Cagnoli, Nice
(années 1840 - années 1870)
Antonio l'ébéniste et ses fils

     
<= PRÉCÉDENT : Nice Saint-Jacques

Né l'année du Congrès de Vienne, le menuisier borgne Antonio Cagnoli a grandi sur le territoire de la paroisse Saint-Jacques, vers l'îlot des Serruriers, sous la Restauration sarde.
Les temps changent, la ville s'étend. Le "Faubourg" s'urbanise : Nice se développe sur la rive droite du Paillon. Lorsqu'il se marie en 1845, il s'installe de l'autre côté du pont Neuf avec son épouse Madeleine.


Nice en 1847. Près du pont Neuf et dans la "Prima Buffa", les domiciles d'Antoine avec sa famille. À l'ouest, le hameau de Sainte-Hélène, où vivent les Falicon.

Antonio et sa famille à la Croix-de-Marbre (1846)

Le 26 février 1846, naissance de Cesarina, chez la sage-femme Vittoria Bonifassi, morte aussitôt sans baptême. La déclaration est faite à la paroisse Saint-Pierre-d'Arène. L'église paroissiale, fondée sur une chapelle de 1762, a alors l'aspect reproduit ci-contre (elle ne prendra sa forme actuelle qu'à partir de 1914). Comme son nom l'indique, c'est une église destinée initialement aux pêcheurs qui vivent et travaillent sur ce rivage.
   On remarque au passage le prénom "Césarine", inhabituel, un peu pompeux.
   Les Cagnoli résident dans la "prima Buffa", c'est-à-dire dans le premier quartier légèrement surélevé lorsqu'on s'éloigne du Paillon par la route de France, entre les vallons Saint-Michel et Saint-Barthélemy. Il s'agit du faubourg de la Croix-de-Marbre.

           
L'ex-voto ci-dessus, commémorant un accident de voiture sur la route de France, date de 1847 (Monastère de Laghet). Dans les années 1860, la famille Cagnoli habitera dans une rue transversale à gauche, au niveau de l'immeuble vert, au fond de la perspective. Peut-être y résident-ils déjà. Le quartier est connu pour ses deux monuments : la Croix de Marbre érigée en 1568 pour commémorer le Congrès de Nice de 1538, entre Charles V et François Ier, à l'initiative du pape Paul III (qui, à cette occasion, résida dans un couvent à cet emplacement), et la Colonne élevée par Charles-Félix en 1822 pour commémorer les passages du pape Pie VII au début du siècle (lors de son kidnapping par Napoléon en 1809 et de son retour à Rome en 1814). 

En 1821, le Roi de Sardaigne a autorisé la communauté anglaise de Nice à construire une église paroissiale anglicane dans la campagne de la Croix-de-Marbre, à la condition qu'on ne voie pas à son aspect extérieur qu'il s'agit d'un lieu de culte. Elle est donc camouflée en villa avec jardin au bord de la route de France :

L'église anglicane de la Sainte-Trinité (Holy Trinity Church) et son cimetière [lithographie de 1834 d'après un dessin de Paul-Émile Barberi].

Pont Neuf : la première entreprise (1847)

En vis-à-vis de la place Charles-Albert (en demi-cercle), la nouvelle "place du Pont-Neuf" qui se dessine sur la rive droite va prendre finalement une forme quadrangulaire (future place "Masséna" ; repère 8 sur le plan ci-dessous [extrait de l’Annuaire de 1847]). 
Antonio Cagnoli s'établit à son compte comme ébéniste dans le faubourg Saint-Jean-Baptiste, au niveau du pont Neuf et de la place quadrangulaire.

L'église paroissiale Saint-Jean-Baptiste fut construite entre 1645 et 1652 sur la rive droite du Paillon, puis devint la chapelle du Collège jésuite (situé à l’emplacement du futur Lycée). En 1832, l’épidémie de choléra qui se répandait en Europe est arrivée aux portes de Nice (qui comptait à l'époque environ 30 000 habitants). Après avoir pris les mesures sanitaires qui s’imposaient, l’administration de la ville a décidé de placer Nice sous la protection de la Madone des Grâces, par l'adoption d'un vœu solennel de la ville, en avril 1832 : si la ville était épargnée par l'épidémie, le conseil s'engageait à construire une nouvelle église, consacrée à la Madone des Grâces, et à organiser une célébration chaque année consistant en une procession et une cérémonie religieuses. En 1834, le vœu paraissant exaucé, on a choisi un emplacement : il a d'abord été question de placer la nouvelle église en position prestigieuse au fond de la nouvelle place du Pont-Neuf en construction, mais diverses raisons ont repoussé le chantier au niveau du pont Vieux. La construction s'échelonne de 1835 à 1852 (ironiquement, le choléra commence à sévir à Nice l'été 1835, quelques mois après la pose de la première pierre...). Le 15 août 1852, l'église Notre-Dame-des-Grâces (ou église Saint-Jean-Baptiste dite "du Vœu") sera inaugurée et bénie par l'évêque de Nice, monseigneur Galvano.


Depuis les plans établis par le Consiglio d'Ornato en 1832, la rive droite est en plein aménagement, avec notamment de nombreux projets de commerces. Victor Tiranty y possédait de vastes terres, en amont du pont Neuf. Après sa mort en avril 1836, sa veuve fait bâtir un grand immeuble de style turinois (l'actuel 2 rue Masséna). Édouard Corinaldi décrit dans ses mémoires l'urbanisation du quartier :

Du côté opposé [rive droite], il y avait d'abord la propriété vraiment seigneuriale de M. Victor Tiranty. Cette propriété s'étendait sur la route de France jusqu'à la ruelle qui sépare la maison de Mme veuve Tiranty de l'immense immeuble du feu comte d'Ongran. Puis venait la campagne de Mme la marquise de Châteauneuf dont hérita plus tard le marquis de Constantin. Enfin, le jardin de M. Pons, ancien capitaine de la marine marchande, s'étendait un peu plus loin que la rue Maccarani. Dans presque tous ces jardins, séparés le plus souvent par de simples haies de rosiers de Bengale, il y avait, outre la maisonnette rustique du métayer près du puits et de l'étable, une toute petite maison de campagne aux murs roses, aux volets verts. Elle était élevée d'un ou tout au plus de deux étages. Au centre de sa toiture en briques creuses, s'élevait le plus souvent un petit belvedère d'où, malgré le peu d'élévation de l'édifice, on jouissait d'une vue splendide par suite de la distance assez considérable qui séparait chacune de ces petites constructions. L'été, elles étaient habitées par leurs propriétaires ; l'hiver, ils les louaient aux membres de notre colonie étrangère. Ce fut dans la maison de campagne de M. Bessi, située route de France, en partie sur l'emplacement que devait occuper plus tard la rue Paradis, qu'en 1836 ou en 1837, Meyerbeer vint loger et travailler à son dernier opéra, L'Africaine. Cette maison où avait habité l'un des plus illustres compositeurs de notre époque, fut en partie démolie lors de l'ouverture de la dite rue. Ce qui en resta fut transformé en un petit cabaret de bas étage, qui prit le nom d'Auberge de la Lune. Ce cabaret disparut à son tour, vers 1870, pour faire place à un nouvel et plus important immeuble.
Donc en 1832, dès qu'en sortant de Nice on avait franchi le Pont-Neuf, on était sans aucune transition transporté en pleine campagne. Toutes les propriétés environnantes étaient telles que les générations disparues les avaient laissées, et telles que leurs possesseurs d'alors comptaient les laisser à leurs descendants (...)
M. Victor Tiranty, possesseur d'une des plus belles et des plus vastes propriétés de Nice, mourut d'une attaque d'apoplexie en 183[6] et quelques mois après, sa veuve jetait les fondements de la grande maison de la rue Masséna contiguë au café de la Victoire. Bien que cet immeuble de style turinais n'eût rien de remarquable, on le considérait alors pour sa masse même comme un véritable monument.
Presque en même temps, son beau-fils M. Ambroise Tiranty, commençait à édifier la première moitié de l'énorme maison qui porte encore le nom de maison d'Ongran. Ces deux immeubles terminés pendant l'été de 1837, furent loués et occupés dès la Saint-Michel de la même année. Mme Veuve Tiranty loua sa maison vide et j'en meublai une partie. M. Ambroise Tiranty loua la sienne meublée ; ni lui ni moi nous n'eûmes un seul appartement vide, ni cet hiver, ni les hivers suivants. Cependant nous les louions à peu près 40 % plus cher que nos concurrents. Mais il est juste de dire qu'au point de vue du confort et du goût, nous avions introduit à Nice un premier progrès très sensible dans l'art de l'ameublement. 
Le grand attrait de ces deux immeubles, c'était leur vue : aucune construction ne la gênait encore, et de nos fenêtres nous pouvions voir librement la mer jusqu'à la pointe de la Garoupe, comme on pourrait le faire aujourd'hui de la promenade des Anglais. (...)
Dans cette fièvre de constructions, la partie de la route de France qui allait du chemin Saint-Étienne à la place Magenta commençait à se peupler. Le côté faisant face au midi était occupé presque en entier par la maison de Mme veuve Tiranty et par celle de M. Ambroise Tiranty, son beau-fils. Le côté nord commençait aussi à se bâtir, de sorte que ces immeubles, après avoir perdu la vue de la mer, étaient même menacés de perdre le soleil d'hiver. C'est ce qui arriva en effet à la maison de Mme veuve Tiranty. Le même sort aurait été réservé à celle de M. Ambroise Tiranty si son propriétaire n'avait habilement paré ce coup, par un assez gros sacrifice d'argent.
Les personnes qui avaient acheté route de France les lots de terrain faisant face aux maisons précitées, étaient de petits bourgeois, de petits industriels qui, manquant de capitaux pour faire une grosse construction, ne comptaient guère élever, au moins temporairement, qu'un étage sur rez-de-chaussée. M. Ambroise Tiranty alla les voir et après s'être enquis de leurs intentions, il leur proposa de leur payer tout ou partie du terrain, à condition qu'ils s'engageassent par-devant notaire à ne jamais élever leurs immeubles au-dessus du premier étage. Ces braves gens crurent faire une affaire d'or. Ils signèrent, et voilà pourquoi dans cette rue Masséna, aujourd'hui si passagère, où le terrain vaut à coup sûr plus de 200 francs le mètre carré on voit en face de la maison Ongran une longue rangée de maisonnettes, qui n'ont qu'un étage sur rez-de-chaussée, et qui ne pourront probablement jamais s'élever plus haut. L'affaire dut se passer vers l'an 1838. Je tiens ce détail de M. Ambroise Tiranty lui-même, qui me le raconta en sortant de chez le notaire. D'après lui, le sacrifice que lui coûta l'acquisition de cette servitude fut d'environ 30,000 francs. 
Depuis l'an 1832 jusqu'à nos jours, le mouvement des constructions à Nice s'est tantôt accéléré, tantôt ralenti, quelquefois dans une grande mesure ; mais il ne s'est jamais complètement arrêté.

 Le long des deux immeubles Tiranty de 1837, une nouvelle rue se dessine (l'actuelle "rue Masséna"), reliant le côté nord-ouest de la place au début de la route de France en direction de la Croix-de-Marbre.

En 1847, pour la première fois, un Cagnoli figure dans l’annuaire de Nice (ainsi qu'en 1848) :

             « Cagnoli Antoine, ébéniste, près le pont-neuf, maison veuve Tiranty. » [Indicateur niçois, 1848, volume français, p. 216]

Cette date sera retenue par la suite comme année de fondation de la maison « E. Cagnoli ».

Ci-contre : un portrait imaginaire d'Antonio à cette époque.

Les artisans ébénistes niçois sont alors réputés dans toute l'Europe pour leur travail de marqueterie. En 1847, 24 ébénistes et menuisiers sont répertoriés à Nice. Les plus renommés sont Claude Gimello (fondateur du premier atelier, rue des Ponchettes, en 1822 ; médailles à l'exposition de Turin en 1838 et à celle de Gênes en 1846), Joseph Ciaudo (médaille de bronze à Turin en 1838, d'argent en 1844, et à Gênes en 1846), Joseph Mignon (médaille d'encouragement à l'exposition de Turin) et Lazare Vassallo (médaille à l'exposition de 1844, et à Gênes en 1846).

"Après 1815, esistava dintre Niça de fabricant de muble tratan toui lu stile, segond li régla vourgudi. En touta l’Italia e en Provença, lou nouastre païs era justamen réputat per la sieù ebenistaria solida e eleganta. Foù dire que lu mestaïrant eron segondat per de cranou oùvrier, revengut doù tour de França en qualita de compagnon e counoùissen, en lou mestié, touti li bouani escourcha. D’un aùtre cousta, per estre titulari d’un libret d’oùvrier, calia n’en justificar la capacità en esécutan un chef-d’uvre ourdounnat per lu priou de Sant-Jaùsé, eprova réunissen li dificulta li mai délicadi. La journada era de douze oura d’obra, e, la paga journaliera, per lu plus fin travailladou, non era que de quaranta-cinq soù. Es dire que, m’una modesta semanada, s’ingéniavon non soulamen à jouigne onorablamen lu doui bout, ma à si moustrar, lou diménégue, su lou Bastion, embe la lévita, lou gazou e lu soulier de vernis ? – En vila-vieïa, lu oùvrier doù bouasc eron en majorança : ébenista, fustier, bastonnista en fauteuil, cacIeïrant, tournur, esculptur, oùtillur, luthier, dúùrur. Una doumaisella de la classa oùvriera considérava couma un bouan partit un d’aiscestu oùvrier que la perséguia per lou calignatori.
   Tant que li aùguet lou Pouart-Franc, tout anet d’incanto per l’ébenistaria, lu gran atelier dei Ciaùdo, Gimello, Nicolaï e lu autre plus modeste, fournissen proun de muble per cargar de bateù à destinacion de l’America ; ma, à partir de 1852, Glaùdou Gimello, per assegurar lou pan aù sieù persounel, lancet la marquetaria, esécutada per lu plus bouai oùvrier ébenista, mudat à la fès en découpur e tabletier. Ciaudo, doù sieù coustà, mandet à l’Esposicion Universela de Londra, lou mémé an, una taùla marquetada, cap d’obra de grana valour, que obtenguet la soubrana récompensa : la grana médailla d’or. Siguet lou trionf de l’ébenistaria niçarda en la rica Angleterra !
   Jusqu’en 1860, Gimello pratiquet una marquetaria premièra maniera embe de plaqua en mosaïca enchassadi su lu objet, plaqua. encadradi de filigrec, obra de précision, fin dou fin, tant per lu découpur que per lu ébenista, séparat à partir d’aïcesto moumen.
   Après, la maïon dei fraire Mignon, de la carriera Paradis, piet la testa de l’industria, emb’una façon pu éléganta. A la sieù escola si fonneron lu Juli Defer, découpur d’una paciença angélica ; lu Letou Bermond, Ad. Raveù, Bacelone tantu aùtre d’aùtant de meriti, toui parfait découpur.
   Tra lu ébenista esecutan li bouata, cofret, echiquier, taùla, buvard, li aùguet lu Riquier, Constanzo, Vallobra, Juli Gardon, Martin, da van luqual si falia levar lou capeù per lou gaùbe que metion en valour su lou bouasc d’oùlivier.
   Faù pas dénembrar li maïon Lacroix, Nicolas, Galliena e Cera, Dozo, Cagnoli, Bertho, Forgeot, Maria, que fabriqueron tantu bei objet dounan, à Niça, una renoumada mondiala. Era, nen faù convenir, una bela forma de la réclama.
   Que voulès ? lu ivernant d’aloura, apréciatour de goust, despendion qu saù l’argent en lu objet eli bouasc d’oùlivier. En touti li court d’Europa, en li maïon princieri, en li familla li mai fortunadi doù monde entier, la marquetaria nostrala era à la plaça d’oùnour. Tant ben aùguessias soustengut, aloura, que seria tombada, un jou, aù niveù que counouissès, dégun v’aùria piat ait serions.
   Aquela décadença, la deven ai Tudesc A partir de 1876, lu Autrichien venon cargar de bouase d’oùlivier en la Riviera de Génova e beù à Niça. Si metton à fabricar per seria – la stardandisacion, déjà ! Toui lu nouastre moudel sont copiat ; ma, m’una diferença : li plaqua découpadi sont ramplaçadi per de pintura.
   E la nouastra industria niçarda, tant bela non essen défenduda à la frontiera per de tarif de dugana, s’en va, à partir d’aqueù moumen, poù à poù, couma lu passeron que mouaron amélica !
   Urousamen que se n’ès saùvat quaùque bei echantillon aù Museou Masséna, autramen saùrian pas doun vous moustrar cenque era capable d’ademplir e lu nouastre ancien découpur e lu nouastre famous ébenista !"
Touana de la Buffa : « Réga Niçardi. La Marquetaria » (L’Éclaireur, dimanche 19 mars 1922, p. 25)

Dans le même immeuble, le voisin Jean Curetti est "teinturier, dégraisseur et apprêteur à neuf en toute sorte de couleur" ; Pierre Mosca est entrepreneur de bâtisses et maître maçon ; Charles Reale est sellier ; au premier étage, A. Ladé donne des cours de piano.
 
     

Quai Saint-Jean-Baptiste : le domicile 

La "maison Veuve Tiranty" où Antonio tient son commerce en 1847-1848 semble être l'actuel 2 rue Masséna. Mais au cours des années suivantes, on retrouve Antonio et sa famille de l'autre côté de la place, dans un immeuble du quai Saint-Jean-Baptiste. À cette époque, c'est un faubourg largement rural, en voie d'urbanisation. La rue Gioffredo n'existe pas encore.
Ci-dessus, l'image de gauche permet de se faire une idée du quartier grâce à une gouache de Clément Roassal qui date de 1830 : à droite, la Vieille Ville (avec le monument des Juifs sur la place Charles-Albert) ; à gauche, le Faubourg (quai St-Jean-Baptiste). Le grand édifice à l'extrémité gauche, qui fait l'angle de la place et du quai, appartient également à la famille Tiranty et sera intégré par la suite à l'ensemble de la future place Masséna. L'image de droite représente la place Saint-Jean-Baptiste, à la sortie du pont Vieux, devant le Lycée (avec la fontaine des Tritons, dont on raconte qu'elle fut rapportée de Byzance par les Lascaris).

Je ne sais où en était la construction de Notre-Dame-des-Grâces en 1847, mais cette année-là, outre celle de la fondation de l'entreprise familiale, est aussi celle de la naissance de leur fils aîné, le 23 octobre. Le 26, il est baptisé sous les prénoms Elia Ferdinando.
   Décidément, Antonio est un original : il a quitté le territoire traditionnel de sa famille (Nice intra-muros), il fonde sa propre entreprise, et il donne à son fils aîné des prénoms inédits dans la lignée, voire carrément excentriques (si Ferdinand est encore relativement usité dans la sphère d'influence du Saint-Empire, Élie est est prénom judéo-chrétien beaucoup plus rare dans la région). Autrement dit, de tous points de vue, il rompt avec les traditions familiales et fait preuve d'un esprit indépendant, voire anticonformiste. Il faut dire qu'il a perdu son père à l'âge de 8 ans, puis sa mère et presque tous ses frères et soeurs entre 1820 et 1846 (il ne reste que sa grand-mère génoise, qui mourra en 1850, et peut-être une soeur, Anna Maria). Est-ce une façon de conjurer le sort (qui s'avérera efficace) ? En tout cas, il est bel et bien obligé de faire "table rase" et de créer une nouvelle famille, une nouvelle communauté, à lui tout seul.
   Penchons-nous un peu sur ces deux prénoms, alors. "Elia" est en fait la forme italienne du prénom du parrain : Ilia Novikov (Илья Новиковъ), valet de chambre ou maître d'hôtel (cameriere, maestro di casa ; faut-il comprendre "chambellan" ?). Quand au deuxième prénom, "Ferdinando", il n'est pas inspiré par l'empereur d'Autriche mais par le nom de famille de la marraine : Maria Ferdinandi née Bailet, domestique (domestica). 

Il est difficile de savoir pourquoi et comment Antoine et Madeleine ont sollicité ces deux personnes. En particulier, le parrain russe est un personnage surprenant (et décisif, puisque trois générations de Cagnoli vont porter un prénom dérivé du sien, avec quelques complications au passage, comme on va le voir). En effet, en 1847, il y a encore peu de Russes à Nice. Ceux-ci appartiennent à deux catégories différentes : l'aristocratie en villégiature et les exilés politiques (notamment suite au mouvement décembriste de 1825). On note ainsi un passage du grand-duc Michel Pavlovitch à l’hôtel d’York en 1837, des séjours du prince Elim Mechtcherski, de Platon Tchikhatchov, de Pierre Tchikhatchov. En 1841-1842, il semble y avoir tout juste une première vague de touristes russes (cf. lettres d’Étienne Michaud, consul de Russie de 1815 à 1845). Gogol, en 1843-1844, loge chez les Wielhorski, des Polonais résidant en la maison de Mme Paradis au faubourg Croix-de-Marbre. Alexandre De Griève succède à Michaud comme consul de Russie (fonction qui sera suspendue pendant la guerre de Crimée, 1853-1856). Et enfin, une coïncidence : le 21 octobre 1847, le jeune Alexandre Herzen arrive à Nice (en provenance de France, où il était exilé depuis janvier [portrait ci-contre]). Il ne fait que passer : il part pour Rome dès le mois de décembre ; mais il reviendra en 1851-1852.
Le petit Cagnoli naît le 23 octobre à 5 h du soir, et sera baptisé le 26 à Saint-Jean-Baptiste.
Le même Ilia Novikov, valet de chambre, sera le parrain de l'enfant suivant : Maria Antonia, en janvier 1850. C'est donc bel et bien un ami de la famille.


Abolition de la monarchie absolue (1847-1848)

1847 : réformes de Charles-Albert, qui commence à assouplir l'absolutisme de la monarchie sarde. Il annonce la liberté de la presse, l'amnistie des prisonniers politiques, et promet une constitution. Ce premier pas est célébré à Nice par un grand banquet sur la Terrasse, le 11 novembre.
(Les voisins Léopold II et Pie IX font de même en Toscane et aux États-Pontificaux. Seule l'Autriche résiste sévèrement aux pressions populaires.)
C'est à cette époque qu'apparaît le Canto degli Italiani, "Fratelli d'Italia...", composé par Michele Novaro sur un texte de Goffredo Mameli (tous deux Génois), ainsi que de nombreux hymnes à la gloire de Charles-Albert, notamment La Coccarda, par Luigi Felice Rossi (de la province de Turin), sur un texte de Giuseppe Bertoldi (Bas-Montferrat). À Nice, le compositeur Pietro Perny et l’homme de lettres Cesare Fighiera présentent leur Inno Nazionale al Re Carlo Alberto, et le "poète-ouvrier" François Guisol publie son "poèma nassional" Discours liberal au Pople mon fraire. (Mais la Marcia Reale d'Ordinanza de Giuseppe Gabetti reste le seul hymne officiel des États de Savoie, depuis les années 1830 et jusqu'à 1946.)

Le 8 février 1848, Charles-Albert annonce la promulgation de la constitution, le Statuto, qui transforme le régime en une monarchie parlementaire.

    
Ci-dessus, Charles-Albert signe le Statuto, à Turin, le 4 mars 1848. À droite, les Niçois célèbrent la promulgation du Statuto devant le Palais Communal.

  
À Turin, Piazza Savoia, un obélisque commémore la loi fondamentale de 1848. À droite : Nice figure au nombre des provinces du royaume représentées en bas-relief au Palais Royal de Turin. [photos SC février 2013]

Les premières élections sont organisées le 27 avril 1848 : désormais, des députés vont représenter la province de Nice à Turin.
 


Première Guerre d'Indépendance italienne (1848-1849)

Dans le cadre des révolutions de février 1848, Charles-Albert décide de s'engager en faveur des rebelles. Il amnistie Giuseppe Garibaldi et l'invite à rentrer d'Amérique pour venir assister les révolutionnaires alliés. Le retour du "héros" est annoncé dans la presse niçoise dès le 9 mars.
En mars, Turin commence à mobiliser des troupes pour aller soutenir les Milanais qui se soulèvent contre leur empereur Ferdinand Ier. Les premiers contingents de Nice quittent la ville au début du mois. La Brigata Cuneo, en garnison à Nice, se met en route en direction de Gênes. Puis le Ministère de la guerre appelle une partie des classes de 1819 à 1826 (L'Écho des Alpes maritimes, 26 mars). Enfin, le 31 mars, le commandant de la place de Nice appelle les contingents de cavalerie des classes de 1816 à 1821 (L'Écho des Alpes maritimes, 2 avril). Si Antonio n'avait pas été réformé à cause de son oeil gauche invalide, il serait mobilisé en avril avec sa classe ; les cousins Andrea et Serafino passent à travers en raison de leur âge. En outre, les militaires en congé sont invités à se présenter à Turin pour un enrôlement volontaire. Au total, les effectifs s'élèveront aux 4/5 de l'armée sarde (65.000 hommes).
C'est dans ce contexte que le roi adopte le drapeau tricolore des révolutionnaires italiens [nouveau drapeau des États-Sardes, juillet 1848, ci-contre].
« La bandiera tricolore fu e sarà benedetta da Dio, perché simbolo di una nazionalità dalla sua potenza creatrice stabilita » (Charles-Albert, Turin, 9 juin 1848)
Dans un premier temps, la Brigata Cuneo, placée sous le commandement du prince héritier Victor-Emmanuel, forme une partie de la brigade de réserve. Puis elle participe aux batailles de Pastrengo (30 avril, sans grands dommages pour les Sardes), de Sainte-Lucie (6 mai, 230 morts et 370 blessés chez les Sardes) et de Goito (30 mai, 43 morts et 253 blessés, grosses pertes pour les Autrichiens). Charles-Albert est brièvement acclamé comme le "roi d'Italie".

   
Les batailles de Pastrengo, Sainte-Lucie et Goito.

Entre-temps, Garibaldi a quitté Montevideo le 15 avril à bord de la Speranza et il accoste directement à Nice le 21 juin. Le dimanche 25, il donne un discours à l'occasion d'un banquet à l'hôtel d'York. Puis la Speranza quitte le port Lympia le 26 à destination de Gênes.
Peu après la bataille de Custoza (24-25 juillet), Charles-Albert capitule au début du mois d'août et signe un premier armistice avec les Autrichiens.
À la fin de l'année, l'empereur d'Autriche abdique au profit de son neveu François-Joseph, âgé de 18 ans.

Pendant la trêve, des révolutions éclatent en Toscane et aux États-Pontificaux (et les Garibaldi y participent).

Le 12 mars 1849, les alliés rompent le cessez-le-feu avec les Autrichiens. Mais le sursaut est de courte durée : après une dernière défaite (bataille de Novare, 23 mars, à laquelle participe la Brigata Cuneo), Charles-Albert abdique (s'enfuit incognito et meurt en exil au Portugal), et son successeur Victor-Emmanuel II vient signer l'armistice définitif avec le maréchal Radetzky (Vignale, 24 mars). Le traité de paix sera signé à Milan le 6 août.

         
Ferdinand Ier. - Charles-Albert et ses troupes traversant le Tessin. - Giuseppe et Anita Garibaldi à Rome. - Radetzky et Victor-Emmanuel II. - François-Joseph.



En mars 1849, Victor-Emmanuel II de Savoie-Carignan est devenu le 8e roi savoisien de Sardaigne. Il regrette amèrement les réformes démocratiques mises en œuvre par son prédécesseur, mais il ne va pas jusqu'à abolir le Statuto.
Le fils aîné de Charles-Albert de Savoie-Carignan et de Marie-Thérèse de Toscane est né à Turin au palais Carignan, après quoi il a été emmené aussitôt à Florence pour y passer les premières années de sa vie. Là, un incendie a ravagé la pièce où se trouvaient le nouveau-né et sa nourrice. Curieusement, il a été déclaré que l'incendie avait tué la nourrice, mais pas l'enfant. Il est probable que le roi Victor-Emmanuel II fût en fait un bâtard pris pour remplacer l'enfant mort dans l'incendie.
Le 1er janvier 1850, les États-Sardes continentaux adoptent définitivement le système métrique (c'était une décision prise par Charles-Albert dès 1845).
 
Dans le port de Nice, les travaux d'aménagement des quais sont en train de se terminer, et l'église va ouvrir ses portes en 1853. Mais depuis l'annexion de Gênes en 1815, Turin s'intéresse beaucoup moins à l'économie maritime de Nice. Aussi, en mai 1851, Victor-Emmanuel II finit-il par abolir les franchises dont le port de Nice bénéficiait depuis 1612, et que Charles-Félix avait rétablies dès la restauration. C'est une conséquence logique du Statuto, qui avait pour but d'abolir les privilèges et de mettre toutes les provinces du royaume sur un pied d'égalité juridique. Manifestement, le nouveau roi se désintéresse de Nice ; par ailleurs, le territoire est convoité depuis longtemps par les Français... Les Niçois se sentent trahis. L'insatisfaction conduit à des émeutes, dont la statue de Charles-Félix porte encore la cicatrice : depuis lors, son bras tend vers le port un doigt coupé, symbole de la promesse non tenue par Turin.
 
     
Au vu du pavillon, la scène ci-dessus (détail) se passe entre 1848 et 1860. La Marine royale s'est mise à la vapeur à partir de 1834, en particulier pour la liaison postale avec l'île de Sardaigne, mais le navire représenté ici par Vincenzo Fossat (1822-1897) est une bonne vieille frégate à la manière du XVIIIe siècle, l'une des dernières, probablement la San Michele (construite à Gênes en 1841). La visite d'une frégate à Nice ne devait pas être fréquente, à l'époque, la base étant à Gênes et les activités militaires tournées vers d'autres rivages (contre les pirates autour de la Sardaigne, contre les Autrichiens dans l'Adriatique en 1849 et en 1859, contre les Russes dans la mer Noire en 1855-1856). Ce tableau ne représente donc pas une scène de la vie quotidienne mais commémore une occasion exceptionnelle, ce que confirme la salve d'honneur tirée par la frégate.




1852
: création du "jardin Public", conformément au Consiglio d'Ornato. (En 1914, il sera renommé "Albert Ier", en l'honneur du roi des Belges.)

   
Le jardin public à l'embouchure du Paillon, par Urbain Garin de Cocconato, 1853. [source]  - Le pont Neuf et le quai Saint-Jean-Baptiste vus du Jardin Public.


La fontaine des Tritons quitte la place Saint-Jean-Baptiste en 1852 (devant le Lycée, à l'extrémité du pont Vieux) pour siéger définitivement dans le Jardin Public à partir de 1866.


En janvier 1850, Maddalena a donné naissance à une fille, Maria Antonia Cagnoli, baptisée à Saint-Pierre-d'Arène. (Si le père est Antonio, il était donc à Nice au printemps 1849.)


Dans la vieille ville, la grand-mère d'Antonio (Maria Dassori veuve Cagnoli) meurt en novembre 1850 (paroisse Sainte-Réparate), à l'âge de 80 ans.

Arrivée sur le littoral du pays niçois dès sa jeunesse, elle avait environ 22 ans lors de la dernière invasion française, 44 à la libération, 77 à la naissance de son arrière-petit-fils Elia Ferdinando, 78 lors de la promulgation du Statuto...

Elle s'est sans doute établie dans le pays après la mort du roi Charles-Emmanuel III, mais elle aura connu les règnes de Victor-Amédée III, Charles-Emmanuel IV en exil, Victor-Emmanuel Ier, Charles-Félix, Charles-Albert et même Victor-Emmanuel II !

Elle a connu 5 générations de Cagnoli, parmi lesquels elle a accompagné deux générations de marins, puis deux générations de menuisiers (y compris l'entreprise créée par son petit-fils Antonio), en tant que belle-fille, épouse, belle-sœur, mère, grand-mère...

 
Maddalena et Antonio ont un second fils, Luigi, baptisé à Saint-Pierre d'Arène en 1852 ("Louis" deviendra marqueteur avec son frère aîné).


Une vue de l'Italie imprimée à Milan en 1853 [cliquer pour agrandir].


Ce plan donne une idée de l'état de l'urbanisme juste avant la construction de la Promenade des Anglais.
Les points rouges situent les deux églises paroissiales : Saint-Jean-Baptiste à l'est, au bord du Paillon ; Saint-Pierre d'Arène à l'ouest, non loin de la plage.
Les ateliers d'Antoine sont indiqués en vert (maison Veuve Tiranty et rue des Ponchettes) ; les domiciles en bleu (maison Dalmas et quai Saint-Jean-Baptiste).


 
En 1852, le Consiglio d'Ornato définit les facades à respecter (de style turinois) pour les nouveaux immeubles de la place quadrangulaire. - À droite, adaptation en 1858-1859.

En 1853-1855, sur les terrains de sa famille, Emma Tiranty fait construire un Théâtre Français, concurrent du Théâtre royal (italien) de la Vieille Ville.

En 1854-1856, la voie de bord de mer, prolongée jusqu'à Magnan, prend le nom de "Promenade des Anglais". En effet, elle longe les terrains du faubourg de la Croix-de-Marbre régulièrement fréquentés par les Anglais depuis que le Roi de Sardaigne y a autorisé la construction de l'église paroissiale anglicane.

Antonio et Maddalena ont encore deux filles, baptisées à Saint-Jean-Baptiste : Elisabetta en 1854 ("Élisabeth " épousera un Éloi Ferreri) ; Angelica ("Angèle" épousera un Eugène Fighiera) en 1856.

   
Costumes de la vie quotidienne. - Uniformes de la Brigata Cuneo pendant la Guerre de Crimée.

Au printemps 1855, Cavour (chef du gouvernement) décide d’engager le Royaume de Sardaigne au côté des alliés dans la guerre de Crimée, pour se faire bien voir de Napoléon III. La Brigata Cuneo, qui est depuis 1839 le 7º Reggimento fanteria de l'armée royale, participe à ce conflit (signalons au passage que ce régiment perdurera à travers les décennies du royaume d'Italie, et qu'il existe encore, sous le même nom, dans l'armée de la république). L'image ci-dessus représente les uniformes de l'armée sarde à cette époque.

Après la guerre, les relations diplomatiques avec la Russie sont rétablies. L’impératrice Alexandra Fedorovna (épouse de Nicolas Ier) passe l'hiver 1856-1857 à Nice. Le roi Victor-Emmanuel II vient à sa rencontre. Le 28 janvier 1857, il lui rend une visite informelle à la villa Avigdor (au bord de la route de France, côté mer, entre la Croix de Marbre et le Magnan). Puis il la reçoit le lendemain, en grande pompe, en son Palais Royal. Ce séjour effectué "pour raisons de santé" a en fait une motivation diplomatique. Les entretiens de Nice conduisent à un accord stratégique : la Russie, qui était privée de l'accès à la Méditerranée par la mer Noire depuis la fin de la guerre, obtient une concession pour établir une base navale (dépôt de vivres et de combustibles) dans la rade de Villefranche à partir de 1858.
 
           
              La tsarine en 1856.                                                               La villa Avigdor.                                       Le roi Victor-Emmanuel (et le prince héritier Humbert).


C'est dans ce contexte de diplomatie russo-sarde qu'est construite l'églisse paroissiale Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra, rue Longchamp (en 1856-1859).
En effet, depuis 1848, le Statuto garantit maintenant la liberté de culte dans tout le royaume. En 1857, les Piémontais construisent un temple vaudois dans le faubourg Saint-Jean-Baptiste ; il sera fréquenté aussi par les calvinistes français jusqu'à 1890. Quant aux Anglais, ils sont désormais autorisés par Turin à remplacer leur discrète villa paroissiale de la rue de France par une église ostentatoire : les travaux de reconstruction de la Holy Trinity Church commencent en 1859, dans un style style néogothique (le nouvel édifice sera achevé en 1863).

      
Le temple vaudois (rue Gioffredo).                                                                           L'église russe (rue Longchamp).                                                              La nouvelle église anglicane (rue de France).



1859 : Deuxième Guerre d'Indépendance italienne

En juillet 1858, à Plombières, l'empereur des Français Napoléon III a rencontré Camillo Cavour, chef de gouvernement du royaume de Sardaigne, pour officialiser le troc de Nice et de la Savoie contre un soutien militaire français dans le projet d'unification italienne caressé par le roi Victor-Emmanuel II. L'accord est ratifié à Turin en janvier 1859.
Informé de ce projet, François-Joseph déclare la guerre aux États-Sardes pour pouvoir gagner du temps et déployer ses armées aux emplacements stratégiques. Le 29 avril, les Autrichiens franchissent le Tessin.
Le dimanche 15 mai, les troupes impériales françaises franchissent le pont du Var et traversent Nice pour se rendre dans la plaine du Pô.
Les Niçois, qui ne sont absolument pas au courant de la transaction dont ils ont déjà fait l'objet, accueillent l'armée alliée avec beaucoup d'enthousiasme. De la route de France au pont Neuf, les Cagnoli sont aux premières loges pour voir défiler l'armée amie (Elia Ferdinando a 11 ans) :  


Hercule Trachel, "L'arrivée du 2e Régiment de Cuirassiers français à Nice le 15 mai 1859" [Acadèmia Nissarda]
La scène se passe au pied du Monument des Juifs ; de l'autre côté du pont Neuf, on aperçoit les immeubles de la place quadrangulaire. 

Victor-Emmanuel parvient à mobiliser 65.000 soldats pour les joindre aux 100.000 Français. Cette fois, en principe, les hommes de la famille ne sont pas en âge d'être mobilisés - sauf peut-être le cousin Andrea, mais il est en train de terminer des études supérieures à Turin.
C'est l'empereur Napoléon III qui prend le commandement de l'armée alliée franco-sarde à Alexandrie. L'empereur François-Joseph est à la tête des armées autrichiennes. La Brigata Cuneo participe à la bataille de San Martino, près du lac de Garde (Solferino, 24 juin).

 
La prise de la Cotracania et la bataille de San Martino.

Lors de la première guerre d'indépendance, Anita Garibaldi était morte de la typhoïde à Mandriole, près de Ravenne, en 1849. En 1859, les Romagnols se soulèvent contre Pie IX et s'allient à Victor-Emmanuel. En juin, Giuseppe Garibaldi peut donc enfin se rendre à Mandriole et récupérer la dépouille de sa femme, qui avaient été conservée secrètement par les habitants du village. Il la fait envoyer à Nice et murer dans une chapelle au cimetière du Château.
 
 
François-Joseph. - Victor-Emmanuel II et Napoléon III à Milan (juin 1859).

Cette fois, grâce au soutien français, Victor-Emmanuel parvient à prendre la Lombardie et la Toscane aux Autrichiens, ainsi que la Romagne au pape. Il fait aussitôt frapper une pièce de 5 livres sardes à Bologne ("Dio protegge l'Italia") :

L'armistice de Villafranca, en juillet 1859, entérine l'annexion de la Lombardie mais pose le principe de la restitution des duchés et de la Romagne. L'armistice peine à se faire respecter : la carte ci-dessus à gauche inclut les régions unies aux États-Sardes en dépit de cet accord préliminaire. À droite : les divisions administratives officielles conformes au traité de paix de Zurich (novembre).



La descendance de l'oncle Serafino

L’aîné de Serafino, Andrea, est parti étudier à la capitale.
L’Institut technique royal de Turin (aujourd'hui Institut Germano Sommeiller) a son origine dans une école municipale fondée en 1805 pour former des géomètres (misuratori). Devenu « Regio Istituto Tecnico di Torino » en novembre 1852, il accueille sous cette nouvelle forme une première promotion d’étudiants à partir de l’année 1853-1854 (à l'emplacement d'un certain "Collegio Classico di Porta Nuova", contrada delle Finanze, aujourd'hui via Cesare Battisti).
Andrea termine ses études en pleine guerre (en mai, les Autrichiens sont arrivés à 50 km de Turin) et rentre à Nice en juillet 1859 (27 ans) avec un diplôme de misuratore. Il s’installe comme architecte au 2 rue Fodéré, derrière l'église du Port. Avec le développement de la rive droite régi par le Consiglio d'Ornato, il est sûr de ne pas manquer de travail.


 

Les pénitents blancs

L'architecte Andrea Serafino est membre de la confrérie des pénitents blancs, comme son oncle François, et comme le cousin germain de celui-ci, André Horace.
Son cousin Joseph (fils d'André Horace) l'y rejoindra à son tour en 1863.


 

      L'emblème des Etats de Savoie à partir de 1848     
Carte d'état-major dans les années 1850. - L'hymne national (mais non officiel) des États de Savoie depuis 1848 : "Il Canto degli Italiani".


Le changement de souveraineté

Le 24 mars 1860, le Traité de Turin entérine le changement de souveraineté. L'armée française commence à se déployer dans la région, toujours sans que la population soit officiellement informée des intentions d'annexion. 

Or Louis-Napoléon Bonaparte tient à faire valider l'opération par un plébiscite, pour lui donner un semblant de légitimité. Le roi est bien embarrassé : en effet, aux élections législatives de mars 1860, les Niçois viennent d'élire deux députés hostiles à l'annexion (dont Garibaldi). 

Le 1er avril, les deux premiers bataillons de l'armée française arrivent à Nice et de grandes fêtes sont organisées pour célébrer le changement de souveraineté. Victor-Emmanuel demande alors solennellement à ses sujets de Nice et de Savoie de bien vouloir, s'ils lui sont fidèles, lui faire la grâce de voter pour la France.

Les 15 et 16 avril, on procède au plébiscite (sous contrôle de l'armée française, donc, et avec un bulletin unique, en langue étrangère : "OUI"), qui valide l’annexion du Comté de Nice à la France.
Curieusement, les cousins Serafino et Andrea figurent sur la liste des électeurs, mais pas Antonio. Apparemment, il fait partie des nombreux Niçois qui, hostiles à l'annexion, ont été interdits de vote ou qui ont refusé de voter : né en 1816, il fait partie de la génération qui n'a jamais connu la France et qui a été appelée à combattre pour l'indépendance de l'Italie. Son oncle Séraphin, plus âgé, a grandi sous Napoléon. Le cousin André, plus jeune, n'a pas connu les guerres d'indépendance car il vient juste de finir ses études supérieures ; jeune diplômé, il a tout intérêt à se faire bien voir et à être dans le camp des gagnants. 

Le 14 juin, la cession est définitive. L'ancien Comté de Nice fusionne avec l'arrondissement de Grasse pour former le nouveau département des "Alpes-Maritimes" (notion héritée de l'Empire romain, qui était déjà chère à Napoléon Ier). 

 

L’Empire français 

Le cousin germain Andrea, géomètre de 29 ans et futur architecte au service de la ville, a participé au plébiscite avec son père et cherche à se faire bien voir du nouveau régime. Dès la proclamation de l'annexion, il devient "André" et co-signe l'adresse ci-contre, comme de nombreux notables.

L'ébéniste Antonio (44 ans), par contre, ne figure pas sur les listes électorales, et il continue de signer en italien.
Antonio et Maddalena ont un dernier enfant en novembre 1860 : Desiderata. Contrairement à ce qu'on peut penser, "Desiderata" ne signifie pas particulièrement que ses parents aient longtemps souhaité un dernier enfant : elle tient son prénom de sa marraine Desiderata Coton ; quant au parrain, il s'agit de son grand frère Elia.
En 1861, les huit Cagnoli partagent la cage d'escalier du quai Saint-Jean-Baptiste avec les voisins suivants : un peintre et sa femme ; un serrurier avec sa femme et deux enfants ; un propriétaire (Jacques Castel) avec sa femme et leurs deux filles ; un autre propriétaire (Antoine Cotton, qui possédera bientôt une maison dans la ruelle adjacente au temple vaudois) avec sa femme et trois enfants ; et une domestique, Marie Bonifassi.
Je n'ai pas réussi à identifier l'immeuble (qui n'existe sans doute plus, le quartier ayant été largement remanié dans le cadre du Consiglio d'Ornato, avec la construction de la rue Gioffredo), mais il devait se trouver dans les environs du temple vaudois.

Sous le régime français, le Palais royal devient le siège de la Préfecture des Alpes-Maritimes. Ces dernières années, peu avant l'annexion, la place quadrangulaire est devenue "place Masséna" (et la "rue Masséna" a pris son nom actuel), symbole fort de francisation des faubourgs. Une statue à la gloire du renégat sera inaugurée en 1869, dans un nouveau square construit sur le Paillon à mi-chemin entre les deux ponts (ci-contre - photo SC octobre 2012).
Deux monuments dédiés à la gloire du roi Charles-Félix (érigés en 1827 pour commémorer sa visite de 1826) sont éliminés dès 1861 : celui des Juifs (pont Neuf) et celui des Serruriers (place Charles-Félix). [Le Monument des Serruriers sera remonté en 1987 à l’angle Jaurès-Centrale, puis supprimé en 2007 dans le cadre du chantier du tram. Il est actuellement entreposé dans des réserves, en attendant de retrouver prochainement son emplacement d'origine.]

En 1862, ouverture du Grand Café de la Victoire (5 place Masséna ; au XXe siècle, il deviendra le Grand Café Monnot).

En 1864, plantation des premiers palmiers phœnix, importés des îles Canaries.
 

Le tsar Alexandre II est arrivé à Villefranche le 21 octobre 1864 avec son épouse Maria Alexandrovna pour discuter avec Napoléon III (dans l'espoir de renouveler avec la France les accords stratégiques que la Russie entretenait avec la Maison de Savoie, en particulier au sujet de la base navale à Villefranche). Leur fils Nicolas Alexandrovitch les rejoint le 13 novembre. Après un bref voyage en Italie, le grand-duc passe l'hiver à Nice et succombe à une méningite le 24 avril 1865. Le 28, ses funérailles sont célébrées en grande pompe à travers la ville. Une chapelle commémorative est construite sur le lieu du décès en 1867-1868 (sous Nicolas II, une cathédrale sera érigée à côté de cette chapelle).
 
                
                    Le grand-duc Nicolas et ses parents.                                     Cortège funèbre place Charles-Albert le 28 avril 1865 [photo de Charles Negre].         La chapelle du Tsarévitch.             L'empereur Napoléon III.


Rue des Ponchettes : le magasin (1861)

Depuis 1859, le voyageur Adolf Wiesner fait l’éloge de l’artisanat niçois, notamment du travail du marbre et, par-dessus tout, de la marqueterie, art dans lequel Nice se distingue de toute l'Italie (Ein Frühling in Nizza, pp. 42-44). Les ateliers mentionnés se trouvent alors principalement rue du Pont-Neuf, rue du Cours et rue des Ponchettes. Toute l'aristocratie européenne vient y dépenser des fortunes.
En 1861, surfant sur les promesses du tourisme mondain, Antonio aménage un magasin rue des Ponchettes, où Gimello avait fondé le premier atelier de marqueterie niçoise en 1822 (avant de partir pour le pont Neuf vers 1839) . Il loue un local sur rue dans la maison Gioan : le négociant Gioan possède les parcelles cadastrales 108 à 111 (actuels numéros 9 à 15), au pied de la tour Bellanda.
 
 
La rue des Ponchette dans les années 1830 : la boutique d'Antoine est à gauche de l'image. - Vue opposée, dans les années 1860 (Charles Negre). La boutique est à droite de l'image (on apercoit 3 carreaux de la devanture ?). 


   
Les parcelles Gioan, 9 à 15 rue des Ponchettes (on reconnaît l'extrémité du Cours, la poissonnerie, la chapelle du Saint-Suaire et la tour Bellanda). - La devanture du magasin d'Antoine Cagnoli, dessinée en septembre 1861.


 
Photo de Francis Frith, vers 1870.


Les terrasses et la rue des Ponchettes.
 
 

Rue du Lavoir : le domicile-atelier (années 1860-1870)

La place Masséna est en pleine transformation. Entre 1861 et 1866, Maddalena et Antonio, qu'il faut désormais appeler "Madeleine" et "Antoine", quittent le quai Saint-Jean-Baptiste et retournent à la Croix-de-Marbre

Ils louent alors un appartement dans la "maison Dalmas", un immeuble de la rue du Lavoir (qui correspond à l'actuelle rue Meyerbeer). La famille Dalmas possède en effet plusieurs parcelles auxquelles on accède par la rue de France, par la rue du Lavoir ou par le rivage où vient d'être construite la "Promenade des Anglais". Selon les plans d'époque et les descriptions du cadastre, l'immeuble où habitent les Cagnoli semble être la petite bâtisse qui subsiste encore derrière l'hôtel Westminster (parcelle cadastrale 576 ; photo ci-contre en juin 2016), ou un immeuble adjacent remplacé aujourd'hui par l'hôtel. 

La Promenade étant toute récente, l'accès principal aux maisons se trouve toujours du côté de la rue de France ou des ruelles transversales ; le front de mer est une pure attraction touristique, où les façades d'hôtels commencent à pousser comme des champignons. La photo ci-contre (de Miguel Aleo et Alphonse Davanne) date des années 1867-1868 ; on distingue les maisons Dalmas et la rue du Lavoir sont au fond de la perspective. 

En 1866, les Cagnoli partagent l'immeuble avec les voisins suivants : un couple de maçons ; un couple de distillateurs avec un fils menuisier ; un couple de cordonniers avec leurs enfants ; un jeune couple de travailleurs journaliers avec deux enfants ; un autre maçon et son épouse repasseuse ; un tailleur de pierre avec sa femme et leurs trois enfants. La maison Dalmas est donc divisée en 7 appartements et habitée par 30 locataires.

 

 
 
À titre d'exemple, ce schéma représente la façade imposée par le Consiglio d'Ornato en 1839 pour une maison construite sur la rue de France au croisement de la rue du Lavoir (à peu près l'actuel Skender Kebab).
                                            À droite : le côté nord de la place Croix-de-Marbre aujourd'hui (juin 2016) :
la colonne à Pie VII, le sanctuaire du Sacré-Coeur et le palais Marie-Christine (du nom de l'épouse de Charles-Félix).

La maison Saint-Pierre, propriété de l'évêché derrière l'église paroissiale (rue de la Buffa, photo mai 2015, un an avant sa démolition).
 

 

En 1867, année de ses 20 ans, Élie Ferdinand est recensé par l'armée française (classe 1867, canton de Nice-Ouest, no 35). Il réside alors en ce 142 rue de France. Comme son père, et probablement pour la même raison (accident du travail ?), il est privé de son oeil gauche ("de l'oeil droit" selon le conseil de révision qui l'exempte du service militaire).
 


L'ébéniste borgne Antonio Cagnoli meurt le 6 juillet 1869, âgé de 53 ans (avis de décès dans le Journal de Nice du vendredi 9).

Il avait perdu son père dès l'âge de 8 ans, puis ses grands-parents en 1839 et 1850, et sa mère en 1846.
Ses frères et soeurs sont tous morts jeunes.

Il laisse une veuve de 48 ans, rentière, et leurs nombreux enfants : Élie, marqueteur de 21 ans ; Marie, 19 ans ; Louis, marqueteur, 17 ans ; Élisabeth, 15 ans ; Angèle, 12 ans ; et la petite dernière, Désirée, 8 ans.

Il a aussi, entre autres, son oncle Séraphin, menuisier, 75 ans ; et son cousin germain André, architecte, 37 ans.


Pour les visiteurs d'Europe du Nord, une église luthérienne vient d'être édifiée en périphérie du faubourg de la Croix-de-Marbre (aujourd'hui entre Victor-Hugo et Déroulède) et consacrée en 1866. 

En 1869, le Conseil municipal vote l'ouverture d'un "boulevard de ceinture" de Carabacel à l'avenue du Prince-Impérial (aujourd'hui Jean-Médecin). Achevé en 1870, ce premier tronçon s'appelle "Dubouchage". Il s'agit de cerner le nouveau quadrilatère urbain de la rive droite par une large voie bordée d'arbres. Le chantier continue avec ce qui correspond aux actuels boulevards Victor-Hugo et Gambetta. Dans le cadre de ce chantier, la rue du Lavoir est prolongée pour communiquer avec le nouveau boulevard (c'est la rue Meyerbeer telle qu'on la connaît aujourd'hui). 

À partir de 1870, les Écossais disposent à leur tour d'un lieu de culte, situé à côté de l'église luthérienne.

Toujours dans le quartier, en 1872, les pères de la Société des Missions Africaines (fondée à Lyon en 1856) vont également commencer la construction d'un "Sanctuaire en l'honneur du Sacré-Coeur" (mais les travaux seront interrompus en 1880, sous la République, par les décrets de Jules Ferry visant à l'expulsion des congrégations religieuses de France).
 
           
L'église luthérienne (rue d'Augsbourg, aujourd'hui Eugène-Melchior de Vogüé) [aquarelle d'Antonio Mosconi, 1876].                                                                                                        
                                     L'église écossaise (démolie depuis), sur le boulevard Longchamp (aujourd'hui Victor-Hugo).
                                                                                                                                              La mission africaine (sanctuaire du Sacré-Coeur, rue de France, place Croix-de-Marbre).
 


Aux élections municipales de juillet 1870, on constate une recrudescence de la rhétorique séparatiste. L'entrée en guerre contre la Prusse accroît l'hostilité à l'égard de la France.
Élie Ferdinand échappe à la mobilisation grâce à son oeil invalide.
 
Dix ans après l'annexion, l'empire s'effondre. Le 4 septembre, proclamation de la République.

La République et les "Vêpres niçoises"

Suite à la proclamation de la république, quelques troubles sans gravité ont lieu le 5 septembre. Le nouveau préfet, Pierre Baragnon, arrive à Nice le 8. Afin de couper court aux tensions, il annonce d'abord des élections municipales pour le 25 septembre. Mais devant l'instabilité de la situation, il annule les élections, rétablit l'état de siège, suspend le conseil municipal et désarme la garde nationale.

Le 22 octobre, un nouveau préfet arrive à Nice : Marc Dufraisse. Quelques manifestations se produisent, la population souhaitant que le nouveau préfet rétablisse le conseil municipal et réarme la garde nationale. Mais Dufraisse, comme son prédécesseur, fait expulser les opposants.

Giuseppe Garibaldi (1866).jpgLe 28 janvier 1871, Adolphe Thiers signe un armistice avec la Prusse. Des élections législatives sont organisées dans la hâte le 8 février 1871. À Nice, les 4 candidats élus sont trois séparatistes (Garibaldi en tête), totalisant 74 % des suffrages, suivis de Dufraisse, sensiblement derrière. Le soir même, une première manifestation acclame ces résultats.
Le lendemain, 9 février, Dufraisse interdit le journal d'opposition (Il Diritto di Nizza), qu'il accuse d'ourdir un complot contre la République. Il perquisitionne les locaux du journal, ce qui déclenche des émeutes. Le préfet envoie l'armée, la foule assiège la préfecture, des bagarres éclatent toute la soirée entre la foule et l'armée. Les manifestants crient « Vive Garibaldi ! Vive l’Italie ! ». Malgré plusieurs arrestations, les groupes se reforment. La préfecture fait évacuer les terrasses du cours Saleya et le calme revient dans la nuit.
Le lendemain, 10 février, le préfet ordonne l’arrestation des "meneurs". Aussitôt, une nouvelle manifestation spontanée regroupe 200 à 300 personnes sur le cours Saleya. Des gendarmes dispersent les manifestants, mais les émeutes continuent toute la soirée. Après quelques coups de feu, bagarres et évacuations, le calme revient peu à peu.
Le samedi 11 février, Dufraisse prend des mesures radicales pour empêcher tout attroupement et interdit la presse d'opposition.

En plus de Nice, Garibaldi a été élu député (sans s'être porté candidat) en Côte-d'Or, à Paris et à Alger. À Paris, il arrive en quatrième position derrière Louis Blanc, Léon Gambetta et Victor Hugo. Face à ses détracteurs qui lui reprochent sa "nationalité italienne" (Garibaldi est né à Nice sous l'occupation française) et veulent invalider son élection, il décline ses mandats. Il est encore élu en Algérie lors des élections supplétives, ce que l'Assemblée invalide de nouveau, en mars, pour le même prétexte de nationalité. Victor Hugo proteste, n'est pas écouté, démissionne par solidarité.
Suite à ces "vêpres niçoises", de nombreux intellectuels dénoncent la violation de la liberté des Niçois par le régime dictatorial de la République (ils seront condamnés à l'exil) : Garibaldi (exilé à Caprera) ; Francesco Barberis (L’addio a Nizza, Nizza italiana, exilé à Florence) ; Henri Sappia (Nizza contemporanea, Londres, 1871 ; exilé dans le sud de l'Italie) ; Giuseppe André (Nizza negli ultimi quattro anni) ; Pier Luigi Caire...


Le 30 avril, les élections municipales confirment la tendance séparatiste en désignant le nouveau maire, Alfred Borriglione, qui avait dû s'exiler lui aussi lors de la répression de février (mais il va rapidement retourner sa veste).

Andrea Cagnoli, fils de Serafino (donc cousin germain de feu Antoine), s'est marié le 25 octobre (vers 39 ans) avec une certaine Maria Maddalena Ansaldi, âgée de 24 ans. Ils s'installent au 2 rue Fodéré, dans le nouveau quartier du port Lympia (avec le père menuisier).


Maddalena Chauvet veuve Cagnoli meurt à son tour en mars 1872, à l’âge de 48 ans.

Les orphelins reprennent les affaires en main

Les deux fils aînés sont très proches : Élie Ferdinand [portrait ci-contre ; de profil, on ne voit pas qu'il est borgne] et Louis Antoine poursuivent l'activité de marqueterie et prennent en charge leurs petits frères et sœurs (les filles les plus âgées sont déjà couturière et repasseuse).

L'aîné, Élie Ferdinand, épouse une certaine Joséphine Rey, âgée de 21 ans, elle aussi orpheline (de Hippolyte Rey, coiffeur, et de Anne Marie née Ciaudo, rentière) et originaire du faubourg Saint-Jean-Baptiste. Joséphine est rentière. Le mariage est célébré en mairie le 2 août 1873 par Jean-Baptiste Toselli, en présence de l'oncle Séraphin et du cousin André.

Le 29 mai 1874, la jeune épouse accouche de deux jumeaux : Louis et Claude. Mais le premier meurt dès le 30 juin (au 8 boulevard de l'Impératrice de Russie, aujourd'hui Stalingrad), âgé de 31 jours, et le second le 15 mars 1875 (au 13 rue Place d'Armes).
Joséphine meurt à son tour en juillet 1876 à l'âge de 24 ans (11 rue du Lavoir). La déclaration de décès est faite devant Jean-Baptiste Toselli par le confrère Ferdinand Mignon, marqueteur de 33 ans, et par Charles Sakaloff, ébéniste de 24 ans.
Élie Ferdinand fait ériger un monument au cimetière de Caucade (carré 2), qui vient d'être créé sur les collines à l'ouest de Nice.
 




Depuis le 19 novembre 1875, par arrêté municipal, un coup de canon tiré à blanc indique chaque jour l'heure de midi. En effet, les Niçois avaient pris l'habitude de régler leur journée sur ce signal dans les années 1861-1866, lorsque l'hivernant écossais Sir Thomas Coventry-More avait eu l'idée de ce stratagème pour rappeler sa femme à la maison à l'heure du déjeuner. [La même pratique est en usage à Rome depuis 1847, suite à une décision de Pie IX destinée à synchroniser les cloches des églises.]


 
En octobre 1876, Louis Cagnoli, frère d’Élie, épouse Louise Falicon, fille de producteurs d'huile d'olive à Sainte-Hélène. Élie est témoin.
Louise est issue de deux familles de propriétaires terriens : ses parents, François Falicon et Catherine née Laugier, mariés à Cimiez en 1843, sont nés respectivement en 1818 et 1825 chez des cultivateurs de Sainte-Hélène et de Brancolar.

Le 14 juillet 1877, Élie Cagnoli épouse en secondes noces une autre Joséphine : la sœur de sa belle-sœur Louise. Joséphine Falicon a 19 ans (elle est née dans la campagne de Sainte-Hélène en 1858). 

En 1877, dans le quartier du Port, le cousin architecte André et sa femme Marie Madeleine ont perdu deux enfants en bas âge : le 18 février, leur fille de 3 ans Éléonore Joséphine Lucie (constaté par l'adjoint Louis baron Michaud de Beauretour) ; le 5 juin, Adèle Raymonde Jeanne. À la même époque, l'oncle menuisier Giuseppe Serafino meurt le 31 juillet 1878 dans le logement familial du 2 rue Fodéré, âgé de 82 ans.



Élie fait l'acquisition d'un local dans la toute nouvelle "rue Paradis" afin de vendre ses produits au coeur du quartier touristique en plein essor. L'atelier reste au domicile des frères, rue du Lavoir [ci-contre]. En novembre 1878, sur la promenade des Anglais, au coin de la maison, Élie fait placer un écriteau en fer :
 
Aux bois Mosaïques
E. Cagnoli
Rue Paradis 6
atelier Rue du Lavoir 1


Le premier enfant d'Élie et de Joséphine naît en octobre 1878 : François. 

Grâce à une initiative du Ministère de l'Agriculture et du Commerce (financée par la Loterie Nationale), des "ouvriers ou artistes" sont envoyés à la capitale pour visiter l'Exposition universelle (la 3e organisée à Paris, la première sous la IIIe République), qui est en train de se terminer. 14 "menuisiers, ébénistes, marqueteurs et tabletiers" des Alpes-Maritimes sont du voyage, dont 8 Niçois, désignés par la Chambre de Commerce de Nice. Louis en fait partie, et son épouse Louise est invitée aussi parmi les "tailleurs, tailleuses et modistes". En outre, deux boulangers du département reçoivent cet honneur, dont Jacques Falicon, de Sainte-Hélène (sans doute le frère de Louise et de Joséphine né en 1853). 
Trocadéro, chemin de fer, statue de la Liberté, machine à coudre... C'est un événement marquant.


 

  
Cliquer pour agrandir ce plan touristique de 1879.
La Maison Dalmas est le point vert à gauche. Les nombreuses églises du quartier sont indiquées.

Le développement urbain et économique de la rive droite s'oriente vers l'accueil d'une clientèle croissante de riches hivernants. Élie emménage avec sa famille dans la toute nouvelle et prestigieuse rue Paradis (le point vert à droite sur le plan ci-dessus). 


=> SUITE : rue Paradis


Sources :
Acadèmia Nissarda
Archives départementales des Alpes-Maritimes
Archives familiales
Archives municipales de Nice
Musée de la Photographie Charles Nègre
Édouard CORINALDI, Souvenirs de Nice (1830-1850), 1901.
LeRoy ELLIS, Les Russes sur la Côte d'Azur, Actual & Serre, Nice, 1988.
Enrico RICCHIARDI, Le bandiere di Carlo Alberto (1814-1849), Editrice Il Punto, Torino, 2000.

Retour à l'index Cagnolo ~ Cagnoli
Retour à l'index Nice