Cagnoli, Nice
(années 1790 - années 1830)
Andrea le marin et son fils Giuseppe

 
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I. L'occupation française


Vue de la ville de Nice, entrée du port et fort Montalban, 1795, gouache de Louis Bacler d'Albe (1761-1824). [Acadèmia Nissarda]

Le port de Nice par Isidore Dagnan (1794-1873).

Forme de la ville à la fin du XVIIIe siècle. En noir, la ville médiévale ; en rouge, l'extension du XIVe siècle.
En bleu, les développements récents, notamment vers le port et vers la rive gauche (faubourg Saint-Jean-Baptiste).
Il n'y a qu'un pont, le pont Saint-Antoine, qui relie la porte du même nom au couvent des Jésuites (emplacement de l'actuel lycée Masséna).

Dans le cadre de l'aménagement du port Lympia (à partir de 1749), un lazaret fut construit à l'est de la ville. Dès l'arrivée des Français en 1792, le bâtiment a été transformé en entrepôt de poudre à canon. Le 1er juillet 1795, une explosion accidentelle détruit le site et fait des dizaines de morts. Les ruines resteront dans le paysage pendant tout le XIXe siècle (et serviront de fondations au restaurant La Réserve).
http://maioresnostri.eu/wp-content/uploads/2014/10/Ruines-2Bdu-2BLazaret-2Bde-2BNice-2BAquarelle-2Bdu-2Bmilieu-2Bdu-2BXIX-C3-A8me-2Bsi-C3-A8cle.jpg   http://maioresnostri.eu/wp-content/uploads/2014/03/Nice-Vestiges-du-Lazaret-Charles-Negre-1863-1865.jpg
Ruines du lazaret de Nice dans la deuxième moitié du XIXe siècle (aquarelle ; photo de Charles Negre)


Une trombe marine observée au large de Nice en 1795.

Depuis sa victoire terrestre à l'issue du siège de Toulon en décembre 1793, Napoléon Bonaparte était commandant de l'artillerie de l'Armée d'Italie. Le 2 mars 1796, il est nommé général en chef. Le 27 mars, il arrive à Nice.

  
Ci-dessus, à gauche : Bonaparte à Nice, préparant la Campagne d’Italie. À droite : le 2 avril, l'armée révolutionnaire quitte Nice pour Villefranche.

Les combats font rage en Piémont pendant tout le mois d’avril. Le 28, le roi de Sardaigne capitule : signature d’un armistice à Cherasco, qui entérine la cession de Nice et de la Savoie et qui assure la libre circulation des troupes françaises en Piémont. Dès lors, la marine piémontaise est réduite à une trentaine de personnes.
En mai, Bonaparte prend Plaisance, Parme, Milan, Pavie. En juin, il reçoit la capitulation de Vérone, du royaume de Naples, du Saint-Siège, etc.

Le marin Andrea et sa famille de retour d'exil

En 1796, suite à l'armistice de Cherasco, Maria et Andrea rentrent définitivement à Nice, chef-lieu du département français des Alpes-Maritimes, avec le petit Giuseppe de 6 ans, Camilla, 4 ans, et Serafino nouveau-né.
Leurs enfant suivants vont naître à Nice, où ils sont domiciliés dans la paroisse Saint-Jacques ("rue La Convention, section 4"). Dès le 11 décembre 1796 ("12 nivôse de l’an 5"), Maria et Andrea ont une fille : Maddalena.
Dès leur arrivée, les Français ont changé la plupart des noms de rues. La rue "La Convention" désigne la rue des Ponchettes, entre les ruines du Château et le rivage :



Pendant ce temps, le 9 octobre, signature d’un traité entre Gênes et la France. Dans un premier temps, Napoléon tente de ménager Gênes et d’en faire une sorte de zone neutre, mais les pays limitrophes sont ravagés. En novembre, reprise des combats contre les Autrichiens, etc. En 1797, la Sérénissime République capitule à son tour. Napoléon remplace le régime aristocratique par une république révolutionnaire sur le modèle français (finalement, cette "République Ligurienne" sera annexée à l’Empire en 1805).
Le régiment La Marina est dissous, et intégré à l'armée napoléonienne sous le nom de 3e demi-brigade de ligne (1798-1814) ; cette unité affronte les Autrichiens en Lombardie en 1799.

La marine piémontaise, désarmée mais soutenue par les Autrichiens, tente encore de défendre ses deux dernières enclaves sur le littoral : Oneille et Loano (en 1798-1799).
 

  
Les États-Sardes continentaux et le pays génois convertis en départements français entre 1805 et 1814.

En tant que marin navigant entre Nice et Gênes, suite à l'armistice de Cherasco et une fois que le calme est revenu dans la région, Andrea travaille vraisemblablement pour la Marine marchande. Les ports de Nice et de Villefranche sont rattachés à l'arrondissement maritime de Toulon. Un sous-commissaire de marine représente l'administration maritime à Nice ; il gère la comptabilité et le personnel des ports entre Nice et Menton. 

Andrea ne figure pas sur les listes des marins de Nice ayant servi dans l’armée de la République française (contrairement aux Clerissi, dont Pierre), si sur celles des travailleurs du port de Nice pendant ces années d’occupation (ni dans les dossiers français de l’époque conservés aux archives municipales), ce qui confirme l'hypothèse d'une carrière dans la marine marchande. 

Avant l'arrivée des Français, la paroissiale Saint-Jacques-le-Majeur était l'actuelle église de l'Annonciation (avec sa chapelle Sainte-Rita), un édifice baroque du XVIIe siècle adjacent à la loge communale. En 1794, elle est transformée en dépôt de sel. En 1795-1796, les sacrements sont enregistrés à la cathédrale. En 1797-1804, la paroisse Saint-Jacques-le-Majeur continue de tenir son propre registre et de consigner les sacrements en latin. 

En 1801, le Premier Consul Napoléon Bonaparte introduit le Concordat, qui réglemente l'organisation des cultes. La vie paroissiale peut alors ressortir de la clandestinité. Mais l'ancienne église paroissiale n'est plus en état, puisqu'elle a été saccagée par l'administration française. Un nouveau bâtiment est donc attribué à la paroisse : l'ancienne église des jésuites (du Gesù), édifiée au XVIIe siècle dans la rue Droite. 

     
La nouvelle église paroissiale Saint-Jacques ("du Gesù").

À partir de 1805, les actes sont consignés en français.

Restaurée, la chapelle Sainte-Rita rouvre en 1806, mais elle n'est plus qu'une succursale de la nouvelle paroissiale.

Pendant ces années d'occupation, Maria donne encore naissance à plusieurs enfants : Antonio (le 28 février 1799) ; Cecilia (le 1er janvier 1801) ; Benedetto (le 15 janvier 1803) ; Francesco (le 15 novembre 1806) ; Carolina (le 12 juin 1809). 

Un petit résumé (en orange, les marins ; en vert, les deux premiers fils d'Andrea, dont il va être question sur cette page) :

Pendant ce temps, le frère Angelo et son épouse Camilla vivent avec leurs enfants "rue Vermicellière" (aujourd'hui Mascoïnat) : Angelo est boulanger (1798) puis vermicellier (1807).

Le 26 mai 1805, à la cathédrale de Milan, Bonaparte s'est fait couronner "roi d'Italie". Mais il convoite toujours Rome. Il annexe les duchés de Toscane, de Parme et de Plaisance en mai 1808, puis les États-Pontificaux en mai 1809 : tout cela est réorganisé en départements français.
Dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809, le pape Pie VII est kidnappé par l'armée française et emprisonné à Florence, puis transféré en France : le convoi passe par Nice les 7 et 8 août 1809.


Le 19 septembre 1810, à l'hôpital civil de Nice ("rue Impériale", aujourd'hui "rue de la Préfecture"), décès de la mère d'Andrea, Anna Maria Cagnoli née Argento, âgée de 75 ans. Elle était veuve de Gioan Batista depuis 1788.

Arrivée sur le littoral du pays niçois dans son enfance, elle aura connu les règnes de Charles-Emmanuel III et de Victor-Amédée III, et le régime français pendant l'exil de Charles-Emmanuel IV et de Victor-Emmanuel Ier.



L'aîné Joseph et sa famille "française"

Le 26 décembre 1810, lendemain de Noël, le fils aîné Giuseppe Cagnoli, âgé de 20 ans, épouse en la paroisse Saint-Jacques Marie Marguerite Séraphine Farnoux, âgée de 27 ans. Séraphine est couturière. Elle est née le 15 juillet 1783 dans le quartier de Sainte-Réparate, d'une mère niçoise (elle-même fille d'un Languedocien immigré lors de la guerre de Succession d'Autriche) et d'un père provençal originaire de Carnoules.

Pendant ces années d’occupation, la langue officielle est le français. Dès lors, pour l’administration, Giuseppe devient « Joseph ». À la maison, on parle occitan.

Séraphine et Joseph quittent leurs parents et s’installent à côté de la nouvelle église paroissiale ("du Gesù"), à la porte 24 de l'îlot 35 (entouré par la rue Rossetti, la rue de la Croix, la rue Droite et l’église).
À cette époque, l'érudit parisien Aubin-Louis Millin (1759-1818), voyageant à travers le nord-ouest de l'Italie, décrit l'atmosphère du quartier : "Les rues de l'intérieur de la ville sont fort étroites, et l'élévation des maisons les rend tristes et obscures ; aucune fontaine ne les arrose. Ces rues avaient reçu, pendant la révolution, des noms qui contrastaient bien avec leur aspect dégoûtant et sombre : à peine voit-on ses pieds dans la rue de la Lumière ; celle du Bonheur, la plus sale de toutes, était habitee par les gens les plus misérables ; la rue du Bon Air et la rue de la Propreté ne méritaient pas davantage les ridicules dénominations qu'elles avaient reçues.
   Les escaliers des maisons sont construits avec un schiste noir qui sert également à faire les chambranles des fenêtres et des portes : ce schiste vient de la côte de Gênes. Toutes les maisons, même les plus chétives baraques, ont des jalousies. Parmi les nouvelles habitations bâties sur le bord de la mer, quelques-unes ont une bonne apparence : la façade est peinte et offre des ordres d'architecture ; cette décoration est d'un assez bon effet, quand on ne la laisse pas dégrader.
   À l'exception d'un petit nombre, une malpropreté extrême rend insupportrable l'habitation des maisons. Une odeur nauséabonde commence à saisir dès l'escalier : l'obscurité causée par le peu de largeur des rues est encore augmentée par la saleté des vitres, qui sont toujours couvertes extérieurement d'une épaisse couche de poussière, et jaunies en dedans par la fumée ; souvent les ordrures des mouches en ont presque détruit la transparence : ces insectes sont si incommodes qu'on est obligé de couvrir les glaces avec de la soie, ou de les nettoyer tous les jours."

Les odeurs et les mouches s'expliquent en partie par le recyclage des déchets organiques : "Il faut aussi que les cultivateurs usent d'industrie pour se procurer des engrais : comme ils n'ont ni boeufs ni vaches, qu'un âne et une chèvre composent tout leur bétail, le fumier est rare. Toutes les immondices sont soigneusement déposées, réunies et conservées dans un vase, où l'on verse de l'eau pour en accélérer la putréfaction ; on fait, près du jardin, une fosse avec une niche dans le mur, qui invite le voyageur pressé par un besoin à le satisfaire. Dans chaque maison de Nice, il y a aussi une fosse où l'on conserve précieusement les excréments de toute la famille : les gens de la campagne s'empressent de les acheter. Le prix ordinaire est de trois francs par an pour chaque personne ; mais ce prix varie selon l'abondance et la qualité de la matière, que l'acquérueur examine et juge au goût et à l'odorat. Les déjections des Protestants, qui font toujours gras, sont payées plus cher que celles des bons Catholiques, qui font souvent maigre. [...] Les paysans viennent chaque semaine recueillir ces matières dans des barils, et les transportent dans leurs champs."  À droite, à dos d'âne, on peut voir un jeune vidangeur avec son baril.

Apparemment, Joseph et Séraphine ont leurs premiers enfants en 1812 : Émilie et Michel André. Conformément à la tradition, le fils aîné porte les prénoms de son grand-père paternel.

"L'habillement des femmes consiste en un corset étroit, orné, les jours de fête, de rubans et de bouquets ; le jupon est assez long ; mais il est, ainsi que le tablier, sans garniture. Les filles à marier ont des habits de même coupe, mais qui sont d'étoffe de coton en couleur ou de laine : ce n'est qu'en se mariant qu'elles acquièrent le droit de porter des vêtments de soie ; un paysan ne saurait se dispenser d'en donner un à sa future. Elles ont, les unes et les autres, une coiffure fort jolie : leurs cheveux, liés en forme de queue avec un ruban blanc, rouge ou vert, qui les laisse apercevoir de distance en distance, sont ramenés sur le front et les tempes, et forment par divers contours une espèce de couronne ; elles ont souvent par dessus une coiffe. Les gens du commun, des deux sexes, lorsqu'ils ne sont pas de gala, enveloppent simplement leurs cheveux dans un filet vert. Cette coiffure est très ancienne ; c'est le kecryphalos des anciens Grecs, et le redecillas des Espagnols : on la trouve répandue sur presque tous les bords européens de la Méditerranée ; du côté de Monaco, de Vintimille, et les femmes attachent quelquefois, comme dans l'Italie, leurs tresses derrière la tête, autour d'une longue aiguille d'or ou d'argent.
   L'habillement des hommes, dans les jours de fête, leur sied parfaitement. Ils ont un petit gilet, collé sur le corps, et qui ne descend qu'à la ceinture ; par dessus est un habit fort court, de la même étoffe, avec des manches courtes à parements étroits ; les basques de cet habit ne sont pas plus longues que la main, et ont une petite poche ; une ceinture bleue ou rouge leur serre les reins ; ils ont une culotte de même drap que l'habit, et des bas de laine bleus ou bruns. Cet habillement, qui ne forme aucun pli, ne manque pas d'élégance lorsque celui qui le porte a une figure avantageuse. Ils lient leurs cheveux par derrière sans les réunir en queue ; leur chapeau n'a rien de particulier. Les jeunes garçons recherchés dans leur parure attachent à leur boutonnière un ruban de soie, un bouquet, ou quelque ornement d'or faux." [Millin]

Après plusieurs années de détention, Pie VII est libéré en janvier 1814 et peut regagner Rome. Il fait escale à Nice du 9 au 11 février 1814. (Charles-Félix inaugurera une colonne en face de la Croix de Marbre pour commémorer ces deux passages.)

II. La Restauration sarde

En avril 1814, Bonaparte est déchu et condamné à l'exil. Il quitte Fréjus le 28 avril et arrive le 3 mai à l'île d'Elbe, provisoirement sous contrôle britannique.
En même temps, les Alliés invitent les Savoie à regagner le continent. Victor-Emmanuel quitte Cagliari le 2 mai pour Gênes, temporairement gouvernée par les Anglais, où il débarque le 9 : les deux navires ont failli se croiser. Puis il entre à Turin le 20. 
Le 30 mai, le Traité de Paris restaure le Royaume de Sardaigne et le restitue à l’héritier de la Maison de Savoie, Victor-Emmanuel Ier, qui devient alors le 5e roi de Sardaigne de sa dynastie. Les Bourbon réclament Nice et la Savoie, mais la frontière avec la France est finalement tracée telle qu'elle était avant l'invasion de 1792.
En outre, une clause secrète prévoit l'annexion de la région de Gênes aux États-Sardes, qui sera officialisée par le Congrès de Vienne.

Âgé d'une cinquantaine d'années, Andrea travaille comme matelot dans la marine marchande ; sa femme Maria revend des comestibles.
En septembre 1814, notamment, il embarque sur la felouque (ou tartane) Santa Teresa, appartenant aux frères Clerissi (notamment Onorato ; on se rappelle que Pietro Clerissi était témoin du mariage d'Andrea avant l'occupation française) et commandée par le capitaine Antonio Rastel, pour un voyage d'un mois à destination de Gênes et de Livourne. En général, les produits exportés de Nice sont principalement du vin, de l'huile d'olive et des citrons.

 
Une felouque et une tartane à cette époque. Le pavillon sarde est bien celui de 1814.
Ci-dessous, la région est mise en évidence sur une carte de navigation de l'époque, sur une vue satellite et, à titre de comparaison, sur une carte de la densité du trafic maritime dans les années 2010. Les grands ports français sont indiqués en bleu (Marseille et Toulon), les ports sardes en vert (Nice et Villefranche), celui de Gênes en rouge et celui de Toscane en jaune.
[Cliquer pour agrandir.]
   


Le puîné Serafino dans l'armée sarde dès 1815






En 1814, dès la restauration, le roi Victor-Emmanuel a rétabli l’armée sarde. Rappelons que le Reggimento di Nizza, fondé en 1701, avait été mobilisé pour la guerre de succession d'Espagne ; devenu Reggimento "La Marina" lorsque les États de Savoie avaient pris l'envergure d'un royaume maritime en 1714, il était passé sous le contrôle de Bonaparte en 1798. Il reprend du service sous le nom de Reggimento di Cuneo (tandis que l'ancien régiment de Cuneo, histoire de tout embrouiller, devient Reggimento di Nizza).

En février 1815, pendant le Congrès de Vienne, Bonaparte s'échappe de l'île d'Elbe et tente un débarquement à Golfe-Juan pour marcher sur Paris. En mars, le roi de Sardaigne se joint à la Septième Coalition (avec notamment les Autrichiens, les Russes, les Britanniques et les Prussiens), et met à disposition un contingent de 15.000 hommes dans l'hypothèse d'une reprise des hostilités. Le Ier bataillon de la Brigata Cuneo fait partie des troupes mobilisées.

Le 22 avril, âgé d'environ 19 ans, Serafino est enrôlé comme grenadier dans ledit Ier bataillon de la Brigata Cuneo, sous le matricule 1743, pour un service de 12 ans sous les drapeaux (+ 8 ans de disponibilité en cas de nouvelle guerre).
L'armée sarde défend la Savoie contre l'invasion française déclenchée le 14 juin. Bonaparte est vaincu à Waterloo le 18 juin et les Alliés entrent dans Paris le 7 juillet ; mais sur le front italien, le conflit continue jusqu'à la fin du mois de juillet : les forces austro-sardes assiègent Grenoble du 6 au 9 et le maréchal Suchet finit par capituler à Lyon le 12 ; les Anglais appuient la marine sarde à Nice et le maréchal Brune capitule à Toulon le 31.

En septembre, les régiments de l'armée sarde prennent le nom de brigate : Serafino sert désormais dans le régiment d’infanterie Brigata Cuneo.

      
Grenadiers de la Brigata Cuneo, avec détail de la plaque apposée sur le bonnet.
Représentation générale des costumes de l'armée entre 1814 et 1831.
 

Cette fois, Bonaparte est définitivement déporté à l'île britannique de Sainte-Hélène, dans l'Atlantique Sud, à bord du vaisseau Northumberland placé sous le commandement du capitaine Charles Ross.

Après consultation des populations concernées, le Congrès de Vienne entérine la cession de la Ligurie au Piémont : Gênes et Nice se retrouvent donc réunies sous la couronne de Savoie.
Le nouveau pavillon du royaume, reproduit ci-contre, est adopté en mai 1816. Il inscrit la croix de Saint-Georges dans celle de Savoie pour symboliser cette union.

En juin 1816, Andrea saisit le Consolato di Commercio e di Mare pour réclamer au capitaine Rastel le paiement de 60 francs en rémunération d'un mois de salaire pour le voyage de septembre 1814 [AD06, réf. 06FS 0089]. Les auditions se déroulent les 11, 18 et 28 juin au premier étage de l'Hôtel de Ville, place Saint-François.
Suite à l'occupation napoléonienne, la devise courante est toujours le franc germinal. En août 1816, Victor-Emmanuel la renomme "lire sarde".

     
20 francs germinal à l'effigie de l'empereur Napoléon (1803) et 20 lires sardes à l'effigie du roi Victor-Emmanuel (1816).
Ci-dessous : conclusion de l'affaire contre Antonio Rastel.


Dès 1815, les habitants du Comté de Nice sont recensés : Giuseppe et Serafina ont respectivement 25 et 30 ans, ils sont menuisiers et élèvent deux enfants : Andrea (2 ans) et Maria. (Les parents de Giuseppe n'y sont pas : Andrea est sans doute en train de naviguer.)
Puis naissent Antonio (en 1816) et Gioan Battista (en 1819).

En 1815, Angelo réside au pied des Bastions, îlot 44 [voir plan ci-contre], avec sa femme Camilla et déjà de nombreux enfants (Giuseppe, Pietro, Teresa, Orazio, Antonietta, Antonio...). Comme son frère, et comme leur père avant eux, il travaille dans la Marine à Villefranche (au chantier naval) : on y apprécie ses compétences de cuisinier.


Le marin Andrea et sa descendance (menuisiers, charpentiers, ébénistes).
 

En octobre 1819, Giuseppe est témoin du mariage de sa sœur Maddalena (paroisse Saint-Jacques).
Son oncle Angelo, le cuisinier, meurt en décembre 1819.

1820 : à l'ouest du Paillon, début de construction de la route de bord de mer, future "promenade des Anglais".

La garde sanitaire des ports de Nice sous Charles-Félix 

En 1821, le roi abdique face à une insurrection en Piémont. Son frère Charles-Félix (1765-1831) lui succède sur le trône du royaume, en tant que 6e roi savoisien de Sardaigne. Auparavant, il était vice-roi de Sardaigne, à Cagliari, de 1799 à 1816. Le nouveau roi confirme le retour à l'ancien régime par la sévère répression de l'insurrection. Puis l'heure est à la reconstruction : il va lancer de grands chantiers de génie civil et d'urbanisme, et encourager la création artistique.

Sous Charles-Félix, Andrea devient garde sanitaire (guardia sanitaria). Il travaille vraisemblablement au nouveau port Lympia (notamment au bagne), ainsi qu'au lazaret de Villefranche. Dans cette fonction, comme pour les autres postes administratifs, la Marine royale emploie notamment les invalides et les marins âgés qui ne sont plus capables de servir sur des navires mais qui peuvent encore travailler à terre (cf. règlement de la marine militaire, patente royale du 16 janvier 1816)


L'emblème de la Marine royale à la Restauration (avec au centre le nouveau blason de la dynastie : simplifié et augmenté de la croix de saint Georges).
Ci-dessous : élève de l'école de marine en 1820, lieutenant de vaisseau et marin en 1822 ; canonier en 1824 et lieutenant en 1830 ; capitaine de vaisseau, lieutenant de vaisseau et ingénieur constructeur en 1833.
   

Pour permettre aux autorités portuaires de surveiller l'état sanitaire des navires et de limiter les risques de propagation des épidémies, chaque équipage doit être muni d'une patente sanitaire, document délivré par les autorités du port de départ et énumérant minutieusement les membres de l'équipage et leurs provisions. [À titre d'exemple, le document reproduit ci-contre est une patente sanitaire sarde délivrée à Savone en 1829 pour un brigantin à destination de Naples, avec 15 personnes à bord.] 
En outre, pour les itinéraires internationaux, il faut aussi pouvoir présenter un certificat consulaire de santé, par lequel les autorités consulaires du lieu de provenance garantissent le bon état sanitaire général du port au moment du départ. Le rôle d'Andrea consiste notamment à inspecter les navires qui partent afin d'établir leur patente. 
Pour les navires qui mouillent dans les ports de Nice, il s'agit de monter à bord pour vérifier que tout est conforme aux documents (en particulier : pas de passager clandestin, pas de maladie, etc.). En cas de passagers supplémentaires ou de soupçon de maladie, le médecin monte aussi sur le pont pour ausculter les marins ; et en cas de maladie déclarée ou constatée, le navire est mis en quarantaine au lazaret. 

           
Les équipages de la Marine royale dans les années 1820. - Des marins nicois représentés par Clément Roassal dans les années 1820-1830.

 
Des navires de commerce sardes dans les années 1820.

Le crépuscule de la marine niçoise

Avec l'acquisition de la Ligurie, l'activité des ports de Nice et Villefranche va rapidement chuter au profit de Gênes. L'administration de la Marine sarde, sous le commandement de l'amiral Des Geneys [ci-dessus à gauche, en 1822], est immédiatement transférée dans le nouveau port. (Gênes restera le siège de la Marine royale des États de Savoie jusqu'en 1870, date à laquelle Cavour décidera de centraliser toute cette activité à La Spezia.)

Dès lors, l'activité maritime de Gioan Battista Cagnoli et de ses fils Angelo et Andrea n'est plus d'actualité. Les fils d'Andrea (Giuseppe, Serafino, Francesco) vont donc se tourner vers les métiers du bois. De la charpente des navires, on passe à la charpente des maisons ; et de la charpente, on va passer à la menuiserie et à l'ébénisterie. Les garçons deviennent menuisiers ou charpentiers ; Camilla et ses sœurs, quant à elles, sont vouées à devenir tisserandes. Seul Benedetto reste en contact avec les activités maritimes, mais il se tourne alors vers d'autres horizons : le commerce intercontinental.


La menuiserie dans l'Encyclopédie de 1769.

En 1822, sur la route de France à l'approche de Nice, le roi Charles-Félix fait ériger une colonne en souvenir des passages du pape Pie VII au début du siècle : captif de Napoléon en 1809, et libéré en 1814.

   
La colonne du Pape, en face de la Croix de Marbre (qui commémorait le Congrès de Nice de 1538, entre Charles V et Francois Ier, à l'initiative du pape Paul III).


Dans le domaine du bois, le travail ne manque pas. En 1822, Claudio Gimello ouvre un atelier de marqueterie dans la rue des Ponchettes (paroisse Saint-Jacques), et cette activité artisanale devient rapidement une spécialité niçoise très prisée en Europe. Plusieurs maîtres s'installent à proximité des quartiers fréquentés par les riches touristes hivernants, et ils emploient une quarantaine d'ouvriers (on dénombre alors environ 25.000 habitants à Nice). Mais pour les ouvriers, c'est un métier dangereux. Avec les éclats de bois, on a vite fait de perdre un oeil ou de s'entailler la chair. Et compte tenu des conditions d'hygiène de la vieille ville, la moindre entaille présente un risque d'infection qui peut être fatal. Dans ces années 1820-1845, on va voir mourir jeunes la plupart des membres de la famille.


En 1822, nouveau recensement. La famille de Giuseppe et Serafina s’est agrandie. Andrea a 10 ans (il mourra à Saint-Jacques en 1835), Maria en a 8, et il y a maintenant Antonio (6 ans), Gioan Battista (3 ans), et le petit Spirito (8 mois).


Lors du recensement de 1822, on trouve la famille d’Andrea et Maria, avec Serafino et les autres enfants, à la porte 15 de l’îlot 72 (entouré par la rue Saint-Joseph, la rue de la Croix, la rue Sainte-Claire et une voie qui n’existe plus et qui prolongeait la rue de la Condamine : c’est exactement l’immeuble de l’actuel Théâtre municipal Francis-Gag). Mais je ne sais pas depuis quand ils y sont, ni où ils habitaient avant. 

Lors du recensement de 1822, des Cagnoli sont présents dans 7 logements de la commune de Nice :
Benedetto est recensé par l'armée sarde le 26 juin 1823. Il est inscrit sur une liste de réserve, son frère Serafino servant déjà dans la Brigata Cuneo.
 

Le menuisier Giuseppe Cagnoli, père de famille, meurt dès septembre 1824, à l'âge de 34 ans. Maladie ? Accident ? Probablement blessé au travail.

Ses parents sont quinquagénaires et actifs.

Sa veuve, couturière de 41 ans, ne se remariera pas. Elle reste seule avec sept enfants (dont la plupart vont mourir dans les années suivantes) : Emilia, d'une douzaine d'années ; Andrea, 11 ans ; Anna Maria, environ 10 ans ; Antonio, 8 ans ; Gioanni Battista, 4 ans ; Spirito, 2 ans ; Giuseppe Andrea, 8 mois.

Par ailleurs, Giuseppe avait plusieurs frères et soeurs, et beaucoup de neveux et nièces.


En 1822-1823, la Marine commence à sortir de la Méditerranée : les États-Sardes amorcent des relations commerciales avec Tanger et avec la mer Noire.
Du côté de l'Empire ottoman, Charles-Félix va envoyer la Marine sarde bombarder Tripoli en 1825, et Tunis en 1830, dans l'espoir d'en finir avec les attaques de pirates.

En juillet 1820 a commencé la construction d'un second pont sur le Paillon, plus près de l'embouchure, dans le but de faciliter la communication entre la ville et les faubourgs en plein essor. Les travaux sont achevés en 1824. En l'honneur de Charles-Félix, l'ouvrage est alors baptisé officiellement "pont Royal Saint-Charles", mais on l'appellera couramment "pont Neuf". Dès lors, le pont Saint-Antoine sera qualifié de "pont Vieux".

 
À droite : le pont Royal Saint-Charles (qu'on distingue aussi à gauche, près de l'embouchure du Paillon) [Clément Roassal].



En 1825, à côté de l'immeuble où habitent Serafina et les enfants, l'église paroissiale Saint-Jacques-le-Majeur est ornée d'une nouvelle façade.





Les pénitents blancs

Jeune frère des menuisiers Giuseppe et Serafino, François (né sous l'occupation française en 1806) prend l'habit des pénitents blancs en 1825.
L'archiconfrérie des pénitents blancs administre la chapelle et l'hôpital de la Sainte-Croix.
 
À gauche, sur le linteau de la chapelle Sainte-Croix, on voit deux pénitents blancs agenouillés autour du Crucifix.



En 1826, son cousin germain André Horace (né en 1807, fils d'Angelo) se joint à lui.


Les séjours du couple royal 

En novembre 1826, le roi se rend à Nice avec la reine Marie-Christine. Ils résident au Palais Royal (photo à droite). Cette visite royale va laisser de nombreuses traces. Les constructions des Ponchettes sont percées d'un nouveau passage : la porte Charles-Félix. Celle-ci relie directement la place Charles-Félix (à l'est du cours Saleya) au bord de mer.

         
Ci-dessus : deux illustrations de la visite royale par Hippolyte Caïs de Pierlas (1788-1858).
À gauche, le 8 novembre, "un marin traîne la voiture de Leurs Majestés" à travers la nouvelle Porte Charles-Félix (on reconnaît la tête du roi par la portière) ; à droite, "corps de ville et cortège" entre le Pont Royal Saint-Charles et le palais royal.
Si Andrea n'avait pas déjà une soixantaine d'années, on pourrait l'imaginer dans cet uniforme de matelot.

Charles-Félix encourage le développement des arts dans tout le royaume. En 1826, la ville rachète ainsi le Théâtre (Théâtre Maccarani, puis Théâtre de la Montagne, à l'emplacement de l'actuel Opéra), le démolit et construit à la place un Théâtre Royal de style néoclassique, inauguré le 26 octobre 1827.

En 1827, la corporation des serruriers de la ville fait ériger sur la place Charles-Félix un monument pour commémorer la visite du roi. Il s'agit d'une petite colonne en alliage de fer et de pierre blanche, avec un aigle à sa base et un monogramme royal à son sommet (le monument sera supprimé en 1861). [Ci-dessous : porte et place Charles-Félix ; avec le monument des Serruriers sur une peinture d'époque.]

 
                                                                                         [photos SC juillet 2012, février 2013]

La même année, les Juifs de Nice font ériger un monument d'inspiration égyptienne, en forme d'obélisque, à l'entrée du pont Neuf, sur la rive gauche, pour rendre hommage au roi Charles-Félix et rappeler les engagements pris par la Maison de Savoie pour protéger leur communauté (ce monument disparaîtra aussi juste après l'annexion, en 1861).

     
Les sphinx et le socle du monument érigé par les Juifs de Nice en l'honneur de Charles-Félix en 1827.

En 1829, la statue de Charles-Félix est érigée au port (photo ci-dessus). Son doigt tendu vers le bassin Lympia rappelle qu'il a rétabli les franchises du port, dont Nice bénéficiait depuis 1612 (sous Charles-Emmanuel Ier) et qui avait été abolies pendant l'occupation française.

 

 

Le petit frère Francesco se marie le 24 mai 1829 avec une certaine Élisabeth Dalaise.

En 1827, Rancher indique aux voyageurs les principales auberges de Nice : l'hôtel d'York, place Saint-Dominique (aujourd'hui place du Palais de Justice) ; l'hôtel des Étrangers et l'hôtel des Quatre Nations, rue du Pont-Neuf ; et une pension anglaise, maison Goiran, à la Croix de Marbre. Mais il ne mentionne pas la marqueterie, activité encore trop récente.

Le menuisier Serafino et sa famille "sarde"

Dans les années 1826-1827, après 12 ans de restauration, l'armée sarde signes les premiers congés militaires (classes 1814-1815).

     
Les grenadiers de la Brigata Cuneo dans les années 1820.

En mai 1827, Serafino est ainsi libéré du service actif. Il passe dans l'armée de réserve, où il devra rester disponible pendant 8 ans (jusqu'à 1835) en cas de nouvelle guerre :



Extraits de l'acte de démobilisation de Serafino Cagnoli, daté de mai 1827, signé par le colonel commandant de la brigade, comte Renaud di Falicon,
et par le commissaire de guerre de la province, un certain Michaud (sans doute Gaëtan).




(L'armée sarde va connaître un nouveau remaniement de grande ampleur à l'initiative de Charles-Albert en 1831. La Brigata Cuneo deviendra alors 1º Reggimento Brigata "Cuneo" jusqu'en 1839, puis 7º Reggimento fanteria Brigata "Cuneo". Ce 7e régiment d'infanterie existait encore dans l'armée d'Italie jusqu'à sa dissolution en 2001.)


https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9f/NIKAIA-steleCentraleDebut.jpgLes cousins serruriers

Le cousin André Horace, fils du cuisinier Angelo, est né sous l'occupation française en 1807. Recensé par l'armée en 1827, il rappelle que son frère Serafino sert déjà dans la Brigata Cuneo. 
Il se marie en 1830 et va entrer dans la corporation des serruriers.
[À droite : le monument des Serruriers à Charles-Félix lorsqu'il était placé à l'entrée de la rue Centrale entre 1987 et 2007 (photo Wikipedia).]
Il habitera au 6 rue Saint-Joseph (l'îlot des Serruriers). Dans le même immeuble, son fils Giuseppe Giacomo (né en 1837, marié en 1864 avec une cigarière originaire de Moulinet), également serrurier, s'installera dans un autre appartement.
Mentionnons aussi le fils aîné, Pietro Giuseppe (né en 1833 et marié en 1858), qui suit la même carrière de tradition familiale.
Curieusement qualifiés de "serraglieri", les serruriers sont d'habiles forgerons qui, au-delà des serrures, fabriquent toutes sortes de ferronneries.



L'hiver 1929-1930, Charles-Félix et Marie-Christine sont de retour à Nice.
Le 6 mars 1830, le couple royal repart de Villefranche et entame une dernière année de règne. 

La conquête de l'Algérie par la France en juin 1830 met un terme définitif aux attaques de pirates barbaresques sur les côtes du Royaume (mais il reste d'autres pirates en Méditerranée, notamment grecs).

En 1831, âgé de 35 ans, Giuseppe Serafino épouse Lucrezia, fille d’un certain Pietro Descalsi.
Le 9 octobre 1831, naissance de leur fils Andrea Serafino ("Andrea" comme son grand-père paternel, "Serafino" comme son père, pour le distinguer de l'Andrea fils de Giuseppe). Les comparents sont les grands-parents Andrea et Maria.

Évocation de Nice en 1830, par Édouard Corinaldi (Souvenirs de Nice (1830-1850), 1901) :

Nice, en 1830, était loin d'être la grande et magnifique ville qu'elle est devenue depuis. (...) Sa population, banlieue comprise, n'était guère que de 30 000 âmes.
Sa renommée commençait à peine. Elle n'était fréquentée que par un nombre assez restreint de familles anglaises. Les touristes francais lui préféraient Hyères, qui était loin de l'égaler, mais où ils pouvaient se rendre sans sortir de France. Elle était à peu près inconnue aux voyageurs des autres pays.
On n'y voyait ni somptueuses villas, ni jardins de luxe artistement dessinés et remplis de plantes exotiques. Mais sa beauté, pour ne rien devoir qu'à la nature, ne s'en faisait pas moins sentir.(...)
Trois rues dataient du XVIIIe siècle : la rue du Gouvernement, aujourd'hui rue de la Préfecture ; la rue du Pont-Neuf, aujourd'hui rue du Palais [puis rue Alexandre-Mari] ; la rue Saint-François-de-Paule, qui n'a point changé de nom. Toutes les autres remontaient
à des dates plus anciennes ; elles étaient étroites, sinueuses, mal pavées, assez pauvrement éclairées par quelques réverbères à huile placés de loin en loin, que, par économie, l'administration paternelle de ces temps avait bien soin de ne pas allumer les nuits de pleine lune.
Pour le balayage de la poussière elle s'en fiait aux vents, et s'inquiétait fort peu des lois de l'hygiène. Mais quelle joie, quel entrain animait la vieille cité !... Quel bonheur d'y vivre, et quelle joyeuse insouciance de l'avenir on y lisait sur tous les visages !...
Cette gaieté, cette insouciance avaient une double raison d'être. D'abord à cette époque Nice, petite ville de 30.000 âmes, possédait plusieurs industries qui, jointes à son commerce d'huile et à la culture de son sol, pouvaient suffire à faire subsister ses habitants. (...) En second lieu, de 1814 à 1848, la vie était à Nice d'un bon marché dont on n'a pas l'idée aujourd'hui.
Chaque bourgeois, un peu aisé, avait sur la colline quelques stérées de terre plantées d'oliviers. L'huile qu'il en tirait servait pour une part à sa consommation ; il vendait le reste et s'en constituait un revenu dont l'importance était proportionnée à celle de la terre.

En outre, il avait en général, soit à Saint-Roch, qui était alors le centre principal des jardins maraîchers, soit dans la plaine qui s'étendait entre la colline de Saint-Etienne et celle de Cimiez, un enclos plus ou moins vaste qui lui donnait des oranges et des légumes. Il vendait les premières et les vendait très bien ; car, moins douces que les oranges d'Espagne, les oranges de Nice se conservaient en revanche beaucoup plus longtemps, et c'était une qualité précieuse au temps où l'on ne pouvait les transporter que par le roulage. Quant aux légumes, une part servait à la nourriture du maître et à celle du métayer; le surplus était vendu à l'unique marché de la ville, établi autour de l'église Sainte-Réparate. Tout cela constituait de petits revenus qui, vu le bon marché de la vie et les goûts simples des Niçois, suffisaient à les faire vivre surtout quand ils avaient la chance d'y joindre le salaire de quelque emploi. (...)
Nice étant port franc, toutes les marchandises étrangères nous y arrivaient sans droits, et s'y vendaient au plus bas prix.
Quant aux produits du sol, presque tous étaient obligés de s'y vendre sur place, vu la lenteur et l'insuffisance des moyens de transport. Ils s'y donnaient presque pour rien. Aussi notre pays était-il, dans ces temps heureux, un vrai pays de cocagne !... (...)
Passons maintenant à la question des loyers. De 1830 à 1840, ils étaient fort peu élevés; mais ici il faut distinguer entre les villas ou appartements meublés destinés à la colonie étrangère, et les appartements loués vides aux indigènes.
Les premiers, meublés, il est vrai, avec une extrême simplicité, se livraient entre douze cents et deux mille cinq cents francs pour six mois, du 1er octobre au 30 avril suivant. Un petit nombre de villas plus vastes ou mieux meublées se louaient jusqu'à trois mille francs. (...)
Quant aux appartements loués vides aux indigènes, les prix variaient selon leur situation. Dans les quartiers réservés à la haute bourgoisie niçoise, tels que le quai du Midi, la rue Saint-François-de-Paule, la rue du Pont-Neuf et dans quelques maisons de la rue du Gouvernement, on pouvait avoir un appartement de huit ou neuf pièces au prix de cinq cents à sept cents francs par an, selon l'exposition et l'étage. Dans l'intérieur de la ville, sur la place Victor, aujourd'hui Garibaldi, dans la rue Ségurane, et sur le Port, on avait facilement le même nombre de pièces dans des prix variant entre deux cents et quatre cents francs par an.
Les gages courants d'une servante à tout faire étaient de six à huit francs par mois; ceux d'une femme de chambre, de douze à quinze francs; ceux d'un domestique homme, de quarante à soixante francs par mois.  (...)
De 1814 à 1850 il n'y avait guère à Nice qu'une promenade fréquentée et aimée par les Niçois de ces temps. Cette promenade était le cours Saleya, alors planté d'ormes magnifiques, et la Terrasse qui en était l'indispensable complément.
Les dimanches et jours de fête, la foule se tenait, pendant la journée, sous les épais ombrages du Cours, et remplissait l'après-midi les nombreux cafés qui se trouvaient sous la Terrasse. Il y avait là le café Royal, fréquenté surtout par les officiers et la noblesse du pays, le café Américain, le café du Commerce et tant d'autres, qui avaient pour clients la haute et la moyenne bourgeoisie. Dans tous ces établissements on avait alors une tasse de café pour trois sous, une glace pour quatre sous.
C'est au centre du Cours, en face du palais du Gouvernement, que jouait la musique militaire, la seule que nous eussions alors à Nice.
L'après-midi, lorsque le soleil commençait à descendre vers l'horizon, l'on montait sur la Terrasse. C'est de cette promenade-là surtout que les Niçois étaient fiers !... La Terrasse était pour eux la huitième merveille du monde !... (...)
Après tout, cette promenade originale méritait bien leur admiration. On s'y trouvait presque au sortir de chez soi. On y humait à pleine poitrine, tout comme sur le pont d'un navire, l'air fortifiant de la mer. On y jouissait d'une vue splendide. Elle tenait de la promenade et du salon. Les dimanches d'été, de cinq à huit heures du soir, toutes les familles un peu notables du pays s'y trouvaient réunies et s'y revoyaient avec plaisir. (...)
Vers huit heures, la foule commençait à s'éclaircir. A huit heures et demie il n'y avait plus personne, chacun était allé s'attabler au souper familial, après quoi chacun regagnait son lit, et s'endormait du sommeil du juste. 

[Illustration ci-dessus : une gravure de Carl Ludwig Frommel, 1840.]


III. Choléra et Consiglio d'ornato

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b3/Armoiries_Sardaigne_1831.svg/200px-Armoiries_Sardaigne_1831.svg.png?uselang=fr1831-1849 : règne de Charles-Albert de Savoie-Carignan (1798-1849), 7e roi savoisien de Sardaigne, cousin éloigné des précédents. Sur le portrait officiel ci-contre, il est représenté devant le port de Nice, où l'on distingue la statue de son prédécesseur Charles-Félix.
Couronné à la suite des mouvements insurrectionnels survenus en Europe en 1830, le nouveau roi commence son règne par une série de sévères répressions à l'encontre de tous les sujets qui seraient tentés par des idées libérales. Garibaldi va être condamné à mort en 1834. C'est peut-être dans ce contexte que le frère de Giuseppe et de Serafino, Benedetto, met le cap sur l'Uruguay ; mais il a pu aussi trouver des opportunités commerciales par l'intermédiaire de son grand-père Andrea, garde sanitaire au port de Nice.

Entre 1829 et 1837, une épidémie de choléra se propage dans le monde entier. Originaire de la vallée du Gange, la maladie a commencé à se répandre vers l'ouest en 1817 ; elle est apparue en Russie en 1830, à Berlin en 1831.
En octobre 1831, le gouvernement sarde commence à s'inquiéter et prend des mesures préventives. Le choléra sévit en France en 1832 et arrive donc aux portes de Nice. Globalement, la ville sera épargnée, mais un certain nombre de cas vont tout de même se déclarer.

Pour faire face au développement un peu anarchique des constructions, et pour prévenir les risques sanitaires dans ce contexte d'épidémie, le roi Charles-Albert approuve en 1832 la création d'un conseil d'urbanisme (sur le modèle de celui qui existe à Turin), le Consiglio d'Ornato, dont la mission consistera à définir un plan régulateur et à assurer sa mise en œuvre. Les principaux périmètres d'intervention vont être : sur la rive gauche du Paillon, les quais, la place Victor (future Garibaldi) avec la chapelle du Saint-Sépulcre, et le port Lympia ; sur la rive droite, la place Masséna, le faubourg de la Croix de Marbre, l'endiguement du Paillon en aval du pont Neuf, le Jardin public et la promenade des Anglais.

Vers 1832, une place en demi-cercle se forme dans l'axe du pont Neuf, sur la rive gauche. Elle prend le nom de Charles-Albert. En face, côté faubourg, les terrains appartiennent à la famille Tiranty ; le Consiglio d'Ornato y prévoit la construction d'une place symétrique (elle deviendra en fait quadrangulaire : c'est l'actuelle place Masséna).

En 1833, naissance de la fille de Serafino et de Lucrezia : Anna Maria. (Elle épousera Jean-Baptiste Pognaire, fils d’Antoine Pognaire et de Françoise Masse.)

L'année 1834 est marquée par la panique face à l'approche du choléra. À l'automne, tous les navires venant de l'étranger (notamment de France) sont mis en quarantaine, et les frontières terrestres sont fermées :

Le choléra, mal encore peu connu, inspirait alors une grande épouvante. Ces craintes étaient, paraît-il, partagées à un haut degré par la Cour de Turin. Vers la fin de l'été de l'an 1834, le bruit courut que des cas de choléra étaient signalés en Provence. Ce bruit qui ne devait que trop se réaliser l'année suivante, était alors prématuré. Cependant le cabinet sarde le tint pour vrai, et résolut de mettre le royaume à l'abri du fléau, en cessant tout rapport avec nos provinces méridionales.
Dès le 11 septembre 1834, tous les navires venant de nos ports méditerranéens furent soumis à une quarantaine rigoureuse, ce qui arrêta net les relations maritimes entre les deux pays.
Quant aux rapports internationaux par la frontière de terre, ce fut bien une autre affaire. Les voyageurs qui nous arrivaient de France par le pont du Var, ne furent pas soumis à une quarantaine quelconque; ils furent simplement repoussés.
Ni paysan, ni touriste, personne en un mot, ne put plus venir de Saint-Laurent à Nice, et pour empêcher quelque audacieux de traverser le Var à gué, des sentinelles furent placées de distance en distance le long du fleuve, avec ordre de faire feu sur l'imprudent qui eût osé tenter l'aventure.
Ces mesures radicales firent cet hiver-là le plus grand mal à Nice, mais nous fûmes garantis des atteintes du choléra qui ne nous menaçait pas encore.
Pour remercier la sainte Vierge de cette faveur, on décida conformément au voeu émis par nos consuls en 1832 de lui élever une église.
Ce qu'il y a de piquant, c'est que la construction commencée était à peine au niveau du sol lorsqu'en juillet 1835 le choléra fit sa première apparition à Nice, et y enleva de 200 à 220 personnes.

(Ici il faut relater un fait important dans notre histoire, car il fut cause de la fortune de Cannes. J'ai dit que dans ce triste hiver, tous les voyageurs étaient arrêtés au pont du Var et forcés de rebrousser chemin. Parmi eux se trouva Lord Brougham. Repoussé comme les autres, il insista cependant, et fit savoir au Gouverneur que lui, Lord Brougham, demandait à entrer à Nice et à y passer l'hiver. Le Gouverneur rejeta sa demande. Lord Brougham dut rebrousser chemin. Vivement froissé, il se retira alors à Cannes, y bâtit une villa à laquelle il donna le nom de sa fille Louisa, et se promit de faire, de cette petite localité, jusque-là sans avenir ni importance, la florissante rivale de Nice. Il faut bien reconnaître qu'en grande partie il y a réussi. )
(Édouard Corinaldi, Souvenirs de Nice (1830-1850), 1901)
 
 


Le 16 juillet 1834, un incendie se déclare dans l’ancienne église Saint-Jacques, succursale du Gesù. Pour participer à l'effort de restauration, un paroissien, le comte Alexandre Michaud, fait don d'un tableau pour remplacer celui qui a été détruit dans l'abside et commande des ornements afin de réparer les dégâts causés dans le chœur. Son frère, Étienne Michaud, est consul de Russie à Nice. Ingénieur militaire, Alexandre a quitté Nice lors de l'invasion française et a fait la guerre de 1792-1796 en montagne ; après l'armistice de Cherasco, il s'est engagé dans l'armée russe pour continuer la résistance avec les Alliés et il est devenu aide de camp d'Alexandre Ier ; lors des négociations du Traité de Paris en 1814, il est intervenu pour obtenir la restauration complète des États de Savoie ; puis il s'est retiré à Turin pour s'y consacrer à des missions diplomatiques. Le tableau qu'il offre à la paroisse est une Annonciation du peintre russe K.A. Chevelkine (portraitiste du tsar Alexandre Ier) qui lui a été offerte par le Tsar. Dès lors, l'église est placée sous le vocable de l'Annonciation. Mais elle reste désignée populairement par la métonymie de chapelle Sainte-Rita.

   
L'église de l'Annonciation (ex-paroissiale Saint-Jacques), avec le tableau de Chevelkine offert par Alexandre Michaud.
 

 
En 1835, naissance de Pietro, fils de Serafino et de Lucrezia.
 

La descendance de Joseph

Mort en 1824, Joseph n’aura pas vu le mariage de ses enfants, dont la plupart vont mourir pendant ces années funestes où le choléra n'est pas le seul à faire des ravages dans l'insalubre vieille ville.

Depuis 1834, la Marine sarde s'équipe de bateaux à vapeur. Mais si les navires du port de Gênes commencent à partir pour l'Amérique du Sud (et bientôt pour l'océan Pacifique, par le cap Horn, à partir du milieu des années 1840), l'activité du littoral niçois se réduit essentiellement à du commerce de proximité.
Andrea Cagnoli, père de Giuseppe, est garde sanitaire. Il est donc en charge de la surveillance des navires entrant à Nice ou à Villefranche, afin de prévenir la propagation des maladies contagieuses. Les équipages et marchandises concernés sont mis en quarantaine au lazaret. À cet égard, ces années de choléra sont particulièrement critiques. À partir de 1834, les mesures de quarantaine sont renforcées, en particulier pour tout ce qui provient de France (surtout depuis que celle-ci entretient des échanges réguliers avec l'Algérie). Elles deviennent systématiques à l'automne.

Ci-contre : timonier et marin en tenue d'hiver (1844-1850).

En 1835, Antonio Luigi a 19 ans, et il est déjà menuisier comme son père. C'est probablement cette activité qui lui a coûté son œil gauche dès l'adolescence. Il habite alors l'îlot 70 (sud-ouest du coin des rues Sainte-Claire et Serruriers), maison Cotto. C'est l'îlot voisin de celui de ses grands-parents. Il est recensé par l'armée (classe 1816, numéro 133), et réformé en raison de son invalidité.

L'été 1835, des cas de choléra se déclarent aux bagnes de Villefranche et de Nice.

  http://3.bp.blogspot.com/-3vu-CRKaLIM/UriGhrm5HPI/AAAAAAAAABw/BRkO3EoIiYs/s1600/1841.jpg
Les bagnes de Villefranche (1744) et de Nice (1770). Le royaume dispose de 3 autres bagnes : à Savone, à Gênes et sur l'île de la Capraia.

L'aîné des fils de Joseph, Andrea, meurt en octobre 1835 à l'âge de 22 ans. Peut-être a-t-il attrapé une maladie, mais il est probable qu'il ait succombé à une infection consécutive à une blessure à l'atelier.

Pendant l'été 1837 (30 juillet, 31 août et 1er septembre), des crues exceptionnelles sortent le Paillon et les vallons de leurs lits, causant de grands dégâts dans les campagnes niçoises et dans certains quartiers, et favorisant la progression du choléra.


Dans la nuit du 6 janvier 1839, le garde-sanitaire Andrea Cagnoli meurt au lazaret de Villefranche à l'âge de 74 ans.

Le 7, on l'enterre directement au lazaret. 

 
Sur les deux vues ci-dessus, on distingue la darse et les bâtiments du lazaret.




Plans du lazaret depuis les chantiers entrepris à la Restauration. Aujourd'hui, il ne reste que la tour indiquée près du môle.
La chapelle est celle de l'ancien bagne. Au sud, le terrain est adjacent à la commune de Nice ; au nord, à la Darse.
 


Le Lazaret de Villefranche (avec une escadre impériale russe dans la rade).

Né à Villefranche sous Charles-Emmanuel III, Andrea Cagnoli était le dernier marin de la lignée. Il laisse à Nice une veuve et plusieurs enfants et petits-enfants.

Par coïncidence, l'amiral Giorgio Des Geneys, hospitalisé à Gênes au début du mois, meurt dans la soirée du 8.

Les inhumations au lazaret de Villefranche étaient rares, à cette époque. Les cas précédents étaient peut-être liés à l'épidémie de choléra de 1835, et le suivant sera un certain Bartolomeo Radoni le 2 juillet 1847 (capitaine de la marine marchande originaire d'Ancone, âgé de 68 ans, mort à bord de son navire, le Buon Luigi, battant pavillon pontifical).
Andrea aura-t-il été victime d'une maladie contagieuse (mais ce n'est pas la saison du choléra) ? D'un mal mystérieux attrapé en mer ? En tout cas, il est mort dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, qui restent à élucider.


Quelques mois plus tard, décès de la fille aînée de Giuseppe et de Serafina, Emilia, épouse de Pierre Bouchon, âgée de 27 ans.

L'essor des ébénistes niçois  

En 1838, les ébénistes Ciaudo et Gimello ont présenté leurs travaux à Turin, où ils ont été récompensés par une médaille de bronze.
En 1839, Gimello transfère son commerce dans un nouveau quartier, pour suivre le développement urbain de Nice et l'activité touristique : la rue Saint-François-de-Paule, près du pont Neuf (place Charles-Albert).


Devanture du nouvel atelier de Gimello, 1839.


En 1840, on retrouve à Nice un camarade d'exil, qu'on avait aperçu lors des années passées dans le port de Gênes : Niccolò Paganini. L'anecdote mérite d'être rapportée. Pendant un séjour en France, Paganini a contracté des dettes, mais surtout le choléra. Réfugié à Nice pour fuir la justice française, il va succomber à la maladie. Il est hébergé par le comte Spitalieri de Cessole, président du Sénat de Nice, au 23 rue du Gouvernement (aujourd'hui rue de la Préfecture), où il meurt le 27 mai 1840. Comme il n'a pas eu le temps de recevoir les derniers sacrements et que l'on craint que son talent résulte d'un pacte conclu avec le diable, l'évêque de Nice, monseigneur Galvano, refuse de l'enterrer. Le comte de Cessole prend alors l'initiative de faire embaumer le corps et de le conserver dans sa cave. Il faudra plusieurs années et une intervention du Pape pour que la dépouille puisse être acheminée jusqu'à Gênes. Finalement, en 1876, après de nombreux rebondissements et bien des sépultures provisoires, le corps sera transporté à Parme et inhumé officiellement. En 1891, après la réhabilitation religieuse et l'inhumation de Paganini, une plaque est posée au 23 rue du Gouvernement. (Et ce n'est pas la fin des péripéties pour le cadavre, mais il faut bien arrêter cette parenthèse quelque part.)


La dépouille de Paganini emportée discrètement du Lazaret de Villefranche dans la nuit du 15 août 1843 (gravure imprimée dans la revue L'Illustration en 1854).

Le jeune menuisier Spirito, cadet de Giuseppe & Serafina, meurt à 20 ans en 1841. Encore un accident du travail ?

En 1842, Gioan Battista épouse Antoinette Ricordi. Mais il meurt dès 1844, à l'âge de 25 ans...

Le menuisier Antonio Cagnoli est le seul de sa fratrie à survivre à ces années funestes, avec sa mère et sa grand-mère paternelle. En 1845, le 19 janvier, il épouse Maddalena Chauvet (il a 30 ans, elle en a 21).
Maddalena est la fille du maître teinturier Pietro (Pierre Chauvet, d'un père originaire d'Aix-en-Provence) et de Giuseppa Mascarèu (d'une famille de vermicelliers niçois de lointaine origine piémontaise). Baptisée à Ste-Réparate, elle a grandi à la porte 27 de l’îlot 44 (entouré par les Bastions, la rue Centrale, la rue du Collet et une actuelle impasse de la place Saint-François), avec ses frères Louis et Pierre (7 ans), et sa grande sœur Françoise.
Dans les annuaires niçois de 1845-1846, aucun Cagnoli n’est référencé. Antonio et son oncle Séraphin sont donc vraisemblablement ouvriers, employés par un menuisier ou un ébéniste, par exemple un de ces maîtres marqueteurs dont l'activité se développe depuis les années 1820.
 

La mère d'Antonio, Serafina Farnoux veuve Cagnoli, meurt le 20 décembre 1846 à l'âge de 63 ans (maison Martini, paroisse Saint-Jacques).

Antonio est son seul enfant survivant.

 

Ébénistes et marqueteurs dans l'Encyclopédie de 1765.

Au cours des dernières décennies, on a assisté à la fois à une épidémie de choléra qui a fait des dégâts dans la Vieille Ville et à l'extension de Nice vers la rive droite du Paillon sous le contrôle du Consiglio d'Ornato. Pour un jeune ébéniste comme Antoine qui cherche un logement où s'établir avec sa jeune épouse et fonder une famille, c'est désormais vers cette ville nouvelle qu'il faut se tourner, pour des raisons à la fois sanitaires et économiques.


C
arte d'état-major des États-Sardes (années 1850).


        
À gauche, vétérans et invalides de l'armée sarde.
Au centre : frégate sarde affrontant une tempête dans l'océan Atlantique, par le peintre et marin Chéri Dubreuil (1828-v.1880) [Gênes, Musée de la Mer].
À droite, 
uniforme de l'équipage des navires sardes dans les années 1840.


Une vue de Nice depuis le large vers 1843, par Ambroise Louis Garneray (1783-1857).


=> SUITE : Nice, faubourgs Saint-Jean-Baptiste et Croix-de-Marbre

Sources :
Archives départementales des Alpes-Maritimes
Archives familiales
Édouard CORINALDI, Souvenirs de Nice (1830-1850), 1901.
Le uniformi delle Marine Italiane prima dell'Unità - La Regia Marina Sarda dal 1714 al 1861 (Calendario 1978), Stato Maggiore della Marina Militare, Ufficio Documentazione e Propaganda.
Piera CONDULMER, "I mastri serraglieri", Cronache economiche, 1980/4.
Stefano ALES, L'armata sarda della Restaurazione, 1814-1831, Stato Maggiore Esercito, Roma, 1987.
Pierangelo MANUELE, Il Piemonte sur mare - La Marina sabauda dal Medioevo all'unità d'Italia, Edizioni L'Arciere, Cuneo, 1997.
Enrico RICCHIARDI, Le bandiere di Carlo Alberto (1814-1849), Editrice Il Punto, Torino, 2000.
Federico BONA : Bandiere e uniformi sabaude
Henri GEIST, Les rues du Vieux-Nice du XVIe au XXe siècle, Cercle d'Histoire et d'Archéologie des Alpes-Maritimes, Nice, 2017.

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