'opposition (Il Diritto di Nizza), qu'il accuse d'ourdir un complot contre la République. Il perquisitionne les locaux du journal, ce qui déclenche des émeutes. Le préfet envoie l'armée, la foule assiège la préfecture, des bagarres éclatent toute la soirée entre la foule et l'armée. Les manifestants crient « Vive Garibaldi ! Vive l’Italie ! ». Malgré plusieurs arrestations, les groupes se reforment. La préfecture fait évacuer les terrasses du cours Saleya et le calme revient dans la nuit. Le lendemain, 10 février, le préfet ordonne l’arrestation des "meneurs". Aussitôt, une nouvelle manifestation spontanée regroupe 200 à 300 personnes sur le cours Saleya. Des gendarmes dispersent les manifestants, mais les émeutes continuent toute la soirée. Après quelques coups de feu, bagarres et évacuations, le calme revient peu à peu. Le samedi 11 février, Dufraisse prend des mesures radicales pour empêcher tout attroupement et interdit la presse d'opposition. En plus de Nice, Garibaldi a été élu député (sans s'être porté candidat) en Côte-d'Or, à Paris et à Alger. À Paris, il arrive en quatrième position derrière Louis Blanc, Léon Gambetta et Victor Hugo. Face à ses détracteurs qui lui reprochent sa "nationalité italienne" (Garibaldi est né à Nice sous l'occupation française) et veulent invalider son élection, il décline ses mandats. Il est encore élu en Algérie lors des élections supplétives, ce que l'Assemblée invalide de nouveau, en mars, pour le même prétexte de nationalité. Victor Hugo proteste, n'est pas écouté, démissionne par solidarité. Suite à ces "vêpres niçoises", de nombreux intellectuels dénoncent la violation de la liberté des Niçois par le régime dictatorial de la République (ils seront condamnés à l'exil) : Garibaldi (exilé à Caprera) ; Francesco Barberis (L’addio a Nizza, Nizza italiana, exilé à Florence) ; Henri Sappia (Nizza contemporanea, Londres, 1871 ; exilé dans le sud de l'Italie) ; Giuseppe André (Nizza negli ultimi quattro anni) ; Pier Luigi Caire... |
Maddalena Chauvet veuve Cagnoli meurt à son tour en mars 1872, à l’âge de 48 ans. |
Depuis le 19 novembre 1875, par arrêté municipal, un coup de canon tiré à blanc indique chaque jour l'heure de midi. En effet, les Niçois avaient pris l'habitude de régler leur journée sur ce signal dans les années 1861-1866, lorsque l'hivernant écossais Sir Thomas Coventry-More avait eu l'idée de ce stratagème pour rappeler sa femme à la maison à l'heure du déjeuner. [La même pratique est en usage à Rome depuis 1847, suite à une décision de Pie IX destinée à synchroniser les cloches des églises.] |
Le 14 juillet 1877, Élie Cagnoli épouse en secondes noces une autre Joséphine : la sœur de sa belle-sœur Louise. Joséphine Falicon a 19 ans (elle est née dans la campagne de Sainte-Hélène en 1858).
En 1877, dans le quartier du Port, le cousin architecte André et sa femme Marie Madeleine ont perdu deux enfants en bas âge : le 18 février, leur fille de 3 ans Éléonore Joséphine Lucie (constaté par l'adjoint Louis baron Michaud de Beauretour) ; le 5 juin, Adèle Raymonde Jeanne. À la même époque, l'oncle menuisier Giuseppe Serafino meurt le 31 juillet 1878 dans le logement familial du 2 rue Fodéré, âgé de 82 ans.
Élie fait l'acquisition d'un local dans la toute nouvelle "rue Paradis" afin de vendre ses produits au coeur du quartier touristique en plein essor. L'atelier reste au domicile des frères, rue du Lavoir [ci-contre]. En novembre 1878, sur la promenade des Anglais, au coin de la maison, Élie fait placer un écriteau en fer : Aux
bois Mosaïques
E. Cagnoli Rue Paradis 6 atelier Rue du Lavoir 1 |
Le premier enfant d'Élie et de Joséphine naît en octobre 1878 : François.
Grâce à une initiative du Ministère de l'Agriculture et du
Commerce (financée par la Loterie Nationale), des "ouvriers
ou artistes" sont envoyés à la
capitale pour visiter l'Exposition
universelle (la 3e organisée à Paris, la première sous
la IIIe République), qui est en train de se terminer. 14
"menuisiers, ébénistes, marqueteurs et tabletiers" des
Alpes-Maritimes sont du voyage, dont 8 Niçois, désignés par
la Chambre de Commerce de Nice. Louis en fait partie, et
son épouse Louise
est invitée aussi parmi les "tailleurs, tailleuses et
modistes". En outre, deux boulangers du département
reçoivent cet honneur, dont Jacques Falicon, de Sainte-Hélène (sans
doute le frère de Louise et de Joséphine né en 1853). Trocadéro, chemin de fer, statue de la Liberté, machine à coudre... C'est un événement marquant. |
Le développement urbain et économique de la rive droite s'oriente vers l'accueil d'une clientèle croissante de riches hivernants. Élie emménage avec sa famille dans la toute nouvelle et prestigieuse rue Paradis (le point vert à droite sur le plan ci-dessus).