D'Hauenens, France
Entre 1837 et 1856, pour tenter
d'échapper à la misère qui règne dans les campagnes flamandes
depuis l'indépendance de la Belgique, les demi-frères
Franciscus & Leopold
D'haenens passent en France, alors à l'aube de la
révolution industrielle, laissant à Melden leur frère aîné et leur
mère. Ils font partie des nombreux ressortissants belges qui, à
partir de 1845 et surtout de
1851,
répondent à l'appel de
l’économie française en manque de main-d’œuvre.
"Les pôles d'attraction, en France, sont les mêmes
pour tous. Dans le nord de la France, les énormes besoins de
main-d’œuvre de l'industrie - du textile surtout - et des
charbonnages créent un appel continu. Raoul Blanchard
écrivait en 1906 : "Depuis cinquante ans, le bassin houiller
du Pas-de-Calais fait l'effet d'une énorme pompe pneumatique
dont l'aspiration puissante enlève des hommes de toutes les
parties du pays flamand". La même formule aurait pu être
employée - et pour une période remontant plus haut encore -
pour le textile de la région de Lille. La thèse de M.
Lentacker, a ce sujet, est tout à fait éclairante. Les
Belges trouvent aussi de l'emploi dans certains secteurs que
l'ouvrier français boude, parce qu'il y trouve le travail
trop lourd, ou trop rebutant. Le consul de Belgique à Lille,
en 1865, signale que dans son ressort, "les terrassiers
belges forment sinon la totalité des bras employés, au moins
l'immense majorité". À la fin du siècle, les ouvriers
français étaient devenus pratiquement introuvables, dans la
région, pour les travaux de terrassement et pour ceux de
briqueterie ; il y fallait des Belges." [Jean
Stengers, "Les mouvements migratoires en Belgique aux XIXe et
XXe siècles", in Revue
belge de philologie et d'histoire, tome 82, fasc.
1-2, 2004.]
Des "piqueteurs" belges venant
louer leurs services en France pour la moisson [Le
Petit Journal
, 1908].
Ci-contre,
la zone traversée par les frères sur une carte des années 1850
(en orange : Bruxelles,
Gand et Lille ; en bleu :
les régions de départ et d'arrivée ; frontière
internationale en vert). Ci-dessous, une vue détaillée de la
région d'arrivée, plus précise mais plus ancienne (Cassini, 100
ans plus tôt) : la route Lille-Paris traverse la rivière
Aronde (Moyenneville
et Wacquemoulin
en amont).
Oise (années 1850-1870)
Sur la route de Lille à
Paris, les frères D'haenens interrompent leur périple au
niveau du relais de poste de Gournay (dans le département de l'Oise,
anciennement dans la province historique d'Île-de-France mais
rattaché à la Picardie depuis 1790).
François van der Guchten réside à Grandvillers-aux-Bois.
En 1856, âgé de 25 ans, il est valet de cour chez le
cultivateur Jacques Napoléon Martin.
Le 23 juin, il épouse à la hâte Caroline Lesueur, enceinte
(ouvrière en gants née en 1835).
Leur fils François Adolphe naît en octobre (de nationalité belge
par filiation).
Léopold D'haenens réside
à Estrées-Saint-Denis, rue du
Lion-Noir, où il travaille comme charretier (manouvrier). Il a 19
ans.
Le 26 juin 1858, âgé de 20 ans, il épouse Lucie
Virginie Leclercq, de Moyenneville,
issue d'une vieille famille de paysans de Wacquemoulin.
François est témoin. Lors de ce mariage, le nom de famille est
transcrit sous la forme "d'Hauenens". Illettré, Léopold n'y voit
rien à redire. La coquille va se transmettre à toute la
descendance.
[La
mère de Virginie, Geneviève Dupont, est née en 1812 à
Moyenneville, de père inconnu. Elle porte donc le
nom de famille de sa mère, Marie Angadrème Dupont. Celle-ci a
épousé ensuite un déserteur
polonais arrivé en France avec la retraite de l'armée
napoléonienne.]
La carte de Cassini ci-dessus met en évidence les villes de
Clermont et Compiègnes en bas, et plusieurs villages en bleu à
proximité de Gournay : Wacquemoulin et Moyenneville sur l'Aronde,
puis Grandvilliers-aux-Bois et Estrées-Saint-Denis de part et
d'autre de la route.
Virginie donne naissance à un fils, Gustave Édouard "d'Hauenens", le 27
août 1859 (à Estrées-Saint-Denis). Il est de nationalité
belge, comme son père Léopold.
Puis Virginie et Léopold s'établissent à Moyenneville, rue
Qui-Branle, à côté des parents de Virginie.
À Moyenneville, naissance de deux autres garçons : Paul Raymond
d'Hauenens, le 30 juin 1862 ; Octave Alfred d'Hauenens, le 16
décembre 1864.
Estrées-Saint-Denis,
Moyenneville et Wacquemoulin.
Guerre franco-prussienne et Commune de Paris
Le 17 juillet 1870, la France déclare la guerre à la
Prusse. La population est appelée à verser des impôts
exceptionnels.
La guerre se passe très mal, et Napoléon III capitule à Sedan dès
le 2 septembre. Le 4,
l'Assemblée Nationale destitue Napoléon III et proclame la Troisième République.
Le
13 septembre, les troupes allemandes entrent dans le
département de l'Oise et atteignent Compiègne en milieu
d'après-midi.
Paris est assiégée. Le 7 octobre,
le ministre de l'Intérieur Léon Gambetta quitte la capitale en
ballon et atterrit dans l'Oise.
Le 19 novembre, la
première armée prussienne (40 000 hommes) arrive dans l'Oise.
Gambetta quitte Paris en ballon,
dans l'intention de se réfugier à Tours. Touché par des balles
prussiennes, il est contraint d'atterrir dans l'Oise, à
Épineuse.
À droite, réquisitions prussiennes dans les fermes (par Louis
Ulysse Souplet).
Le 26 décembre, les
Allemand destituent le préfet nommé par Gambetta et le remplacent
par le baron von Schwartzkoppen.
Le 18 janvier 1871, à
Versailles, le roi de Prusse Guillaume Ier proclame l'Empire
allemand
Le 19 janvier, victoire
allemande à Saint-Quentin.
Le 28 janvier, signature d'un armistice entre le
gouvernement provisoire de la Troisième République et les
Allemands.
Des élections législatives ont lieu le 8 février. À Paris, Louis Blanc arrive en tête,
suivi de Victor Hugo, Léon Gambetta et Joseph Garibaldi.
L’Assemblée nationale se réunit à Bordeaux le 13 février. Jules Grévy est
porté à la présidence de l'Assemblée et Adolphe Thiers est élu
chef du gouvernement.
Le 13 février, les troupes d'occupation réclament une contribution
de guerre de 11 millions de francs au Conseil général de l'Oise
(les Allemands refusent d'abord de négocier et retiennent
prisonniers les membres du Conseil, qui seront finalement libérés
le 24 février contre versement de 2 millions de francs).
26 février : signature d'un second armistice à Versailles.
Le
18 mars 1871 : une insurrection éclate à Montmartre.
Construction de barricades.
Les Prussiens craignant que des troubles éclatent dans l'Oise comme
à Paris, toutes les villes ouvrières du département sont placées
sous étroite surveillance.
Le 30 mars, le drapeau
rouge de la Commune flotte sur l'hôtel de ville et sur tous les
monuments publics de Paris.
Dans l'Oise, la deuxième quinzaine d'avril est marquée par un
important reflux de Parisiens fuyant la capitale.
Le Traité de Francfort, qui met fin à la guerre franco-allemande,
est signé le 10 mai.
21-28 mai : semaine sanglante à Paris. Les troupes de
Versailles entrent par l'ouest, franchissent les barricades et
massacrent les insurgés.
La capitale est ravagée par les incendies. Derniers combats
sporadiques début juin, puis l'ordre se rétablit et la
reconstruction commence.
Au cours de cette période de troubles, après la naissance des
trois fils (entre 1866 et 1872), Virginie et Léopold s'en vont à
Paris.
Paris, 12e arrondissement (années
1870-1910)
Virginie et Léopold
vont chercher fortune à Paris. Ils s'installent dans le 12e
arrondissement (187 rue de Charenton), avec leurs deux fils.
Leur immeuble se trouve au niveau de la rue Montgallet, en
face de la mairie.
Léopold travaille comme employé journalier. Virginie est
blanchisseuse.
Une blanchisseuse à Paris en
1897 (par Camille Bellanger - Musée Carnavalet)
Naissance d'une fille : Lucie Virginie D'Hauenens,
le 10 août 1874.
À Paris, Léopold disparaît définitivement entre 1874 et 1880 : il
sera certifié "absent sans nouvelles" aux mariages des quatre
enfants.
1) L'aîné, Édouard,
devient découpeur, puis marqueteur (journalier).
Le 7 février 1880, dans le 11e arrondissement, il
épouse Thérèse Marie Meunier (née à Belleville en 1856), également
travailleuse journalière, fille d'un monteur en bronze et d'une
couturière.
Lettré et conscient de ses origines flamandes, Édouard
signe son acte de mariage de son nom D'haenens. Mais l'état-civil
français saura rappeler à la fratrie la valeur incontestable du
malheureux document établi dans l'Oise en 1858.
Au centre, la nouvelle mairie du 12e
arrondissement, construite en 1876. À droite, la rue
Montgallet.
Ébénistes et marqueteurs dans
l'Encyclopédie de 1765.
2) Le puîné, Paul Raymond,
devient galochier, puis ébéniste.
Le 31 octobre 1885, dans le 12e arrondissement, il
épouse Camille Augustine Marie Martineau (née dans le 18e
arrondissement en 1865), cravatière, fille d'un ouvrier peintre en
bâtiment et d'une couturière.
Ils vivent au 185 rue de Charenton (chez la mère D'Hauenens) ; au 38
passage Montgallet, Paris 12e (chez la mère Martineau, à 200 mètres)
; au 4 passage Thierré (1894) ; au 26 rue Érard, 12e (1896) ;
impasse Mortagne, 11e (1898) ; puis au 97 rue de Charonne, 11e.
Leurs enfants (de citoyenneté française en vertu du double droit du
sol) :
- Pauline Lucie, *09.08.1886 => épousera à Paris 15e,
le 12.12.1908, Alcide Noiret.
- Raymond Paul, *1897 => meurt dès le 21.12.1900 à
l'hôpital Trousseau.
- Gabrielle Camille, *15.02.1900 => épousera le
14.03.1921 à Nanterre (Seine) André Eugène Glachant.
La rue de Charenton à son commencement sur la
place de la Bastille, puis au niveau du boulevard
de Bercy et de la rue de la Brèche-aux-Loups.
3) Le plus jeune des garçons,
Octave, est
cordonnier.
En même temps que son frère Paul Raymond (le 31 octobre 1885, dans
le 12e arrondissement), il épouse Élisabeth
Chameau,
fille des ouvriers Jean-Baptiste Chameau et Madeleine Ferrier.
Élisabeth est ouvrière mécanicienne (piqueuse de bottines).
Ils se rapprochent du 11e arrondissement : 97 av. Daumesnil, Paris
12e (et 4 rue Gambey, Paris 11e).
Leurs enfants (de citoyenneté française en vertu du double
droit du sol) :
- Paul, né en 1886, mort l'année suivante.
- Paul Afred, né le 4 juillet 1887 à
1h du matin (190 rue du Faubourg Saint-Antoine, chez la
sage-femme Appolène Batilly).
- Lucien-Édouard,
né le 5 septembre 1889.
Comme on va le voir ci-dessous, ce Lucien-Édouard est le
strict homonyme de son cousin germain qui est né deux
ans plus tôt en Angleterre.
Deux exemples d'ateliers de
chaussures (hommes et femmes) autour de 1900
Le frère marqueteur à Londres
Le marqueteur Édouard et son
épouse Thérèse sont de passage en Angleterre
en 1885. Ils résident alors au 22 Rutland Road (South
Hackney), dans le Middlesex, en banlieue est de Londres.
En 1886-1886, ils sont dans le quartier
de Saint-Pancrace.
St Pancras est une ancienne paroisse du comté de
Middlesex. Depuis 1855, son territoire constitue un faubourg
de la ville de Londres, à laquelle il sera rattaché
administrativement en 1889. (En 1900, le quartier deviendra
un borough de Londres, qui fusionnera en 1965 avec
Hampstead et Holborn pour former l'actuel borough de
Camden).
Londres dans les années 1880 [cliquer
pour agrandir] et le drapeau du comté de Middlesex :
En bleu, la moitié sud de St-Pancras ; en rouge,
Tottenham Court Road. En vert : les gares de Euston,
St-Pancras et King's Cross.
En rose, quelques points de repère (dans les faubourgs
de Holborn et Westminster) : de haut en bas, le British
Museum, Marble Arch, Covent
Garden, Leicester Square et Trafalgar
Square.
Le 39 Goodge Street est indiqué par un point orange.
Ci-dessous : les gares de Euston (vers
Birmingham), Saint-Pancras (Midland)
et King's Cross (York et Écosse).
Édouard et Thérèse ont deux enfants à
Londres :
- Lucie Jannette, née fin 1885 à Hackney, morte l'année
suivante à St Pancras.
- Lucien-Édouard, né
le
21 septembre 1887 à Tottenham Court (St Pancras).
C'est la mère qui fait la déclaration au bureau de
l'état civil, le 26 octobre. Elle a accouché chez elle,
au 39 Goodge Street.
Le commencement de Tottenham Court Road. Goodge Street
est à 500 m sur la gauche. - À droite : chambres
à louer sur Tottenham Court Road (1886).
Édouard est belge, comme son
père ; mais son fils Lucien-Édouard est sujet britannique
(en vertu du droit du sol alors en vigueur au
Royaume-Uni).
|
Comme son père et son grand-père avant lui,
Octave disparaît, vraisemblablement dès 1889.
Désemparée, Élisabeth demande le divorce, qui est accordé le
23 juin 1890 en
l'absence de l'intéressé et publié dans le journal le 24
septembre.
Elle habite alors au 19 rue Beccaria, près de la place
d'Aligre. (En 1895, elle résidera au 9 rue de Lyon.)
Pendant ce temps, à
Buenos Aires...
En fait, Octave s'est enfui en Amérique avec une certaine Marie
Hées.
Hées est un nom originaire de Flandre
orientale. Une Marie Caroline Hées est née en 1858 dans le
3e arrondissement (St-Eustache/Montmartre).
Leur fils Lucien
D'Hauenens naît à Buenos Aires en janvier 1890.
Octave n'aura sans doute pas eu connaissance de la naissance
de son fils Lucien-Édouard (et encore moins de celle de son
neveu Lucien-Édouard), d'où la naissance d'un troisième
D'Hauenens qui porte quasiment le même prénom (en hommage à
sa grand-mère paternelle Lucie).
Le nouveau port de Buenos Aires, Puerto Madero, vient d'être
inauguré en 1889.
Entre 1880 et 1895, la population de la capitale fédérale
argentine passe de 337.617 habitants à 649.000
(dont seulement 320.000 natifs).
Buenos Aires et
son port en 1889-1890.
En 1893, par application d'une nouvelle loi, Octave
devient automatiquement français.
Il est alors appelé par l'armée. Apparemment, la famille
américaine rentre en France (mais sans reprendre contact
avec la première épouse).
En raison de sa petite taille (1,53 m), Octave fait ses
classes dans les services auxiliaires : il sert comme
cordonnier dans les ateliers civils de confection.
En 1909, Octave est apparemment de retour à Buenos
Aires, domicilié calle Estados Unidos, 1612 [en bleu sur le
plan ci-dessous].
Il rentrera en France pendant la Grande Guerre.
|
4) La petite sœur du marqueteur Édouard, du galochier
Paul Raymond et du cordonnier Octave, Lucie Virginie, est maintenant cravatière.
Elle habite chez sa mère au 187 rue de Charenton.
En décembre 1891, dans le
12e arrondissement, elle épouse Benoît Guillet (né à
Saint-Christophe-entre-deux-Guiers (38) le 06.05.1866, gardien de
la paix, 5 impasse Châlons puis 187 rue de Charenton, Paris 12e),
fils de François Guillet (cultivateur mort à St-Christophe le
18.08.1866) et d’Élisabeth Rey (ménagère). Ils s'installent au 7 rue du Colonel-Oudot (à
la porte Dorée).
Lucie Virginie mourra à Paris 12e le 11 janvier 1901.
Édouard, marqueteur à Alfortville et Paris 11e
Entre 1892 et 1894,
Édouard et Thérèse Marie rentrent en France et
s'établissent à Alfortville, au 66 rue de Villeneuve
[aujourd'hui Paul-Vaillant-Couturier].
Le 6 juin 1894, naissance de leur enfant
René Emmanuel (de citoyenneté française en vertu du double
droit du sol). Lucien-Édouard a bientôt 7 ans.
Thérèse Marie née Meunier meurt le 11 juin 1895.
L'enfant est sans doute confié à une nourrice ou à une
tante, ou à la grand-mère Virginie.
En 1896, le Belge Gustave-Édouard, 36 ans, et son
fils anglais Lucien-Édouard, 8 ans, résident
provisoirement au 300 rue de Villeneuve (aujourd'hui
dans la rue Étienne Dolet, vers le marché). Le père
est journalier.
Le 16 octobre 1897, Édouard épouse en secondes
noces Hélexine Céline Mériel (née en 1863 à
Sainte-Gauburge-Sainte-Colombe, Orne). Ils vont habiter
dans le 11e arrondissement de Paris, au 16 rue des
Immeubles-Industriels.
Édouard est témoin du décès de sa sœur Lucie le 11
janvier 1901, et de celui de sa mère le 7
avril 1902 (tous deux à Paris 12e).
En avril 1902, âgé de 43 ans, il participe à
l'Exposition d'Arts Décoratifs et Industriels de Nîmes, où
il obtient une médaille d'argent.
En mai 1905, les marqueteries de "monsieur
D'Hauenens" sont présentées et remarquées à l'Exposition des
Beaux-Arts de Paris-Province (salle des fêtes du Palais du
Travail, place Dupleix).
En septembre 1906, à l'Exposition du Cercle
artistique de Crépy-en-Valois (Oise), D'Hauenens reçoit une
médaille d'argent.
|
Au tournant du siècle, à l'occasion de son service militaire et
après, Octave est revenu vivre en France pendant quelques années. En
1897, il réside à Montreuil ("route stratégique", qui prendra
le nom de "boulevard de la Boissière" en 1900).
Pendant ce temps, sa première femme et ses enfants sont toujours
sans nouvelles de lui.
À cette époque, sa mère Virginie meurt en son domicile (165 rue de
Charenton) le 6 avril 1902
; le 8, elle est inhumée au cimetière parisien d'Ivry (division 21).
Après un nouveau séjour à Buenos Aires (et après avoir quitté Marie
Hées), Octave revient à Paris pendant la guerre. Domicilié chez la
couturière de 39 ans Anne-Clémence Pauline Tournier et ses parents
au 3 rue Brodu, Paris 14e (aujourd'hui rue Maurice-Rouvier), il
épouse la demoiselle le 19
mai 1917. Il a 52 ans. [Un nouveau divorce sera
prononcé en 1933.]
Parmi les petits-enfants de Léopold, les seuls à conserver le nom de
famille sont :
- Paul (fils d'Octave &
Élisabeth), né à Paris en 1887, qui quitte Paris pour
Marseille, artiste peintre puis géomètre ;
- Lucien-Édouard (fils
d'Édouard
& Thérèse), né à Londres en 1887, marqueteur
;
- Lucien-Édouard
(fils d'Octave & Élisabeth), né à Paris en 1889,
commis d'octroi ;
- Lucien (fils d'Octave &
Marie Hées), né à Buenos Aires en 1890, mécanicien ;
- et le jeune René Emmanuel
(fils d'Édouard & Thérèse), né en banlieue parisienne en
1894.
Marseille (années 1900-1960)
Années 1910
En 1908,
Paul est recensé par l'armée : il réside à Marseille, 2 rue Coeffier
(quartier Menpenti). Ses parents, séparés, sont toujours à Paris.
Le 20 septembre 1910, à
Marseille, Paul D'Hauenens épouse Andrée Foignet,
née à Bourges en 1893, fille du Parisien
Charles Foignet, inspecteur d'assurances à Bourges, et de
Marguerite née Jouannet, issue de familles bourgeoises de
l'Allier.
Paul D'Hauenens à Marseille.
Probablement Andrée
Foignet.
Charles avec sa mère et
sa grand-mère.
Paul est incorporé au 141e régiment d'infanterie 3 octobre 1910.
Sa femme accouche pendant qu'il effectue son service militaire, 9
mois jour pour jour après la nuit de noces (naissance de Charles le
20 juin 1911).
Le couple se sépare rapidement, et Charles va être élevé par sa mère
et sa grand-mère maternelle.
Paul est envoyé dans la disponibilité
de l'armée le 25 septembre 1912, avec certificat de bonne
conduite.
Ce même jour, il fait paraître un avis dans Le Petit Marseillais
pour signaler qu'il a divorcé et qu'il n'assume plus les dettes
de sa femme.
Il réside au 133 rue Consolat, puis au numéro 101 l'année
suivante.
Grande Guerre
Pendant la guerre, Paul sert aux Armées en 1914-1917, à
l'Intérieur en 1917-1918, puis en Orient de juin à décembre 1918.
Le cousin anglais, marqueteur
Pendant ce temps, Lucien-Édouard,
fils aîné d'Édouard habite au 5 villa
Jean-Godard, dans le 12e (à la porte Dorée).
Le 2 juin 1921, il
épouse Alphonsine Gabrielle Veillant (née en 1878 à Paris
12e), sans profession. C'est le premier mariage de
Lucien-Édouard, 33 ans, mais le 3e d'Alphonsine, 42 ans.
Elle a d'abord été mariée avec Augustin Charles Decoin
(Paris 12e, 1900), puis avec Raymond Henri Cordy (Bagnolet,
1906), dont elle a divorcé en février 1920. Par ce 3e
mariage, elle perd la citoyenneté française, puisque son
mari est anglais depuis la naissance.
Lucien-Édouard est marqueteur, comme son père et comme
son oncle Paul Raymond.
Le 5 novembre 1927, il est enfin
naturalisé français (décret 11668-27), et son épouse
Alphonsine est réintégrée dans la nationalité française
(décret 11679-27).
Ils résident ensuite dans le 19e (rue Haxo), et
Lucien-Édouard meurt à l'hôpital Broussais en 1935.
|
Le demi-frère américain, mécanicien à Bagnolet,
délinquant et déserteur
En 1908, on
retrouve Lucien
D'Hauenens à Saussy, en Côte-d'Or, où il est
charretier. En décembre, âgé de 18 ans, il est condamné à
un mois de prison pour vol.
En 1910, il est recensé par l'armée française.
Mécanicien outilleur, il réside à Bagnolet, 80 rue de
Paris. Cheveux châtains, yeux marrons, 1,66 m, il porte
une cicatrice de coup entre les yeux.
En juillet 1914, Lucien est condamné à Paris pour
vente de briquets non estampillés.
1914-1918
Lucien est mobilisé en décembre 1914.
Incorporé au 19e bataillon de chasseurs à pied en tant
que chasseur de 2e classe, il passe au 106e bataillon
de chasseurs à pied en mars 1915.
Porté déserteur en septembre 1916, il est
retrouvé et arrêté en avril 1918. Le 16 mai
1918, le conseil de guerre du 127e division
d'infanterie le condamne à 5 ans de travaux publics
pour désertion à l'intérieur en temps de guerre. Il
est écroué à Collioure le 20 mai.
Le 1er janvier 1920, il est transféré au
pénitencier militaire d'Albertville.
Finalement, Lucien bénéficie d'une remise de peine
(décret du 29 avril 1920). Dirigé sur le 25e bataillon
de chasseurs à pied le 14 mai, il est renvoyé dans son
foyer le 17.
Il se retire à Paris 19e, 64 rue de la Marne, et sera
définitivement amnistié par la loi du 29 avril
1921.
En 1927, Lucien est domicilié à Bagnolet, 31 rue
Socrate, et à Paris 19e, 64 rue de la Marne.
En 1928, il figue
dans l'annuaire de l'industrie automobile : à Bagnolet, au
62 rue Sadi-Carnot, il est spécialisé dans le "découpage
et emboutissage de tous métaux".
En mars 1929, il s'agrandit : il
rachète à un certain Beauchamp le local commercial du
no 64. Désormais, il tient un commerce
"mécanique, motos, garage". En septembre et novembre,
il dépose deux brevets :
- Lanterne de signalisation pour véhicules
automobiles et autres applications (FRD717759)
[soumis le 22.09.1930 ; publié le 14.01.1932] ;
- Contacteur rotatif électrique pour l'allumage ou
l'extinction des feux de signalisation des voitures
automobiles et autres applications (FRD721670)
[soumis le 17.11.1930 ; publié le 07.03.1932].
Mais dès le 15
novembre 1930, la justice enregistre la
clôture de son activité commerciale à Bagnolet. (Est-ce
un effet de la crise économique qui se propage dans le monde
depuis le krach boursier d'octobre 1929 ?)
Du coup, Lucien disparaît quelque temps (comme son père, son
grand-père et son arrière-grand-père avant lui !). Dans Le Petit Parisien du
24.09.1931 : "Récompense
à qui donnera adresse de Lucien D'Hauenens, né à
Buenos-Ayres, Argentine, le 10.01.1890."
Les deux brevets sont publiés en janvier et
mars 1932.
Le 5 mai 1938,
le journal Ce
Soir rapporte qu'un certain François Baudry a
été arrêté pour carambouillage : il
passait commande de stylos et de maroquinerie mais
ne payait pas les factures ; pendant ce
temps, Lucien D'Hauenens (49 ans, porte de
Bagnolet) et sa femme écoulaient la marchandise sur
les marchés de la région.
En 1939, Lucien réside au 33 avenue de la Porte
de Bagnolet, Paris 20e.
|
Le petit frère douanier, prisonnier de guerre
Lucien-Édouard, deuxième
fils d'Octave, est recensé par l'armée en 1906
: cheveux et yeux châtains, 1,58 m, il réside au 5 rue
de la Brèche-aux-Loups, Paris 12e.
Il effectue ses 3 ans de service militaire en 1907-1910
pour le 131e régiment d'infanterie. Arrivé au corps comme
soldat de 2e classe, il est promu caporal en 1908 mais
demande à redevenir soldat de 2e classe en 1909. Le
certificat de bonne conduite lui sera refusé.
En 1911, Lucien-Édouard est toujours sans nouvelles
de son père (qui mène sa nouvelle vie sans s'être manifesté
auprès de sa première famille). Il vit avec sa mère au
10 rue de Wattignies, dans le 12e, et travaille comme
employé d'octroi.
Le 10 octobre, il épouse Madeleine Berthier.
En 1912, il est reçu au concours de commis ambulant
à l'Octroi de Paris. Il commence avec un salaire de 1400
francs.
Il réside au 16 rue Paul-Bert, Paris 11e.
1914-1919
Lucien-Édouard est mobilisé dès le mois d'août 1914
et affecté au 31e régiment d'infanterie (Melun).
Le 25 décembre, il au 142e d'infanterie.
Il disparaît le 19 mars 1915 à Beauséjour
(Marne), capturé par les Allemands.
Il passe les 4 années suivantes au camp de Cellelager
(Hanovre) [photo ci-contre].
Il sera rapatrié le 7 janvier 1919 et démobilisé
le 24 mars.
Puis Lucien-Édouard reprend ses activités dans
l'administration et fait une carrière de fonctionnaire aux
douanes (commis à l'Octroi de Paris : cf. actes
administratifs du département de la Seine, gallica.bnf.fr).
En 1933 et 1943, il est domicilié au 42 rue de Charenton,
Paris 12e.
Il mourra à Paris 12e en 1974.
|
Le jeune cousin mort pour la France
À la veille de la Grande Guerre, René Emmanuel, fils
d'Édouard et de Thérèse Marie, réside à Charenton, 33bis rue
Chabrol. Il est citoyen français par double droit du sol.
Cheveux blonds, yeux bleus, il porte une cicatrice sur la
joue gauche.
En 1914, il est incorporé au 85e régiment
d'infanterie en tant que soldat de 2e classe [matricule
248, Seine 1er bureau (Paris)].
En février 1915, le régiment prend position en
Lorraine, dans les tranchées du Bois Brûlé (commune
d'Apremont, aujourd'hui "Apremont-la-Forêt", dans la Meuse).
"Le régiment
était remonté vers le 12 février à la tranche Bois
Brûlé où l'ennemi, supérieur en artillerie et en engins
de tranchée, entretenait depuis novembre une lutte
sévère, nous causait de lourdes pertes et, bastion par
bastion, tranchée par tranchée, enlevait la redoute du
Bois Brûlé et ses abords. Le 15 février, il faisait
sauter quatre mines sous la 8e compagnie et s'emparait
de notre première ligne. Ce même jour, le
sous-lieutenant Ducruet, blessé pour la deuxième fois,
perdait l’œil gauche. Les brancardiers l'emmenaient sous
un violent bombardement : "Laissez-moi, leur dit-il,
vous n'êtes pas blessés, mettez-vous à l'abri" ; puis,
la face ensanglantée, il se leva de son brancard et se
rendit seul au poste de secours.
Quelques jours après, le
commandement décide de reprendre à l'ennemi le terrain
perdu. Une attaque est montée pour le 22 février et
c'est au 1er bataillon que revient l'honneur de son
exécution.
L'attaque a été préparée
dans tous ses détails par le commandant Sallé, qui, venu
du 95e, a d'abord commandé le 3e bataillon, puis, après
une évacuation pour blessure, a remplacé à la tête du
1er bataillon le commandant Bouvier blessé grièvement.
L'heure de l'attaque est fixée à 6 heures 30. Une seule
compagnie est désignée, la 2e, sous les ordres du
sous-lieutenant Charton. Tous les hommes, à qui les
chefs ont insufflé l'ardeur et l'esprit de sacrifice qui
les animent, ont une confiance absolue dans le succès.
D'un bel élan, après une courte préparation par obus
Save, ils franchissent notre parapet et, sous la
fusillade, enlèvent d'un bond la partie est de leur
objectif, que deux sections occupent aussitôt. Puis,
après une courte lutte à la grenade, à 7 heures toute la
tranchée est prise.
Mais l'ennemi ne veut
pas abandonner un terrain dont la conquête lui a coûté
de longs mois d'une lutte obstinée. Dès 9 heures, les
contre-attaques se succèdent. Toute progression en
terrain découvert lui étant interdite par nos feux, il
ne peut avancer que par un seul boyau reliant à
l'arrière son ancienne première ligne. À la hâte, avec
des sacs à terre enlevés au parapet, nos hommes y ont
établi un barrage derrière lequel s'engage une lutte
acharnée à la grenade. La 2e section de la 2e compagnie
est chargée d'interdire à l'ennemi toute avance dans le
boyau. Avec un dévouement au-dessus de tout éloge, tous
les hommes s'y emploient et en particulier le caporal
Barbier. [...]
Cependant, malgré
l'énergie des hommes du 1er bataillon, l'ennemi, dans
une nouvelle contre-attaque, réussit à franchir le
barrage et nos grenadiers doivent reculer dans la
tranchée conquise que, pas à pas, ils abandonnent."
[Historique du 85 R.I.].
René Emmanuel meurt de blessure de guerre ce 22
février 1915, à l'âge de 20 ans ("mort pour la
France"). |
Années 1920
Paul épouse en secondes noces une demoiselle du Gard, Jeanne
Bourrier. Le mariage est célébré le 18 mars 1924 à La
Grand-Combe (Gard). Jeanne mourra en 1940, et Paul finira sa
vie à Marseille sans se remarier. À sa mort, sa dépouille sera
expédiée dans le Gard.
La mère d'Andrée épouse en secondes noces (le 18 mars 1926, à Marseille) Joseph
Marius Bourelly. De nouveau veuve, elle mourra à l'Hôtel-Dieu de
Marseille en 1936.
Quant à Andrée, elle épouse
en secondes noces (le 28 avril 1927,
à Marseille) Dominique Rossi. Elle mourra à l'Hôtel-Dieu
en 1933.
Années 1930
Le 28 avril 1932, à Marseille, Charles épouse Adrienne
Coustures, issue d'une famille d'agriculteurs de l'Ariège. Adrienne est enceinte.
À la mort de sa mère en janvier 1933, Charles a 21 ans.
La Traction Avant, produite par
Citroën de 1934 à 1957. À droite, le pont transbordeur de
Marseille (1905, démoli en 1945).
Comptable, commerçant, magasinier, Charles est gérant de la
succursale marseillaise de l'entreprise Mintex (rattachée à la filiale
parisienne du groupe britannique).
Charles en voyage professionnel à
Londres.
Fondée en 1923, la compagnie privée Southern Railway
reliait notamment la capitale britannique à la Manche
(jusqu'à la nationalisation de 1948).
|
Leur premier enfant meurt tragiquement en août 1941, dans ses 9 ans.
En 1942,
l'Allemagne envahit la zone libre.
L'Organisation de Résistance de l'Armée est créée en janvier 1943. En février 1944, elle s'unit
aux autres organisations de résistance au sein des Forces
Françaises de l'Intérieur.
Charles s'engage dans l'ORA en mai 1944. Il fait la
liaison pour son chef de groupe et distribue des tracts.
Les Américains bombardent le centre de Marseille le 27 mai (1
752 civils tués, 2 760 blessés, plus de 20 000 sinistrés).
Du 18 au 28 août, Charles prend part aux combats dans
le secteur de la Préfecture et du cours Lieutaud. Marseille est
libérée le 28 août 1944.
L'après-guerre
Charles et Adrienne à Marseille vers 1946-1947.
Sources :
Archives familiales.
Archives départementales.
Parcours de la famille
Lepoivre.
Musée Carnavalet, Paris.
Service historique de la Défense, Vincennes.
Retour à
l'arbre