Les Sauvet entre Provence, Nice et Gênes


Provence occidentale

Dans les années 1750, Pierre Sauvet est maître tailleur dans la ville d'Aix (Provence, Royaume de France). Il est issu de deux familles bourgeoises de la cité : Sauvet et Eyguesier.

En novembre 1758, il épouse Rose Vernet en la cathédrale Saint-Sauveur. Du côté de sa mère, elle aussi descend de la bourgeoisie aixoise (Burle, Sertaille). Du côté paternel, l'ascendance est un peu plus dispersée, avec des Vernet & Queirelle à Istres dans les années 1660 (étang de Berre, petit point bleu ci-dessous) et des Roche & Audibert à La Bastide des Jourdans (sur le versant du Lubéron, au nord de la Durance, petit point bleu ci-dessous).
Il n'est pas exclu que Rose soit vaguement apparentée à la famille des peintres, qui descendent d'un Claude Vernet né au Puy en Velay vers 1634 et marié à Avignon en 1664.

Janvier 1696 : acte de mariage des grands-parents paternels de Rose à Aix, paroisse Saint-Esprit.

Leur fils Barthélemy Antoine Sauvet naît peu après, vers 1759.


La Provence dans les années 1660 (en jaune), entourée par le Languedoc, le Comtat Venaissin (avec Avignon en vert), le Dauphiné au nord, et le Comté de Nice à l'est (États de Savoie, avec Nice en vert).

 

Deux représentations d'Aix à l'époque. Les Sauvet résident alors dans le cœur historique de la ville, paroisse cathédrale Saint-Sauveur.
 
Vers 1786, pour une raison mystérieuse, Barthélemy quitte Aix, la Provence et la France. Il a environ 27 ans. Sans doute embarque-t-il à Marseille.


Du golfe du Lion à celui de Gênes : Aix en bleu, Nice en vert et Gênes en rouge.
 

Comté de Nice

C'est ainsi que Barthélemy Sauvet s'établit à Nice (Royaume de Sardaigne), où il exerce le métier de tailleur.
Sauvet étant un nom étranger, l'orthographe va poser pas mal de problèmes dans les registres d'état civil. Dès lors, on va rencontrer alternativement les formes Chauvet, Ciauvet et Sauvet.
La confusion durera jusqu'au milieu du XXe siècle, et se résoudra d'ailleurs par l'adoption officielle de graphies contradictoires, selon les branches de la descendance, devant divers tribunaux.

Le 24 novembre 1787, en la cathédrale Sainte-Réparate, Barthélemy se marie avec la jeune Niçoise Caterina Bottin (fille d'Antonio Bottino, originaire de Peille, et de Maria Teresa Camossa).

Barthélemy et Catherine vivent sans doute quelque temps à Aspremont, où ils perdent leur premier enfant (Agostino Antonio Pietro, décédé le 1er juillet 1789).

Ils s'établissent ensuite sur le territoire de la paroisse Saint-Jacques, où ils ont bientôt un second fils : Pietro Sauvet, né le 27 mai 1790.
 

 

Occupation française

Guerre de 1792-1796

Les Français envahissent le Comté en septembre 1792, prenant aussitôt Nice et Villefranche.
Les troupes françaises ont pris Aspremont sans résistance dès septembre.
Dès le 31 janvier, les Français revendiquent l'annexion du Comté, qu'ils proclament "département des Alpes-Maritimes". La guerre va continuer en montagne pendant plusieurs années.



Sous l'occupation, les Sauvet résident à la "porte France, section 4" (ou "porte Neuve", l'ancienne porte Saint-Éloi, qui donne sur le Pré-aux-Oies, du côté du futur pont Neuf) [la porte et la rue sont indiquées en bleu sur le plan ci-dessus].
Catherine meurt le 18 mai 1794 ("29 floréal an 2"). Barthélemy se remarie aussitôt (le 2 juin, "14 prairial an II"), avec Camille Brun, née en 1773 (fille de Gioan Onorato Brun et de Francesca Gilli).

Un premier demi-frère de Pierre, Agostino Onorato, naît sous l'occupation le "16 nivôse an IV" (6 janvier 1796).
En avril, l'armistice de Cherasco entérine la cession du Comté de Nice à la France révolutionnaire.

Dans le "département des Alpes-Maritimes" 

Les autres enfants de Barthélemy et Camille naissent sous le régime français par temps de paix, notamment Joseph (en 1802).

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e9/Blason_ville_fr_Nice-Empire.svg/200px-Blason_ville_fr_Nice-Empire.svg.pngEn mai 1804, Bonaparte se proclame "Empereur des Français". Il élimine les symboles impériaux des armoiries régionales : d'où le nouveau blason ci-contre attribué à la ville de Nice, avec des abeilles et un soleil qui brille sur un olivier et sur un citronnier.

Puis viennent d'autres enfants de Barthélemy et Camille, notamment Françoise en septembre 1808 (qui épousera en 1837 Pierre Bouet, avec lequel elle aura plusieurs enfants dans les années 1840) et Marthe en juin 1813 (qui mourra célibataire à l'âge de 27 ans).

Sous l'Empire, Pietro est boulanger. Le 2 septembre 1809, il épouse Giuseppa Mascarel (d'une famille de vermicelliers niçois de lointaine origine piémontaise).

 

Restauration

Les États-Sardes continentaux sont restitués aux Savoie en 1814, et l'ancienne république de Gênes y est annexée par le Congrès de Vienne en 1815 (d'où le nouveau drapeau ci-contre).

Si le premier enfant de Pietro & Giuseppa est né sous l'Empire (Jean-Baptiste, vers 1813), il meurt dès 1816. Le second, Pietro, naît en 1815 (il se mariera en 1846 avec une Thérèse Terese). Parmi les enfants suivants, il faut mentionner surtout Maddalena, née et baptisée à Sainte-Réparate le 9 avril 1821.

Pendant ce temps, à Gênes

Dans la première moitié des années 1820, à Gênes (Royaume de Sardaigne), Agostino Onorato et son épouse Rosa née Patrone ont un fils : Antonio Chauvet. Rosa est vraisemblablement génoise.
Agostino a-t-il émigré, seul, pendant l'occupation ? Ou bien s'agit-il d'un déplacement au sein du royaume après le congrès de Vienne ? et après la mort de son père ?
Toujours est-il qu'Antonio Chauvet, demi-frère de Pietro et premier enfant de sa mère, sera un sujet sarde né à Gênes, statut singulier au sein de sa famille niçoise.



Lors du recensement de 1822Pietro & Giuseppa habitent avec leurs enfants dans la paroisse cathédrale, à la porte 27 de l'îlot 44 (entouré par les Bastions, la rue Centrale, la rue du Collet et une actuelle impasse de la place Saint-François). Maddalena grandit là avec ses frères Louis (11 ans) et Pierre (7 ans), et sa grande sœur Françoise. Pietro est maintenant teinturier. Son père (le tailleur Barthélemy) est mort entre 1813 et 1822 : à la porte 36 de l'îlot 31 (devant l'église paroissiale Saint-Jacques : rues Droite, du Gesù, Benoît-Bunico et Place-Vieille), Camille veuve Chauvet née Brun élève seule ses enfants (sauf l'aîné, Agostino Onorato, alors à Gênes), qui sont donc le demi-frère et les demi-soeurs de Pietro.

 
Dans le même cahier de recensement, on remarque l'orthographe Sauvet pour la famille de Pietro, et Ciauvet pour celle de sa belle-mère.

Dans les années 1820, après ce recensement, Agostino Onorato rentre à Nice avec Rosa et leur fils Antonio (paroisse Saint-Jacques). Ils vont avoir deux autres enfants : Francesca, baptisée le 19 juillet 1829 ; Bartolomeo, baptisé le 16 juin 1833 (le parrain est Joseph Chauvet, sans doute l'oncle) ; mais chacun mourra après quelques mois.

Joseph (autre demi-frère de Pierre) se marie au début des années 1820 avec Marie Grondon, qui lui donnera une nombreuse descendance. 

En 1845, le 19 janvier, Maddalena épouse l'ébéniste Antonio Cagnoli (elle a 21 ans, il en a 30). Lui aussi a une grand-mère paternelle génoise, et un oncle né à Gênes : mais dans le cas des Cagnoli, l'exil génois remonte à la guerre de 1792-1796. Tous deux vont quitter la vieille ville, devenue particulièrement insalubre en ces années de choléra, et fonder une famille dans les faubourgs (Saint-Jean-Baptiste, Croix-de-Marbre). Les autres Chauvet restent sur la rive droite du Paillon.
 

Vers l'unité italienne

En mars 1848, le roi Charles-Albert mobilise les 4/5 de l'armée sarde (65.000 hommes) pour aller soutenir les Milanais qui se soulèvent contre leur empereur Ferdinand Ier. Le 31 mars, le commandant de la place de Nice appelle les contingents de cavalerie des classes de 1816 à 1821 (L'Écho des Alpes maritimes, 2 avril) ; en outre, les militaires en congé sont invités à se présenter à Turin pour un enrôlement volontaire. C'est dans ce contexte que le roi adopte le tricolore des révolutionnaires : le nouveau drapeau, reproduit ci-contre, restera en vigueur dans le royaume jusqu'en 1946.
Cette première "guerre d'indépendance italienne" est un échec. Charles-Albert capitule ; Victor-Emmanuel II lui succède sur le trône à Turin.

Antonio Chauvet devient tailleur. Le 15 mai 1853, à St-Martin-St-Augustin, il épouse Thérèse Saissi, couturière née à Nice vers 1832 (fille de Gioanni Francesco Saissi et de Maria Camilla Alvarez). Antonio est illettré (l'acte fera l'objet d'un jugement de rectification en 1885 en raison des orthographes fluctuantes).

 
 

Pietro Sauvet (père de Maddalena) meurt le 26 janvier 1855 à l'hôpital de la Sainte-Croix, administré par les pénitents blancs. Initialement, l'établissement fut créé par l'archiconfrérie confrérie des pénitents blancs en 1636 (intra-muros, à l'emplacement de l'actuel 5 rue Zanin), avec onze lits, dans le but d'accueillir et de guérir les malades (à l'exception des fous, des contagieux, des vénériens et des incurables). Depuis 1849 (et aujourd'hui encore), il se trouve dans la paroisse Saint-Roch, sur la route de Turin (38 rue Victor, alias avenue de la République).

 

 
 
 
Premier enfant d'Antonio et Teresa : Jean-Baptiste Chauvet, le 19 février 1859 (baptisé le lendemain à Saint-Martin-Saint-Augustin).


En avril, Victor-Emmanuel se lance dans une seconde "guerre d'indépendance italienne" contre les Autrichiens. Cette fois, il s'est arrangé pour avoir le soutien militaire des Français. Du coup, la campagne est un succès : la Lombardie est annexée aux États-Sardes [carte ci-contre]. 


Conformément à l'accord contracté en juillet 1858 (entre Cavour, chef du gouvernement des États-Sardes, et Bonaparte, empereur des Français), ratifié en janvier 1859 par Victor-Emanuel II et publié par surprise en mars 1860, le Comté de Nice et la Savoie sont cédés à Napoléon III en échange de l'aide militaire apportée par la France en Lombardie.
 

Cession à la France

L'armée française entre dans Nice le 1er avril et un référendum est improvisé deux semaines plus tard.
Aucun Chauvet ne participe au scrutin. Apparemment, étant né à Gênes (qui se trouvait pourtant dans le même pays que Nice, dans les années 1820), Antonio est considéré comme Italien ; de même que son fils, Jean-Baptiste, semble-t-il, en tant que fils d'Italien. À moins que ce soit un choix de leur part, lors de l'annexion ? En tout cas, comme on va le voir, le régime français les traite en étrangers.

Deuxième enfant d'Antoine et Thérèse : Thérèse Chauvet, le 14 septembre 1869 (31 rue Pairolière, Nice).
 
Devenue "place Napoléon" en 1860, l'ancienne place Victor est renommée "place Garibaldi" le 13 septembre 1870, suite à la capitulation de Bonaparte et à la proclamation de la république.
 
 

Maddalena Sauvet veuve Cagnoli meurt en mars 1872, à l’âge de 48 ans.

 

   

Antonio et son fils Jean-Baptiste, place Garibaldi

Le 1er octobre 1884, Jean-Baptiste fils d'Antonio (donc cousin d'Élie Ferdinand Cagnoli) épouse Gabrielle Guiraud, fille d'un teinturier.
Leur fils Antoine Chauvet voit le jour le 6 mai 1889 (au 11 rue Paradis) ; mais la mère meurt une semaine plus tard, le 13 mai.
Ces années-là, Jean-Baptiste est "caissier de banque", "employé", puis "représentant de commerce" et "négociant".
Ses parents achètent un appartement au 4 place Garibaldi. Veuf, il vit chez eux, avec son petit Antoine et sa soeur Thérèse, couturière.
Sur l'image ci-contre (détail d'une photo de Giletta), le numéro 4 est l'immeuble du fond, dont on voit deux des trois arcades sous un balcon.

En 1891, érection du monument à Garibaldi sur la place qui porte son nom (conformément à l'engagement pris par le conseil municipal dès le mois de juin 1882, le jour même où l'on apprit sa mort). Il est inauguré le 4 octobre.
  
 
Sur le plan de Nice en 1891 : le domicile en vert et le monument à Garibaldi en rouge ; en outre, l'hôpital de la Sainte-Croix est indiqué en rouge, et le cimetière en bleu.
À droite, inauguration du monument à Garibaldi [photo Giletta].

En 1897, Jean-Baptiste figure dans l'annuaire national de l'Union fraternelle du Commerce et de l'Industrie, sous la catégorie "Renseignements commerciaux, escompte et recouvrement".

Selon le recensement de 1901, Antonio est "italien", tandis que sa femme est "française". Celle-ci meurt le 13 janvier 1902.
Thérèse quitte le foyer en septembre 1903, lorsqu'elle épouse un jeune veuf, Joseph Ottogalli, employé de commerce.

En 1904, curieusement, Antonio est "citoyen français" (y a-t-il eu une naturalisation ? de même, il semblerait que Jean-Baptiste soit naturalisé en 1908).


Antonio Chauvet meurt le 17 avril 1904 à son domicile. Ci-contre : l'avis de décès dans L'Éclaireur du lendemain.

 Une concession à perpétuité est acquise au cimetière du Château.
Curieusement, la pierre tombale est entièrement rédigée en italien. Cette caractéristique n'est pas rare dans ce cimetière, vu que de nombreuses tombes sont antérieures à 1860, mais c'est tout de même inhabituel, voire audacieux, sous la Troisième République française. C'est aussi le cas de la tombe de Jean-Baptiste Toselli (†1885), ou de celle de Joseph André (†1903).

 



Après la mort des parents, Jean-Baptiste et son fils Antoine restent seuls dans l'appartement de la place Garibaldi.


Ci-contre : portrait d'Antoine Chauvet (cousin d'Éloi Cagnoli) sur la tombe familiale au cimetière du Château.